Le 15 septembre 2020, les Émirats arabes unis, Bahreïn et Israël signaient à Washington des traités de paix. Des accords de normalisation avec le Maroc et le Soudan ont suivi.
Les Accords d’Abraham ont été salués comme une étape monumentale vers la paix, un pont jeté par-dessus le gouffre de l’histoire, reliant Israël au monde arabe. Pourtant, célébrer ces accords sans esprit critique, c’est mal comprendre leur nature—confondre une transaction éphémère avec une union authentique.
Une chronique de Magali Rawan
Ils ressemblent moins à une alliance fondée sur la permanence et le sacrifice partagé qu’à une « pilegesh » dans la tradition juive, ou à leurs équivalents dans les « mariages de plaisir » du mut’ah et du misyar dans la pratique islamique. Une pilegesh, comme on la connaissait dans le judaïsme ancien, était un partenariat dénué de la permanence et des responsabilités du mariage, une relation née de la commodité et de l’utilité, non de la fidélité. Ainsi en est-il des Accords d’Abraham—un pacte fugace bâti sur le sable du pragmatisme, dépourvu des racines nécessaires à une paix durable.
Ces accords ont été conçus sur le présupposé erroné que la question palestinienne pouvait être contournée, que le sujet central à la conscience arabe et islamique pouvait être réduit à l’insignifiance. Ce que ces accords ont offert en spectacle diplomatique, ils l’ont manqué en substance. Ils ont fourni à Israël une normalisation sans réconciliation, une victoire dans l’optique de la diplomatie mais un échec dans le traitement du cœur moral et politique de l’instabilité régionale. Au lieu de panser les vieilles plaies, les accords ont permis à Israël de renforcer l’occupation et d’étendre les colonies tout en fragmentant davantage le monde arabe.
Les Accords d’Abraham ont effectivement démantelé l’effet de levier collectif arabe qui défendait autrefois la cause palestinienne. La solidarité arabe, aussi fragile qu’elle était, offrait au moins un semblant de résistance aux politiques israéliennes d’expansion et de dépossession. En concluant des accords de normalisation sans obtenir de concessions pour les Palestiniens, les États signataires ont approuvé les politiques israéliennes d’annexion, de violence des colons et d’agressions militaires. Le gouvernement de Netanyahu, enhardi par cette normalisation et par des accords de paix antérieurs imparfaits comme celui d’Oslo, a clairement indiqué qu’il n’y aura jamais d’État palestinien. L’annexion des territoires syriens ajoute, dernièrement, une couche supplémentaire d’instabilité et de dépossession, compliquant encore davantage une région déjà volatile.
La tendance de la politique israélienne souligne l’intransigeance au cœur de ces accords. Depuis la fin du mandat d’Ehud Barak en tant que Premier ministre en 2001, le paysage politique israélien a radicalement basculé vers la droite. Le Parti travailliste, autrefois architecte des premières années d’Israël, est tombé dans une quasi-irrelevance. La mainmise de Netanyahu sur le pouvoir symbolise cette nouvelle ère, où la rhétorique de la sécurité et de l’alarme démographique l’emporte sur toute prétention au compromis. Sous sa direction, Israël s’est consolidé comme un État-forteresse, étendant les colonies, rejetant le dialogue et exploitant les divisions régionales. Les Accords d’Abraham s’inscrivent parfaitement dans cette vision—un triomphe diplomatique conçu pour perpétuer le statu quo, et non le remettre en question.
Le rôle de Washington dans ce récit reflète une continuité bipartite qui prioritise les intérêts israéliens avant tout. L’administration Trump a peut-être donné naissance aux Accords d’Abraham, mais l’administration Biden les a nourris, doublant un cadre qui marginalise les droits des Palestiniens. Cet alignement bipartite révèle les limites de la diplomatie américaine—une vision qui équivaut la sécurité israélienne à la paix régionale, tout en ignorant l’instabilité plus large qu’une telle approche engendre. Les États-Unis, aveuglés par leur calcul stratégique, ont traité les accords comme un raccourci vers la paix, contournant les complexités de la dépossession palestinienne.
Les attaques du 7 octobre et la violence subséquente à Gaza ont révélé la fragilité de cet arrangement. La guerre à Gaza a ravivé la question palestinienne sur la scène mondiale, dévoilant l’illusion que les Accords d’Abraham pouvaient contourner ce conflit persistant. L’Arabie saoudite, autrefois proche de la normalisation, a changé de position, exigeant des concessions significatives pour les Palestiniens. Le conflit a également exposé les fondations fragiles d’alliances bâties sur la commodité plutôt que sur une vision partagée. Les Accords d’Abraham, malgré tout leur battage médiatique, ne peuvent masquer la volatilité qui persiste lorsque la question palestinienne est ignorée.
La stratégie d’Israël—par conception ou par défaut—est une stratégie de fragmentation. Les accords ont approfondi les divisions au sein du monde arabe, créant des sous-alliances et des rivalités qui diluent toute pression collective sur Israël. Le Qatar s’aligne avec la Turquie contre les Émirats arabes unis ; l’Arabie saoudite suit son propre chemin prudent. Quant au Yémen, à la Libye, à l’Irak, à la Syrie et au Liban, ce sont des États brisés et en guerre. Ce paysage fracturé bénéficie à Israël, lui permettant de manœuvrer sans entrave par le spectre d’une unité arabe. Les accords de normalisation, loin de favoriser la paix, servent à isoler davantage la cause palestinienne, affaiblissant les derniers vestiges de résistance arabe collective.
Démographiquement, les défis d’Israël sont immenses. La croissance de la population arabe à l’intérieur des frontières d’Israël, couplée au glissement idéologique de sa population juive vers la droite, façonne ses politiques de plus en plus rigides. Les Accords d’Abraham, dans ce contexte, sont moins une question de paix qu’une question de consolidation—un moyen de garantir la domination d’Israël tout en marginalisant les Palestiniens. L’expansion des colonies, l’annexion des terres et l’ingénierie démographique ne sont pas des anomalies ; ce sont les marques d’un État qui se prépare à un conflit perpétuel, et non à la coexistence.
Si les Accords d’Abraham doivent transcender leurs limites actuelles, ils doivent évoluer vers quelque chose de plus substantiel. Le chemin à suivre exige de s’attaquer aux causes profondes du conflit. Le droit palestinien à un État ne peut être rejeté comme un inconvénient ; il doit être central dans toute vision de la paix. La communauté internationale, en particulier les États-Unis, doit adopter une approche plus équilibrée, une approche qui prioritise la justice et la stabilité plutôt que des intérêts stratégiques étroits. Les États arabes, également, doivent résister à l’attrait des gains bilatéraux au détriment de la solidarité collective. Sans ces changements, les Accords d’Abraham resteront ce qu’ils sont aujourd’hui : un arrangement passager de commodité, incapable d’offrir la paix durable dont la région a désespérément besoin.
L’histoire ne jugera pas ces accords par les cérémonies qui ont accompagné leur signature, mais par leur impact sur la vie de ceux qui sont les plus touchés par le conflit. Sous leur forme actuelle, ils reflètent non pas le courage des artisans de paix mais le cynisme du pouvoir—un arrangement transactionnel et temporaire, indigne de la permanence et de la responsabilité qu’exige une véritable paix.