Les Bipeurs piégés au Liban: des sociétés identifiées, mais aucun responsable

Une fois de plus, les Libanais ont été secoués par une nouvelle vague d’explosions qui ont frappé, mercredi après-midi, différentes régions. Cette fois, ce sont des talkies-walkies du Hezbollah et, plus précisément des Icom IC-F2100DT VHF, qui sont à l’origine des détonations. Ils auraient été conçus par Icom Inc. (Aikomu Kabushiki-gaisha), un fabricant japonais d’équipements d’émission et de réception radio. Fondée en 1954 par Tokuzo Inoue, l’entreprise s’appelait  » Inoue « . 

Un article d’Ici Beyrouth, site partenaire de Mondafrique

Natasha Metni Torbey 

Norta Global Ltd est le nouveau nom apparaît dans le dossier des bipeurs piégés ayant explosé mardi au Liban, causant la mort de 12 personnes et blessant plus de 3 000 autres, majoritairement des combattants du Hezbollah. Selon des informations relayées par le média hongrois Telex, c’est cette entreprise bulgare, fondée le 14 avril 2022 (soit un mois après la création de la société hongroise de conseil en relations publiques, BAC Consulting Kft) qui serait derrière l’accord pour la fabrication des bipeurs.

Basée à Sofia, Norta Global Ltd.appartient à Rinson Jose, d’origine norvégienne.Elle est enregistrée, avec 196 autres groupes, auprès d’un prestataire de services de domiciliation. Toujours selon Telex, c’est cette entreprise qui aurait acheté les appareils à Gold Apollo, une société taïwanaise, pour ensuite les livrer et les vendre au Hezbollah. Ici Beyrouth a pu confirmer, grâce à une source proche du dossier, que Norta Global Ltd. avait bien entrepris l’achat des bipeurs. Spécialisée dans la gestion technologique de projets, l’entreprise ne produit pas d’appareils de communication. Aurait-elle joué le rôle de société écran ?

Circulez, il n’y a rien à voir

Face aux soupçons grandissants concernant l’implication de l’entreprise bulgare dans cette affaire inédite, Sofia a annoncé, selon Reuters, qu’elle enquêterait sur les liens entre Norta Global Ltd. et les appareils de communication ayant explosé au Liban. Les deux autres sociétés impliquées dans cette affaire ont, quant à elles, rapidement rejeté toute responsabilité.

Dans un communiqué publié mercredi, le groupe taïwanais Gold Apollo a attribué la fabrication des bipeurs piégés — qui portaient sa marque — à la société hongroise BAC Consulting Kft. »En vertu d’un accord de coopération, nous autorisons BAC Consulting Kft à utiliser notre marque pour vendre des produits dans certaines régions », peut-on lire dans le communiqué.

La société a précisé que la conception et la fabrication des marchandises relèvent de la responsabilité exclusive de BAC Consulting Kft.
Le directeur de Gold Apollo, Hsu Ching-Kuang, a également déclaré : »Notre entreprise n’accorde que l’autorisation d’utiliser la marque et n’est pas impliquée dans la conception ni dans la fabrication de ces bipeurs », avant d’ajouter fermement : « Ce ne sont pas nos produits du début à la fin. »

Le ministère taïwanais de l’Économie a, lui aussi, pris part à l’enquête, affirmant que Gold Apollo avait exporté 260.000 bipeurs entre 2022 et 2024, principalement vers les marchés européens et américains.

Le ministère a également signalé qu’aucune explosion n’avait été rapportée par rapport à ces produits, et qu’aucun document ne mentionnait une livraison de bipeurs au Liban.

La réaction de la Hongrie

Le gouvernement hongrois a lui aussi nié toute implication dans la fabrication des bipeurs piégés. Mercredi, le porte-parole du cabinet hongrois, Zoltan Kovacs, a écrit sur son compte X : BAC Consulting Kft est « un intermédiaire commercial, qui ne possède aucun site de production en Hongrie ».

Il a ajouté que « son gestionnaire est enregistré dans le pays, mais les appareils en question ne se sont jamais retrouvés sur le sol hongrois. » Kovacs faisait allusion à Cristiana Rosaria Bársony-Arcidiacono, l’unique gérante de BAC Consulting Kft, qui ne compte aucun employé.

Il a également précisé que « les services de sécurité hongrois coopèrent avec toutes les agences et organisations internationales concernées », avant de conclure : « Cette affaire ne présente donc aucun risque pour la sécurité nationale. »

Pour sa part, Mme Bársony-Arcidiacono a confirmé que BAC Consulting Kft collaborait avec Gold Apollo mais a rejeté toute responsabilité dans cette affaire.Interrogée par la chaîne américaine NBC News à propos des explosions, elle a répondu : « Je ne fabrique pas de bipeurs. Je ne suis qu’intermédiaire. Je pense qu’ils se sont trompés. »

Le géant Icom impliqué ?

Mercredi, l’affaire a pris un autre tournant lorsque de nouvelles explosions ont retenti à travers le Liban, cette fois impliquant des talkies-walkies de la marque Icom. Le fabricant japonais d’équipements de communication s’est empressé de décliner toute responsabilité : « Nous avons vendu environ 160 000 talkies-walkies de ce type au Japon et à l’étranger. Cependant, la production et la vente de ces appareils se sont arrêtées en 2014 », a déclaré jeudi le directeur d’Icom, Yoshiki Enomoto. Il a ajouté : « Même s’il est possible que les IC-V82 aient été fournis par Icom, nous ne pouvons exclure la possibilité qu’il s’agisse de produits contrefaits. »

Examinant les images des talkies-walkies piégés qui ont circulé mercredi après les explosions, Enomoto a expliqué que les dommages subis par les batteries pouvaient indiquer qu’elles avaient été remplacées par d’autres, destinées à exploser.Il a précisé qu’il serait difficile de déterminer les canaux de distribution sans vérifier les numéros de série. Selon Icom la radio portative IC-V82 a été exportée vers le Moyen-Orient entre 2004 et 2014.

La défausse des autorités libanaises 

Dans une interview accordée à la chaîne locale MTV, le ministre sortant des Télécommunications, Johnny Corm, a assuré que « les appareils explosifs n’ont pas été introduits au Liban par l’intermédiaire d’un agent ni par le ministère », confirmant ainsi indirectement la contrebande orchestrée par le Hezbollah au Liban. Il a également signalé que le fabricant avait cessé de produire ces appareils depuis plusieurs années.

Ogero la compagnie publique chargée de la gestion des services de téléphonie fixe et d’internet au Liban, a déclaré « n’avoir enregistré aucune violation du réseau national par Israël ou par toute autre partie » et que ses équipes techniques « travaillent 24 heures sur 24 pour le protéger ».

Entre-temps, le Hezbollah mène sa propre enquête pour identifier les failles ayant conduit aux explosions survenues mardi et mercredi’’.