La chute du régime de Bachar el-Assad prive le Hezbollah de son principal soutien régional et ébranle son hégémonie. Affaiblie militairement, isolée politiquement, la milice pro iranienne traverse l’une des pires crises de son histoire.
La chute de Bachar el-Assad, renversé dimanche dernier par l’opposition armée syrienne, est un coup de tonnerre pour le Moyen-Orient. C’est aussi un séisme politique pour le Hezbollah, qui perd bien plus qu’un allié de circonstance. Le parti chiite est privé d’un soutien stratégique vital, au moment où il est déjà affaibli par une guerre destructrice contre Israël.
Depuis sa création dans les années 1980, le Hezbollah a toujours bénéficié de l’appui indéfectible du régime syrien. Damas a très tôt noué un partenariat étroit avec l’Iran, principal parrain de ce parti. Cette alliance a permis au Hezbollah de faire transiter ses armes via le territoire syrien et d’établir de véritables sanctuaires en Syrie, hors d’atteinte d’Israël.
La présence militaire syrienne au Liban jusqu’en 2005 a aussi grandement favorisé l’essor du Hezbollah sur la scène intérieure. Le régime de Damas s’est employé à affaiblir les rivaux sunnites et druzes du parti chiite avec la complicité des services secrets syriens. Il a aussi veillé à ne jamais appliquer les dispositions de l’accord de Taëf qui prévoyaient le désarmement de toutes les milices après la guerre civile libanaise.
Ce soutien syrien a pris une dimension existentielle pour le Hezbollah après le début de la révolte anti-Assad en 2011. Le parti chiite pro iranien s’est directement engagé dans la guerre civile aux côtés du régime pour écraser le soulèvement populaire. Ses combattants aguerris ont épaulé l’armée syrienne, parfois jusqu’à prendre le contrôle de régions frontalières comme celle de Qousseir.
Avec la chute de Damas, le Hezbollah se retrouve totalement privé de ce précieux appui, et ce au pire moment. La guerre avec Israël a coûté la vie à son secrétaire général Hassan Nasrallah, à des milliers de combattants et causé de lourds dégâts dans ses bastions du Liban-Sud et dans la banlieue de Beyrouth.
Le nouveau pouvoir syrien issu de l’opposition ne fera preuve d’aucune mansuétude envers le Hezbollah, honni pour son rôle dans la répression sanglante de la révolte. Le corridor logistique syrien sera fermé, coupant le parti de son approvisionnement vital en armes iraniennes. Les installations du Hezbollah en Syrie seront menacées voire détruites.
C’est tout l’axe de résistance anti-israélien et anti-occidental, allant de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas, qui s’effondre tel un château de cartes. Le Hezbollah en était la clé de voûte et il vacille dangereusement. Sa capacité de nuisance envers Israël et ses adversaires libanais est incontestablement réduite.
Sur le plan politique interne libanais, le parti chiite est également en grande difficulté. Ses bastions du sud et de l’est, exsangues et meurtris par les combats, grondent de colère et de ressentiment envers le Hezbollah, tenu pour responsable de leurs malheurs. Le prestige et la popularité du parti sont en berne.
A l’inverse, les adversaires historiques de la milice pro iranienne, les partis sunnites et chrétiens longtemps marginalisés, relèvent la tête. Ragaillardis par la chute de Damas, forts du soutien de puissances régionales, ils défient l’hégémonie du Hezbollah et réclament son désarmement. Celui-ci apparaît de plus en plus comme une milice illégitime aux ordres de puissances étrangères.
Face à ces défis existentiels, le Hezbollah, privé de leaders charismatiques, semble sonné et peine à réagir. « Le parti est confronté à une transformation majeure, dangereuse et nouvelle », reconnaît le député du Hezbollah Hassan Fadlallah. Une transformation qui le fragilise comme jamais depuis sa création.
L’avenir du Parti de Dieu, et son maintien au sommet de la pyramide du pouvoir libanais, dépendent plus que jamais des décisions qui seront prises à Téhéran. Malgré ses revers, le Hezbollah reste le principal relais de l’influence iranienne au Liban et un levier d’action essentiel face à Israël. Un atout que les Gardiens de la Révolution iraniens ne sont pas prêts à sacrifier.
Téhéran va sans doute pousser le Hezbollah à accélérer sa mue politique pour s’adapter au nouveau contexte régional, quitte à devoir mettre provisoirement sous le boisseau ses activités militaires et accepter, en façade du moins, de jouer le jeu institutionnel libanais. Mais il est peu probable que l’Iran lâche complètement son bras armé libanais.
Le Hezbollah, affaibli mais pas moribond, va devoir faire preuve d’agilité et de pragmatisme pour ne pas être emporté par la vague de changement qui déferle sur la région.