L’Iran et le Hezbollah ont transformé la Syrie en narco-État

Le captagon, une amphétamine extrêmement addictive envahit aujourd’hui les rues d’Arabie Saoudite, du Koweit, d’Egypte et arrive aussi en Europe. En mai 2017, les douanes françaises avaient saisi 750 000 comprimés de captagon.
Le Captagon, amphétamine tirée d’un ancien médicament psychotrope, génère trois fois plus d’échanges pour le régime syrien que les cartels mexicains réunis, selon les chiffres officiels.

Le 2 aout 2023, les services jordaniens de lutte contre les stupéfiants  (AND) ont arrêté 1 106 personnes impliquées dans 599 délits liés à la drogue. Au cours de ce raid, 400 000 comprimés de Captagon ont été saisis.

Dimanche 30 juillet 2023, l’Arabie saoudite a annoncé l’échec de trois tentatives de contrebande de plus de 151 000 comprimés de Captagon.

Le 23 juillet, les services jordaniens de lutte contre les stupédiants  ont déclaré que les agents avaient saisi un peu plus de 200 000 pilules de captagon.  

Au début de juillet 2023, les services de sécurité koweitis ont saisi plus d’un million de comprimés de captagon dissimulés dans un container de ciment.

Au même moment, les services de sécurité irakiens ont effectué une saisie record d’un million de pilules de captagon. Outre les conflits ethniques et religieux qui assaillent le Moyen Orient, une guerre d’un autre type frappe les Etats arabes de la région, une guerre de la drogue. 

Synthétisé pour la première fois en 1961, le Captagon est un stimulant de la famille des amphétamines. La molécule porte le nom de fénéthylline et intervient sur le circuit de la récompense dans le cerveau. Le drogué peut bien se casser un bras, il aura le sentiment que tout pour le mieux dans sa vie.

Dans les mains des trafiquants

Les prescriptions ont été interdites en Occident en 1993 en raison des risques de dépression dus à l’addiction, mais aussi parce que le médicament générait de graves lésions cardiaques. Sans que l’on sache par quels circuits, la molécule très facile à fabriquer, s’est retrouvée entre les mains des trafiquants.

L’Agence France Presse estime le trafic de captagon à 10 milliards de dollars annuels. Un comprimé s’échange – selon sa qualité – entre 1 et 25 dollars. Concernant la fabrication, toutes les pistes remontent à la Syrie et au Liban. Plusieurs noms d’ « industriels » du captagon circulent. Maher al Assad, frère de Bashar et chef de la Quatrième division blindée, une division d’élite dont la mission principale est de défendre le gouvernement, est souvent cité comme l’un des principaux promoteurs du captagon. Selon des témoignages recueillis par l’AFP, des gangs de passeurs achètent les comprimés aux officiers de la Quatrième division et les revendent ensuite dans les pays environnants.

Le Hezbollah à la manoeuvre

Mais d’autres noms circulent. Le 23 mai 2022, le gouvernement jordanien a confirmé que « certaines unités de l’armée syrienne pro-iranienne » étaient impliquées dans le trafic de captagon, mais aussi « les milices fidèles à Téhéran ». Or la principale milice « fidèle à Téhéran » en Syrie n’est autre que le Hezbollah libanais. 

En juillet 2023, la BBC a confirmé le rôle du Hezbollah a travers le téléphone portable de Raji Falhout, un chef de milice rallié au régime de Bashar al Assad. Obligé de fuir sous les coups de boutoir d’une autre milice, ce Raji Falhout a abandonné son quartier général dans lequel les assaillants ont trouvé des sacs bourrés de pilules de Captagon, ses papiers d’identité militaire et un téléphone portable déverrouillé.

« En obtenant un accès exclusif au téléphone, la BBC a trouvé une série de messages entre M. Falhout et un contact libanais qui portait le nom de « Abu Hamza » (…) « En utilisant le numéro de téléphone, la BBC a établi la véritable identité de Abu Hamza – qui est Hussein Riad al-Faytrouni. Des journalistes locaux nous ont dit qu’il était lié au Hezbollah, le parti politique libanais et groupe militant étroitement affilié au gouvernement syrien. »

Officiellement, le Hezbollah nie tout rôle dans la production et la contrebande de Captagon, mais – ajoute la BBC – « un journaliste syrien de la région de Suweida nous a certifié que « Le Hezbollah est impliqué, mais fait très attention à ce que ses membres n’apparaissent pas comme ayant un rôle  dans le transport et la contrebande de la marchandise ». L’Institute international for iranian studies, un think tank saoudien connu sous le nom de Rasanah, affirme lui aussi le rôle du Hezbollah dans le trafic de captagon. « Au Liban, les unités de production de Captagon se trouvent dans des zones contrôlées par le Hezbollah comme la vallée de la Bekaa. Les groupes de trafiquants de drogue au Liban et en Syrie opèrent avec le plein soutien du Hezbollah soutenu par l’Iran ». 

