L’Irak terre promise des travailleurs et des djihadistes libanais

BAGHDAD, IRAQ: Aerial of Baghdad with Tigris river and Sheraton and Palestinian Hotels. In the center traffic circle, Firdus Square, is where the famous statute of Sadaam Hussein was pulled down in 2003. The Iraq govt. wants the United States to apologize and pay $1 billion for the damage done to Baghdad not by bombs but by blast walls and Humvees. The city's government issued its demands in a statement on Wednesday that said Baghdad's infrastructure and aesthetics have been seriously damaged by the American military. "The U.S. forces changed this beautiful city to a camp in an ugly and destructive way, which reflected deliberate ignorance and carelessness about the simplest forms of public taste," the statement said. (Photo by Lynsey Addario/Getty Images Reportage)
Alors que le Liban reçoit environ 1,5 million de migrants notamment syriens, près de 20000 libanais ont décidé  de quitter le payx, direction l’Irak, devenu récemment une nouvelle terre d’opportunités pour des Libanais à la recherche d’une vie meilleure alors que leur pays s’enfonce dans une profonde crise sans précédent.

 

Bagdad, une ville qui attire un nombre croissant de Libanais
La monnaie nationale libanaise a vu sa valeur fondre de près de 90% depuis 2019. Le salaire minimum mensuel, de 675.000 livres libanaises, ne vaut guère plus de 30 dollars au marché noir et environ 80% de la population vit désormais en dessous du seuil de pauvreté, selon l’ONU. Au moment de son départ il y a un an, ses revenus ne valaient pas plus qu’une centaine de dollars.   » Je n’ai pas eu assez de temps pour chercher du travail dans le Golfe et j’ai dû me décider rapidement. C’est pour cette raison que je suis venu à Bagdad et que j’ai commencé à chercher du travail par le biais d’Instagram « , explique le père de famille.

Depuis un mois, Akram est gérant d’un restaurant à Bagdad et son salaire lui permet enfin de soutenir sa famille restée au Liban. L’Irak et le Liban sont proches culturellement et partagent la même langue, malgré des différences dialectales. Mais, surtout, à leur arrivée en Irak, les Libanais obtiennent un visa valable pendant plus d’un mois et aisément renouvelable.
Des dizaines de médecins libanais à Bagdad

Selon les autorités irakiennes, plus de 20.000 Libanais se sont rendus en Irak entre juin 2021 et février 2022. Sans compter les pèlerins qui visitent les villes saintes chiites de Najaf et Kerbala.  » Le mouvement s’est récemment amplifié « , explique à l’AFP Ali Habhab, ambassadeur du Liban à Bagdad.  Le diplomate estime que le secteur de la santé est particulièrement concerné avec  » des dizaines de médecins libanais qui travaillent dans des hôpitaux  » irakiens.

De prime abord, l’Irak apparaît comme une destination baroque pour refaire sa vie.  Après la guerre contre l’Iran (1980-1988), l’invasion emmenée par les Américains en 2003, le guerre civile de 2006-2009, puis l’offensive du groupe jihadiste Etat islamique (EI) en 2014 et enfin le vaste mouvement de contestation fin 2019, l’Irak ne véhicule pas l’image d’une terre de promesses. Pourtant, depuis que Bagdad a proclamé sa  » victoire  » contre l’EI fin 2017, le pays a renoué avec une relative stabilité. Les Libanais  » connaissent bien l’environnement irakien « , note l’économiste irakien Ali el-Rawi.  » Il y a beaucoup d’espace pour les entreprises libanaises car la plupart des sociétés étrangères ont peur d’investir « . Mais l’image est trompeuse. Nombre d’Irakiens sont frappés de plein fouet par la crise économique et sociale.  Dans un pays dont les revenus proviennent à 90% du pétrole, le taux de chômage des jeunes est de 40% et un tiers des 40 millions d’Irakiens vit dans la pauvreté.  Des milliers d’Irakiens cherchent à quitter leur pays, comme l’a encore montré la vague de migration kurde vers l’Europe durant l’automne et l’hiver derniers.

Tourisme restauration, santé

Les Libanais qui s’installent en Irak travaillent généralement dans le secteur des services et de la santé. On compte plus de 900 entreprises libanaises en Irak. La plupart sont actives dans les domaines du tourisme, de la restauration ou de la santé. Avant la crise, les Irakiens se rendaient souvent au Liban pour consulter des médecins bien mieux équipés que chez eux.  Mais avec la dépression,  » beaucoup de médecins ont quitté le Liban « , souligne Michael Cherfan, responsable libanais d’un centre ophtalmologique à Beyrouth qui a ouvert une succursale à Bagdad. 

L’ouverture de l’antenne irakienne l’année dernière a permis aux patients irakiens de s’épargner le voyage à Beyrouth. Mais elle constitue aussi pour les médecins libanais un bon moyen de compenser les pertes financières qu’ils subissent en restant au Liban.  » Nos médecins viennent ici (à Bagdad) à tour de rôle. Chaque semaine, un ou deux médecins viennent faire passer des examens et opérer des patients « , explique M. Cherfan. L’argent, même s’il permet de le faire vivre lui et sa famille, est loin de suffire à Akram Johari. Il se rend au moins une fois par mois au Liban. Mais  » je suis triste de ne pas avoir ma fille de deux mois à mes côtés « , soupire-t-il.

Départs pour le Djihad

Les Libanais qui rejoignent l’Irak le font parfois avec  des arrière penses moins avouables. Avant la crise que connait le Liban depuis trois ans, les quartiers misérables de Tripoli, la grande ville sunnite au Nord du Pays étaient un vivier de militants responsables d’attaques contre l’armée et impliqués dans des activités terroristes.  Des dizaines d’autres jeunes hommes, tous originaires de ces banieues, auraient été incités à rejoindre l’EI pour des « motifs financiers« , selon une source sécuritaire, dans un pays en proie à une crise économique sans précédent. D’après cette source, l’EI leur promettrait jusqu’à « 5.000 dollars par mois« , alors que le salaire mensuel minimum dépasse à peine les 30 dollars au Liban. 

Depuis août 2021, ils seraient environ une cinquantaine à avoir quitté le Liban.c’est peu, mais c’est beaucoup s’ils reviennent endoctrinés et armés dans le Nord du pays.