Un militant syrien, devenu le visage de la lutte contre la torture du régime Assad, est décédé dans des circonstances troublantes. Son parcours, de la détention à l’exil puis au retour fatal, illustre le drame continu de la Syrie.
La découverte macabre du corps de Mazen al-Hamada dans un hôpital près de Damas le 9 décembre a envoyé une onde de choc à travers la communauté des défenseurs des droits humains. Cet activiste syrien, qui avait survécu aux geôles du régime de Bachar al-Assad pour devenir un témoin clé des atrocités commises, a connu une fin aussi mystérieuse que tragique.
Né en 1978 à Deir Ezzor, al-Hamada s’est engagé dans le mouvement contestataire dès les prémices du Printemps arabe en Syrie en 2011. Technicien dans le secteur pétrolier, il a rapidement troqué ses outils contre une caméra pour documenter les manifestations naissantes, diffusant ces images cruciales sur les réseaux sociaux.
Son activisme l’a rapidement placé dans le collimateur du régime. Entre 2011 et 2012, al-Hamada a subi trois arrestations, la dernière s’étant soldée par une détention prolongée à l’hôpital militaire 601, tristement célèbre comme centre de torture. Les sévices qu’il y a endurés dépassent l’entendement : côtes fracturées, suspensions prolongées et violences sexuelles ne sont qu’un aperçu de l’enfer qu’il a traversé.
Libéré en 2013, al-Hamada a choisi l’exil, rejoignant les millions de Syriens fuyant le conflit. Son périple l’a conduit aux Pays-Bas, où il a obtenu l’asile politique. C’est depuis l’Europe qu’il a entamé sa mission de sensibilisation, devenant un porte-parole incontournable de la cause des détenus syriens.
Son témoignage poignant a résonné dans les couloirs du Congrès américain et a été immortalisé dans le documentaire Les disparus de Syrie de Sarah Afshar en 2017. Al-Hamada est devenu le visage de la résistance syrienne, parcourant l’Europe pour accompagner les expositions du célèbre « Caesar », un ex-photographe militaire syrien ayant fourni des preuves accablantes des exactions du régime.
Cependant, le poids du traumatisme et la frustration face à l’inaction internationale ont progressivement miné sa santé mentale. Garance Le Caisne, journaliste française ayant travaillé avec lui, a témoigné de sa détérioration psychologique, évoquant son amertume croissante envers l’Occident.
Dans un revirement aussi soudain qu’incompréhensible, al-Hamada a décidé de retourner en Syrie en février 2020. Cette décision a stupéfié ses proches et ses soutiens, qui y ont vu un acte désespéré d’un homme brisé. Dès son arrivée à Damas, il a disparu, laissant ses proches sans nouvelles pendant près de quatre ans.
La découverte de son corps dans la morgue de l’hôpital Harasta a confirmé les pires craintes de ses soutiens. L’ONG Syrian Revolution Archive a partagé sur Instagram une photo glaçante, commentant : « Ce corps est très semblable au détenu Mazen Al-Hamada ». La scène décrite par Mohammed al-Hajj, un combattant rebelle, est cauchemardesque : « C’était un spectacle horrible : une quarantaine de corps étaient empilés, montrant d’effroyables signes de torture ».
La nouvelle de sa mort a provoqué une vague d’émotion sur les réseaux sociaux. Sarah Afshar, la réalisatrice qui l’avait filmé, a exprimé sur X son choc : « J’ai besoin d’obtenir plus d’informations et de prendre le temps de digérer cette nouvelle totalement dévastatrice. Je veux me souvenir de Mazen tel qu’il était et honorer ce qu’il a fait ».
Le destin tragique d’al-Hamada soulève de nombreuses questions sur les circonstances de son retour en Syrie et sur son sort durant ces années de disparition. Garance Le Caisne s’interrogeait déjà en 2022 dans son livre Oublie ton nom : Mazen al-Hamada, mémoires d’un disparu : « Est-ce qu’on lui a fait miroiter quelque chose ? On ne sait pas. En tout cas, il n’a pas pu aller à Damas sans le feu vert du régime ».
La mort d’al-Hamada rappelle cruellement que malgré le recul médiatique du conflit syrien, la répression et les violences perdurent sous le régime d’Assad. Son parcours, de militant pacifique à survivant de la torture, puis de témoin international à victime silencieuse, incarne le drame syrien dans toute sa complexité et son horreur.
Alors que la communauté internationale semble avoir détourné son attention de la Syrie, la disparition d’al-Hamada ravive le débat sur la nécessité de poursuivre les efforts pour documenter et juger les crimes contre l’humanité commis dans le pays. Son combat, mené au péril de sa vie, ne doit pas tomber dans l’oubli.
Les hommages rendus sur les réseaux sociaux, où son visage est devenu un symbole, témoignent de l’impact durable de son engagement. Mazen al-Hamada restera dans les mémoires comme un homme qui, malgré les souffrances endurées, n’a jamais cessé de lutter pour la justice et la vérité, payant ultimement le prix ultime pour son courage.
« Et tu souris
Enfant de Deir Ez Zor, dernier de tes frères et sœurs, tu es en Malaisie pour aller témoigner, encore. Ton ami prend cette photo pour m’envoyer ton sourire.
C’est toi, tellement toi. Ta capuche pour te protéger, et ce sourire qui donne si souvent envie de t’enlacer et de te promettre un avenir meilleur.
De quelle photo parle-t-on ? Quelle photo garder ?
Je l’ai longtemps jalousement gardée, cette photo. Marc en a fait un tableau. Aujourd’hui, la voilà dévoilée, parce que c’est toi, tellement toi.
Je pense à Joud, à Abou Joud, à tes sœurs et tes frères qui cherchent encore tes autres frères disparus.
Tu souris.
Je souris. »
Texte et photo : compte Facebook de Garance Le Caisne