Liban, la ville de Beyrouth est désormais dévastée

 Alors que le ministre israélien des Affaires Étrangères israélien vient de menacer le Liban d’une « guerre totale », Beyrouth est d’ores et déja une ville saccagée, désertée et semée d’embuches pour tout  promeneur qui tente de la  traverser à pied la capitale libanaise.

La Place des Martyres, dite aussi Place des Canons, qui fut le théatre des mobilisations populaires en 2019-2021, est dévastée

Beyrouth n’est plus Beyrouth. Ou du moins la ville a repris l’allure fantomatique que les Libanais lui ont connu durant la guerre civile après 1976 où, à deux pas de la ligne de démarcation entre chrétiens et musulmans,  il ne faisait pas bon de se promener. Ce n’est pas qu’aujourd’hui les heurts aient repris entre communautés ou que la délinquance soit menaçante. C’est pire que cela. Le centre ville est déserté parce que les magasins sont vides, les rues peu ou pas éclairées, les restaurants trop chers quand le dollar vaut 25000 livres libanaises (contre 1500 avant la crise), les files interminables devant les postes d’essence, saut pour quelques pistonnés, et les appartements souvent vides, les volets fermés. Les transactions immobilières ont chuté de moitié et les dépenses de fuel sont souvent égales au cout du loyer..

 Des trottoirs peu hospitaliers 

Les trottoirs à Beyrouth n’existent plus. Partout, l’espace où déambuler est dévoré par les détritus, les gravats, les chantiers inachevés, les fils électriques qui pendent des générateurs électriques et les parkings sauvages que des gangs locaux ont accaparé pour gérer le stationnement des voitures. Sans parler de la mendicité omniprésente dans un pays qui accueille deux millions de réfugiés et où 80% des habitants vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté. Le pays compte un million et demie de réfugiés syriens. La moitié des enfants de ces migrants en âge d’être scolarisés ne le sont pas.

Les grandes ONG estiment qu’il s’agit là d’un ration honorable. Le promeneur qui croise ces gamins désoeuvrés, dont beaucoup mendient, peut être d’un autre avis  . 

Entre gravats, détritus et voitures, l’espaace du trottoir a été sacrifié

 

Une m§re syrienne et son enfant au coeur du quartier le plus huppé de Beyrouth.
Deux jeunes syriens tentant detrouver quelques pépites dans les détritus qui jonchent le sol

Partout, des bâtiments dévastés

Beyrouth porte encore les stigmates de la terrible explosion du Port, le 4 août 2020, plus de deux cent morts et six mille blessés. Pour ne pas évoquer ces innombrables chantiers de rénovation stoppés nets en raison de la crise financière.  

Partout des immeubles dévastés qui portent les stigmates de la terrible explosion d’août 2020
Quelques rares enseignes en français rappellent, au coeur du quartier chrétien, que le Liban était francophone
A l’entrée de la place des Martyres, une petite église arménienne est en travaux…depuis la guerre civile voici près de quarante ans
Sur la place des Martyres au coeur du « centre ville », un bâtiment a parfaitement résisté: la mosquée monumentale, ni vraiment belle, ni carrément moche, qui a été construite par Rafiq Hariri, grand bâtisseur et ancien Premier ministre assassiné en 2005. 
La grande mosquée d’Hariri, place des martyres, à deux pas de sa tombe

Les traces des mobilisations passées

Le promeneur solitaire pourrait assez vite basculer dans une mélancolie profonde. Heureusement, des peintures murales plus poétiques les unes que les autres permettent de retrouver un souffle de vie. Autant de traces écorchées d’un peuple à bout.

Voici désormais muré le point de confrontation entre les forces de l’ordre qui défensadent le Parlement, symbole de la gabegie de la classe politique et les milliers de libanais qui contestèrent deux années durant le système.

 

Geaucou d’inscritions de cette jeunesse descendue dans la rue sont en arabe ou en anglai, peu en français

Des citadelles assiégées

Ce qui finit par égarer le promeneur dans Beyrouth, ce sont ces barricades que les grands féodaux du pays ont installé pour se protéger d’un peuple à bout de nerfs depuis les premières grandes manifestations de 2015 contre -déja- le non ramassage des ordures ménagères et leur incinération aux abords de la ville.

La médaille d’or de l’accaparement du domaine public revient au président du Parlement, Nabih Berri. Chef depuis quarante ans d’un des deux partis chiites, le mouvement Amal,  et grand affairiste devant l’éternel, ce vieux politicien est en effet parvenu, à deux pas du souk et de la grande Mosquée, à s’approprier plusieurs hectares cadenassés par des murs, des barrières et des grillages sur lesquels veillent près d’un millier de gardes (certains disent trois ille), payés par l’Etat mais recrutés au sein du mouvement Amal, officiellement pour protéger la représentation nationale, en fait pour protéger Monsieur Berri et ses amis 

Des barrières partout empêchent le passage
Autre obstacle de ce parcours du combattant, des panneaux de bois, qui ont été peints aux couleurs de la Révolution, ont été dressés tout autour du « Sérail », le Palais du  gouvernement devenu une forteresse imprenable. La nuit, aucune lumière ne vient éclairer des rues désertes  et sombres qui entourent ces bâtiments seuls à être éclairés. On a vite fait de se fouler un pied sur l’asphalte crevassé de la ville abimée. Même la célèbre rue des Banques est plongée dans le noir, c’est dire

Beyrouth est mort, vive Beyrouth!

Le Liban est au bord de l’effondrement, mais il ne faudrait pas l’enterrer trop vite. Le pays est vacciné contre la déprime par cinquante années de guerres civiles, d’occupations étrangères, de bombardements incessants, d’assassinats politiques ciblés, d’afflux massif de réfugiés.Or ce peuple exceptionnel qui s’est tiré une sacrée balle dans le pied en tolérant trop longtemps une corruption insolente, ne baisse jamais les bras face à l’adversité. Son énergie est légendaire. La renaissance de cette ville mythique viendra, elle est toujours venue.

Face au Port de Beyrouth soufflé en quelques fractions de secondes, le 4 août, par une déflagration qui a ébranlé les habitations jusqu’au cœur de la montagne libanaise, on entend le bruit des marteaux piqueurs qui reconstruisent les appartements fracassés, sans attendre le feu vert des sociétés d’assurances qui ne viendra sans doute jamais. A la tombée de la nuit, une foule bigarrée et populaire déambule sur la corniche jusqu’à la légendaire « Grotte aux Pigeons », deux masses en calcaire immergées dans la Méditerranée.

Les familles ne s’attardent guère dans les cafés faute de moyens. 

Un théâtre d’ombres sur un baraquement en bois montre des ouvriers au travail
Toujours place des Martyres, dite aussi place des Canons,  cet appel à la paix civile que les mobilisations populaires appelaient de leurs voeux

https://mondafrique.com/les-seoudiens-retrouvent-le-chemin-de-beyrouth-via-paris/

 

 

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)

1 COMMENTAIRE

  1. Le Liban n’est pas mort mais c’est vous qui le tuez avec vos propos dramatiques et plus qu’exagérés. Reprendre des soucis datant de bien avant l’explosion ne fait qu’enterrer Beyrouth, qui n’est pas si déserte et morte que ça. Aimer Beyrouth et le Liban n’est pas compatible avec l’etat des lieux que vous dressez aussi sordide et aussi biaisé sur certains points.

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