Dans une atmosphère chargée d’anticipation, les Libanais retiennent leur souffle alors que Hassan Nasrallah, la figure emblématique du Hezbollah, se prépare à prendre la parole le 3 novembre, une première depuis l’escalade des tensions entre Israël et le Hamas le 7 octobre. Cette intervention, prévue lors d’une commémoration pour les « martyrs », survient dans un contexte de silence pesant, qui a nourri de nombreuses conjectures sur les stratégies futures du Hezbollah face à Israël.
Pour l’instant, le Hezbolllah qui s’est construit une légitimité au Liban sur sa capacité de « résistance » au sionisme, s’est contenté d’échanger quelques tirs de roquette avec l’armée israélienne, dont 40% des effectifs (soit 200000 soldats) sont massés au Nord du pays pour contrer toute éventuelle attaque des 18000 combattants du mouvement chiite libanais. La force de frappe du parti de Hassan Nasrallah est près de dix fois supérieure à celle du Hamas. Toute décision d’entrer dans la guerre actuelle signifierait un embrasement du conflit à toute la région dont les conséquences seraient incalculables et dramatiques pour le Liban.
D’après un sondage publié par la presse libanaise la plus proche du Hezbollah, 67% des Libanais, épuisés par une crise sans précédent, une absence de Président depuis un an et une fragilité communautaire extrême, sont hostiles à tout engagement de leur pays dans le conflit, même si une grande majorité des citoyens de ce pays soutient la cause palestinienne.
Cette donnée fondamentale pourrait amener le chef du Hezbollah à demeurer dans le flou qu’il a observé pour l’instant. Il risquerait en effet, en affichant des positions plus tranchées, de sortir politiquement très diminué face à l’opinion publique libanaise, alors qu’il revendique désormais une place centrale au sein de la vie politique du pays du Cèdre.Toute la difficulté pour le leader chiite devrait être de délcarer la guerre à Israël, mais sans la faire.
Sans doute Hassan Nasrallah devrait-il se souvenir de la maxime du Cardinal de Retz: « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ».
Voir ci dessous l’article de Belinda Ibrahim (« Ici Beyrouth »)
La brève apparition de Nasrallah, capturée dans une séquence de dix secondes où on le voit déambulant résolument devant l’emblème reconnaissable du mouvement, a suffi à galvaniser ses partisans et à terroriser ses opposants. Publiée le 29 octobre, cette vidéo a aussitôt enflammé les réseaux sociaux, exacerbant les tensions et les attentes au Liban. Depuis, une série, comportant des messages subliminaux, a suivi, étoffant le mystère et ravivant les inquiétudes. Un peu comme le trailer d’un film à suspense.
Il faut souligner que l’absence de déclarations précédentes de Nasrallah laisse place à une myriade d’interprétations sur la possibilité d’une nouvelle frontière de combat s’ouvrant contre l’État hébreu. Tandis que ses mots sont vivement attendus, oscillant entre la fièvre de l’espérance et le vertige du doute, il est indéniable que son allocution pourrait soit consolider le front de la résistance, soit, selon les observateurs, risquer la stabilité du pays déjà éprouvé par une crise profonde.
Les adeptes les plus intransigeants du mouvement, fervents défenseurs de la cause palestinienne et animés par une hostilité envers Israël, manifestent leur incompréhension face à la réticence perçue du Hezbollah à engager le combat contre ce qu’ils nomment « l’ennemi sioniste », notamment depuis l’offensive terrestre en territoire gazaoui. Ils brandissent le slogan « Ô Nasrallah, frappe Tel-Aviv » lors de rassemblements publics et des obsèques, alors que l’écho de ce cri de guerre se propage jusque dans les mélodies diffusées sur les réseaux sociaux à destination de leurs abonnés.
Selon Nancy Ezzeddine, analyste au think tank néerlandais Clingendael, une escalade du conflit pourrait précipiter le Liban dans une guerre dévastatrice, mais une réponse modérée pourrait affaiblir l’autorité morale du Hezbollah, sa légitimité et sa force mobilisatrice. Ainsi, le discours du leader du Hezbollah est lourd d’enjeux, à la croisée des chemins entre la solidarité de sa base et les impératifs stratégiques dans une région secouée par l’instabilité.
La guerre psychologique…
La guerre psychologique est une composante de la guerre qui vise à influencer la psychologie de l’adversaire ou du public en général. Elle peut impliquer la diffusion de la propagande, l’intimidation, la dissuasion. Dans le cas de Nasrallah, ses discours sont souvent analysés pour leur contenu en matière de menace, de persuasion et de signaux envoyés tant à ses partisans qu’à ses ennemis. En sus, l’anticipation d’un discours génère incertitude et anxiété auprès des opposants du Hezbollah. La spéculation sur le contenu occupe les médias et les analystes, créant de facto un climat psychologique tendu. De même, en analysant les discours et déclarations précédents de Nasrallah, on peut déduire des thèmes récurrents qui révèleraient ses stratégies de guerre, qu’elles soient psychologiques ou réelles. En s’adressant ainsi à la population civile, Nasrallah cherche à galvaniser le soutien des siens et à imposer à ses détracteurs la perspective d’une guerre potentielle.
Ce discours très attendu peut également être destiné à façonner les perceptions internationales et à tester les réactions des gouvernements étrangers, qui pourraient ajuster leur politique ou leur rhétorique en conséquence. Aussi, le choix du moment et du canal pour un discours, ainsi que la manière dont il est diffusé font partie de la mise en scène. Enfin, la rhétorique utilisée, les symboles et les références historiques ou religieuses jouent également un rôle non négligeable dans la guerre psychologique, en renforçant l’identité du groupe et légitimant ainsi les actions et les objectifs du Hezbollah.
En attendant Godot…
En attendant que le ciel nous tombe (ou pas) sur la tête, le sud du Liban demeure le théâtre de confrontations quotidiennes impliquant le Hezbollah et les groupes palestiniens d’un côté, face à l’armée israélienne de l’autre. Jusqu’ici, un semblant de stabilité est maintenu, les deux camps observant scrupuleusement les règles d’engagement établies. Cette fragile quiétude est cependant susceptible de basculer, à l’approche ou dans le sillage de l’allocution très attendue de Nasrallah, prévue demain vendredi.
Dans ce climat de vigilance, où chaque partie mesure ses actions, le statu quo précaire pourrait être mis à l’épreuve. Les déclarations prochaines de Nasrallah pourraient redéfinir les paramètres de l’affrontement en cours, voire en dessiner de nouveaux contours. L’ensemble de la région retient son souffle, dans l’attente des mots qui pourraient soit apaiser, soit exacerber les tensions palpables sur cette ligne de démarcation historiquement volatile.