Protégé en permanence, le magistrat libanais Tarek Bitar a la délicate mission de mener à bien l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth qui a eu lieu le 4 août 2020, et de résister aux pressions politiques des mouvements chiites, le Hezbollah et le mouvement Amal qui refusent que des ministres appartenant à leur mouvance soient entendus ou pire mis en cause..
David contre Gollat. C’est l’histoire d’un magistrat libanais, Tarek Bitar, sous les feux des projecteurs, au centre du paysage judiciaire et institutionnel libanais depuis plusieurs mois maintenant. Et pour cause, ce juge a été mandaté par la Justice libanaise pour enquêter sur l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020.
Pour rappel, la tragédie avait coûté la vie à 218 personnes, blessé 6500 autres, et ravagé plusieurs quartiers de la capitale. La responsabilité indirecte des dirigeants du Hezbollah dans cette tragédie est un secret de polichinelle. S’il n’y a aucune preuve aujourd’hui de leur implication dans l’explosion elle même, il n’y a personne à Beyrouth pour ignorer que ce ce sont eux qui avaient depuis longtemps au Liban la responsabilité de veiller à la sécurité des installations portuaires et aéro portuaires. Ce sont donc eux qui n’ont pas veillé à la sécurité du nitrate d’ammonium entreposé près du Port qui aura été à l’origine de la déflagration meurtrière, des explosifs commandés par des hommes d’affaires syro-russes liés au régime de Damas. L’hypothèse que ces charges d’explosifs aient pu être acheminées vers la Syrie avec la bénédiction des fonctionnaires du Hezbollah pour être utilisés contre les opposants du président Assad est aujourd’hui un scénario plus que plausible.
Originaire du village d’Aydamun au Akkar (nord-ouest) — l’une des régions les plus pauvres du Pays du Cèdre — Tarek Bitar, 46 ans, bientôt 47, est le deuxième juge à enquêter sur l’explosion, causée par les 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées au hasard dans un entrepôt du port de Beyrouth par les autorités depuis plus de six ans. Le magistrat quadragénaire avait succédé en février 2021 au juge Fadi Sawwan, qui avait notamment mis en cause deux anciens ministres pour négligence. Du coup ce dernier s’était vu privé de l’enquête par la Cour libanaise de cassation peu de temps après. « Je ne peux pas voir des mères en larmes, ma conscience m’interdit de fuir mes responsabilités, je suis disponible », aurait dit Tarek Bitar en acceptant sa nomination, selon une source judiciaire citée par le quotidien La Croix.
« Un magistrat courageux »
Or le juge avance dans l’enquète et découvre lui aussi l’absence de précautions des autorités concernées dans la surveillance des dangereux explosifs. Le journal français rappelle également que le 12 octobre, le juge Bitar s’est vu temporairement dessaisi de l’enquête et cela pour la deuxième fois depuis fin septembre, à la suite d’un énième recours déposé par deux anciens ministres et députés qu’il soupçonne de « négligence et manquements ». Un recours à nouveau rejeté jeudi 14 octobre.
Sans aucun parti pris ni affiliation politique, Tarek Bitar est un juge expérimenté et travailleur. Il préside la Cour criminelle de Beyrouth depuis 2017, après avoir officié successivement comme juge pénal unique du Liban-nord jusqu’en 2010, puis comme avocat général près la Cour d’appel du Liban-Nord. « C’est quelqu’un de courageux, qui va au bout de ses dossiers, et surtout, qui rend des jugements, ce qui n’est pas le cas de tous les magistrats, qui laissent parfois traîner les affaires trop délicates », pointe le docteur Paul Morcos, directeur de la Fondation Justicia, cité par La Croix.
Le spectre d’une nouvelle guerre civile
Le journal met également en avant que ses méthodes « ne sont pas du goût des politiques de tous bords ». Tant le parti chiite du Hezbollah que son allié Amal lui reprochent de « politiser » l’enquête et appellent à son déboulonnement et son remplacement par un magistrat « honnête ». Les deux formations chiites avaient appelé à une manifestation le 14 octobre dernier devant le Palais de Justice. Ce jour-là où on a frôlé une nouvelle guerre civile au Liban. Le rassemblement avait dégénéré, des centaines de miliciens armés s’étaient dirigée vers les quartiers chrétiens où des miliciens déterminés les attendaient. Des affrontements armés avaient eu lieu également dans le centre de Beyrouth, provoquant la mort de sept personnes dans les rangs du Hezbollah. L’armée libanaise qui tentait d’arrêter la spirale de violence qui s’annonçait avait du tirer dans la foule .
Reste à savoir si le magistrat saura — et surtout pourra — mener l’enquête jusqu’au bout. La Syrie tente aujourd’hui de donner des gages à l’ensemble du monde sunnite pour intégrer à nouveau la Ligue arabe et sortir de son isolement. Cette offensive diplomatique qui est encouragée par plusieurs acteurs clés de la région suppose qu’on mette sous le tapis la question des responsabilités directes ou indirectes du régime syriens et de ses alliés libanais dans l’explosion du Port de Beyrouth.
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