Le captagon, outil de financement

Le captagon a eu tout au long de la guerre civile en Syrie une double fonction. La première a été de financer l’aide militaire iranienne au régime. Ghassan Ibrahim, consultant et journaliste pour ArabNews, affirme que quand « le régime (syrien) s’est retrouvé à court de fonds. IL n’a eu d’autre choix que de développer une nouvelle industrie, avec le soutien de l’Iran (…) » Cette industrie c’était la drogue. « Une coopération a émergé entre un groupe de milices iraniennes et leurs alliés, comme le Hezbollah libanais, et certains dirigeants de l’armée syrienne (…). Cette coopération s’est concentrée sur la production des types de drogues les moins chers au monde et sur leur contrebande depuis la Syrie (dans plusieurs directions), avec la possibilité même de traverser la Méditerranée vers l’Europe ».

Le think Tank saoudien Rasanah confirme cette thèse : « les sanctions américaines contre l’Iran ont réduit le soutien financier de ce dernier à ses milices dans la région et pour compenser ce manque à gagner, des milices comme le Hezbollah ont augmenté leurs opérations de trafic de drogue avec le soutien du régime syrien pour acheter des armes, verser des primes et employer des combattants ». 

Matthew Lewitt, chercheur au Washington institute for near east policy, confirme que l’Iran laisse le Hezbollah se financer par le trafic de drogue ou la contrefaçon quand Téhéran peine à boucler ses fins de mois.

L’industrie du captagon s’est développée d’autant plus vite qu’il existait une industrie chimique en Syrie. Quand la guerre a détruit leurs emplois, les chimistes syriens au chômage ont trouvé un débouché professionnel. Ils ont aussi montré que de petits ateliers artisanaux pouvaient faire aussi bien l’affaire que de grandes usines aseptisées.

La Jordanie dans le viseur

Mais au-delà du financement de l’activité militaire du Hezbollah ou d’une administration syrienne, le captagon a une deuxième fonction. Une fonction offensive. Le captagon est aussi une arme de guerre à destination des pays ennemis de la Syrie et de l’Iran. Ce n’est donc pas un hasard si le trafic s’est organisé principalement en direction de la Jordanie, allié des Etats Unis mais aussi bien évidemment, en direction également des Etats du Golfe et de l’Arabie Saoudite, principal rival de l’Iran au Yemen et dans le Golfe.« Nous sommes confrontés à une guerre le long des frontières, à une guerre de la drogue menée par des organisations soutenues par des parties étrangères. Ces milices iraniennes sont les plus dangereuses car elles visent la sécurité nationale de la Jordanie », a déclaré le porte-parole de l’armée jordanienne, le colonel Mustafa Hiari, à la télévision publique Al Mamlaka.

 « Le vice-ministre yéménite des affaires juridiques et des droits de l’homme, Nabil Abdul Hafeez, a déclaré dans un communiqué que la force al-Qods iranienne avait fait passer de la drogue aux Houthis, qui les avaient ensuite détournés vers d’autres pays voisins ». Avec qui les Houthis du Yémen sont-ils en guerre ? Avec l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis.

Au cours des six dernières années affirme ArabNews, le royaume saoudien a intercepté 600 millions de capsules. Rien qu’en 2020 et 2021, c’est 190 millions de capsules qui ont été saisies. La consommation de captagon en Arabie saoudite est un authentique problème de santé publique.

Certains affirment aujourd’hui que si la Syrie est redevenue un « frère arabe » et Bashar al Assad un président fréquentable, la raison est à cherche du côté du captagon.  En effet, faute de juguler le trafic par la répression, les Etats arabes cherchent à obtenir la coopération du gouvernement syrien.

 Les États arabes ont-ils tort de penser que de bonnes relations avec la Syrie, sa réintégration dans la Ligue Arabe et des aides à la reconstruction etc… peuvent rendre Damas moins dépendant de Téhéran, diluer l’influence iranienne en Syrie et inciter à chercher d’autres sources de financement ? En d’autres termes, l’économie de marché et la mondialisation sous la houlette de Mohamed Ben Salmane ne valent-ils pas mieux que l’ostracisme et le grand banditisme fusse-t-il d’Etat ?

Syrian President Bashar Assad, left, speaks with Iranian Supreme Leader Ayatollah Ali Khameneiy

Selon Reuters, en mai 2023, la Jordanie a effectué une frappe aérienne sur une usine de drogue dans le sud de la Syrie et tué un trafiquant. La réponse de Damas – un silence remarquable – a clairement indiqué que la Syrie n’entendait pas réagir. La Jordanie et la Syrie ont depuis convoqué un groupe de travail sur la lutte contre le trafic de drogue.

Bashar al Assad a-t-il réellement un quelconque pouvoir sur son frère fortement impliqué dans le trafic de drogue ? Dispose-t-il d’un rapport de force avec le Hezbollah sur le trafic de captagon ? Il est permis d’en douter.