Les héritiers de Rafic Hariri reprennent du poil de la bête

Fondé dans les années 1990 par Rafic Hariri, homme d’affaires influent et ancien Premier ministre du Liban assassiné le 14 février 2005, rappellent nos confrères du site libanais partenaire de Mondafrique « Ici Beyrouth » le Courant du futur est revenu sur la scène politique libanaise, après une pause de trois ans décidée par son chef, Saad Hariri.

Après avoir longtemps dominé la scène politique locale, le parti se trouve aujourd’hui dans une phase transitoire qui devrait lui permettre de reprendre son rôle d’antan. Zoom sur un parti, dont le repli temporaire avait laissé la communauté sunnite libanaise orpheline.

Après l’assassinat de Rafic Hariri, en 2005, son fils Saad a repris le flambeau et réussi à affirmer le rôle du courant comme principale force politique représentant la communauté sunnite libanaise. Le parti a occupé une place centrale de la scène politique, notamment après la Révolution du Cèdre, en 2005, qui a conduit au retrait des troupes syriennes après près de trois décennies d’occupation.

Principes politiques et alliances

Le Courant du Futur a toujours été un fervent défenseur de la souveraineté et de l’indépendance du Liban, appelant à l’instauration d’un État fort et fonctionnel. Même durant la période dite de “la tutelle” syrienne, il a réussi à maintenir ses distances avec Damas et ce n’est qu’après l’assassinat de son fondateur qu’il a basculé dans l’opposition, luttant contre l’influence de la Syrie et de l’Iran dans le pays.

Sur le plan économique, le parti a promu une vision libérale, axée sur le développement, grâce notamment aux initiatives du secteur privé, et l’intégration du Liban dans l’économie mondiale.

Avec Rafic Hariri, le Courant du Futur s’est imposé comme une force politique modérée majeure, incarnant un leadership sunnite dépassant les frontières nationales.

Ce succès sur la scène politique a été perçu comme une menace par l’ancien régime Assad en Syrie et le Hezbollah libanais. L’engagement de Rafic Hariri en faveur d’un rétablissement de la souveraineté libanaise et son rapprochement de l’opposition chrétienne et de l’Occident, pour essayer de soustraire le Liban à l’influence syro-iranienne, ont accentué les tensions et motivé son assassinat dans lequel la Syrie et le Hezbollah ont été pointés du doigt. Le Tribunal spécial pour le Liban, établi par l’ONU, a d’ailleurs confirmé l’implication de cadres du Hezbollah dans l’attentat.

Son assassinat a créé une onde de choc qui a conduit au retrait des troupes syriennes du Liban et à la formation de l’Alliance du 14 mars dont le Courant du Futur était une composante majeure.

Cette alliance, réunissant des partis politiques souverainistes et des acteurs de la société civile, a défendu avec acharnement l’indépendance du Liban et lutté contre l’influence syro-iranienne sur le pays, à travers les alliés locaux de cet axe.

Tout au long de son histoire, le Courant du Futur a entretenu des relations étroites avec les puissances occidentales et les pays du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite, principal soutien du parti et de la famille Hariri. Il s’est également imposé comme un opposant de premier plan au Hezbollah et à l’Alliance du 8 mars, considérant ces forces comme des menaces majeures pour la souveraineté, la stabilité et la sécurité du Liban.

Déclin et retrait politique

Par la suite, les choses devaient changer. Au nom d’une realpolitik et alors que les crises politiques se succédaient dans le pays, le Courant du Futur, sous la direction de Saad Hariri, a composé avec les alliés de l’axe syro-iranien, notamment le Courant patriotique libre. Ce dernier a cautionné les armes du Hezbollah à des fins qui lui sont propres, contribuant ainsi à la montée en puissance de la formation pro-iranienne et à l’affaiblissement du poids des sunnites dans le paysage politique libanais. Grâce à cette alliance, le CPL a réussi à hisser son fondateur, Michel Aoun, à la tête de l’État, à obtenir un bloc parlementaire consistant et à avoir la majorité au sein des gouvernements du mandat Aoun, dont Saad Hariri a été deux fois le chef.

Ses relations avec l’Arabie saoudite avaient entre-temps commencé à se dégrader à cause de ses choix politiques. Sous l’impulsion de son chef, le Courant du futur a également pris ses distances par rapport à ses alliés souverainistes qui critiquaient ses choix. Aux élections parlementaires de 2018, il a subi un sérieux revers, lequel a confirmé son déclin. Déclin qui a culminé avec la décision de son chef de se retirer “temporairement” de la vie politique, en janvier 2022, alors que le Liban était en pleine crise économique et financière sans précédent. Toutes les activités du parti ont été suspendues. Il a été interdit à ses membres de se présenter aux élections de 2022, interdiction qui a toutefois été bravée par quelques faucons.

Les défis auxquels le Courant du Futur a été confronté ont été aggravés par l’effondrement économique du Liban et l’évolution des dynamiques de pouvoir dans la région. Le paysage politique du pays s’est aussi profondément polarisé.

La suspension de ses activités politiques, en janvier 2022, a été par ailleurs perçue comme une réaction aux pressions externes exercées par certains acteurs régionaux.

Situation actuelle et perspectives d’avenir

Le Courant du Futur est certes inactif depuis trois ans, mais il a conservé une certaine influence à travers ses anciens responsables et alliés politiques. D’anciens ministres et parlementaires issus du mouvement continuent de jouer un rôle sur la scène politique libanaise bien que leur poids politique se soit considérablement affaibli.

Malgré les défis, l’héritage du Courant du Futur en tant que défenseur de la souveraineté et de l’indépendance du Liban subsiste auprès d’une importante partie de la population.

Aujourd’hui, les dynamiques régionales ont radicalement évolué, avec notamment la chute du régime syrien, la neutralisation par Israël du Hezbollah et du Hamas et l’affaiblissement conséquent de l’influence iranienne.

Autant de facteurs qui justifient un retour du Courant du Futur sur la scène locale, pour contribuer au processus de redressement du pays. Saad Hariri l’a pratiquement annoncé en affirmant d’emblée vouloir s’engager dans les municipales, prévues en mai, devant ses partisans venus par milliers, place des Martyrs, pour la 20e commémoration de l’assassinat de son père.

Il a insisté sur le fait que “le projet de Rafic Hariri” se poursuivra. “Les partisans de Rafic Hariri sont toujours là et son mouvement restera celui de la modération, de la reconstruction, de l’arabité, de la modernité, de l’ouverture et de la coexistence entre tous les Libanais”, a-t-il dit. Il a mis en avant la nécessité de rétablir de bonnes relations avec les “frères arabes” et d’édifier “un État normal au sein duquel les armes sont exclusivement entre les mains de l’armée et des forces de sécurité légitimes”.

L’histoire du Courant du Futur illustre la complexité du système politique libanais, marqué par des alliances fluctuantes, des pressions régionales et des divisions internes qui ont contribué à un déclin progressif. Son avenir dépendra de sa capacité à s’adapter aux crises politiques en cours et à retrouver une place significative dans un paysage politique profondément fragmenté.