La bataille de Gaza n’a pas commencé le 7 octobre 2023

Malek El-Khoury, un membre actif de la société civile libanaise, veut croire que les rêves sont « le moteur de l’Histoire ».

La bataille de Gaza a débuté avec les Croisades voici une presque dix siècles. La Première Croisade (1095) et les suivantes s’opposèrent principalement aux Turcs, mais aussi à toutes les populations orientales. Ces guerres furent sanglantes, souvent sauvages, probablement pour des raisons économiques et de luttes de pouvoir (entre autres la domination de la Méditerranée). Les premiers grands conflits entre l’Occident chrétien et l’Orient multireligieux apparurent. Cela sous un couvert religieux, malheureusement.

Parallèlement à ces conquêtes, naquit l’empire Ottoman qui régna pendant 6 siècles principalement en Orient avec des incursions en Occident. Dès la fin du 17ème siècle, quand l’empire multi-ethnique, multiculturel, multireligieux commença à décliner, il se transforma petit à petit en un empire musulman pour faire face aux nouvelles puissances occidentales judéo-chrétiennes. Encore des conflits sous le couvert de la religion.

Dès le début du déclin de cet empire, les Puissances occidentales signèrent les Capitulations (terme qui porte bien son nom) qui, sous le prétexte de défendre leurs citoyens, chrétiens, s’immiscèrent dans les affaires de « l’Homme Malade ». Ces Puissances coloniales préparaient déjà l’après-Empire.

Le sionisme « contre la barbarie »

Ce qui « facilita », à la fin de la Première Guerre Mondiale, la transition de la domination impériale vers celle des Puissances coloniales qui se partagèrent les régions qui dépendaient de l’Empire, du Maroc à l’Afghanistan. Au sein de cette mouvance coloniale chrétienne émergea une autre forme d’idéologie colonialiste, le sionisme, puisqu’il s’agissait de fonder un « poste avancé de la civilisation contre la barbarie » (Theodor Herzl). Le sionisme avait pour caractéristique de se baser sur une « question juive » qui rassemblerait les Juifs dans ce monde européen qui les opprimait, les excluait, les persécutait, parfois les massacrait. Toujours la couverture religieuse.

La 2nde Guerre Mondiale fut un tournant décisif pour les Puissances coloniales qui, elles aussi, étaient en crise. L’avantage des Alliés sur les pays de l’Axe était justement « d’avoir » des colonies plus importantes. Celles-ci fournirent aux Alliés les ressources humaines et matérielles pour gagner la guerre. Evidemment quand la guerre se termina les vainqueurs ne voulaient pas perdre leur domination sur ces colonies qui pourraient devenir sources de leur pouvoir et richesse futurs.

Lord Balfour, antisémite notoire

Plus particulièrement les Anglais comprirent vite l’importance du pétrole. C’est la raison pour laquelle ils se sont « attribués » le mandat sur les zones pétrolières (Irak, pays du Golfe) avec un besoin d’un accès à la mer. Le Liban et la Syrie placés sous mandat français, il restait le Golfe de Suez (déjà sous protection militaire britannique depuis la fin de la 1ère Guerre Mondiale) et la Palestine. Il fallait donc que dans ces régions-là les régimes soient donc favorables aux Britanniques pour permettre la circulation et l’exportation du pétrole produit dans les déserts arabiques. L’Egypte et les pays du Golfe ne posaient pas trop de problème. Restait la question de Palestine. Voilà une occasion unique de préserver la Palestine avec la naissance du mouvement sioniste (août 1897).

Lord Balfour, antisémite notoire, trouve dans le sionisme le moyen idéal de défendre les intérêts britanniques à long terme tout en éloignant la question juive de l’Europe. Il promet donc de « donner » la Palestine aux sionistes dès la fin de la guerre. C’est ce qui s’est passé, même s’il y a eu des conflits entre les Britanniques et les sionistes de moindre intensité que celles contre les Palestiniens. Parallèlement à cela, les diverses communautés juives occidentales (dont l’origine sémite est contestée) se mettent à acheter des terres en Palestine.

Cette solution était préférable à l’autre promesse britannique (par le biais de Laurence d’Arabie) de « donner » la Palestine (et surtout Jérusalem) aux Arabes qui avaient largement aidé les Britanniques à gagner la guerre contre l’Axe. Entre avoir des alliés dépendants, occidentalisés, provenant de cultures similaires et des alliés de culture différente, musulmane, tribale, orientale (les vieux conflits ressurgissent) qui pourraient revendiquer non seulement leur indépendance mais des droits en contrepartie des services rendus (faire la guerre à l’Axe), le choix est vite fait.

La naissance d’Israël

C’est ainsi que naquit en 1948 l’Etat d’Israël. Qui, au début ne se comporta pas tout à fait comme les Anglais l’auraient souhaité, puisque les milices terroristes sionistes se battirent contre les Anglais et les décisions internationales (entre autres en assassinant M. Bernadotte).

Depuis cette date, le bastion occidental, implanté par la force dans une région orientale, redevable à l’Occident pour son soutien, se considéra (et fut considéré) comme leur porte-parole en prenant pour cible le monde arabe, majoritairement musulman, « symbolisé » par les Palestiniens qui habitaient les terres nouvellement occupées. Afin de mobiliser des forces contre ces « barbares » (aujourd’hui ils ont été dénommés des « non-humains »), Israël utilisa son idéologie fondatrice pour mobiliser les Juifs, principalement ashkénazes (donc occidentaux) et profita du fait que l’Holocauste était bien ancré dans la mauvaise conscience occidentale. Et prôna une campagne d’un nouvel état pour les Juifs (en principe même exclusif). D’où l’amalgame (tous les amalgames sont des anomalies) entre Juif et sionisme. Encore une couverture religieuse.

Cette guerre contre les pays arabes et, surtout contre les Palestiniens dure depuis 75 ans sans aucune solution, simplement parce que l’appétit de la nouvelle idéologie colonialiste est immense (« du Nil à l’Euphrate »). Ainsi Israël (pas tous les israéliens ni tous les Juifs) n’a d’autre souci que l’expansionnisme permanent. Il faut donc rester en état de guerre perpétuel, refuser toute solution de « paix » finale, qui (dé)limiterait les frontières, et accepterait un état de Palestine, entre autres. D’ailleurs Marc Hillel écrivit en 1968 un livre qui fit beaucoup de tapage à cette époque : « Israël en danger de paix ».

Une situation coloniale

Aujourd’hui Israël, aux capacités militaires colossales militaires, peine à arriver au bout de résistants de 40 à 50000 hommes sommairement armés. Pour arriver à ses fins, il détruit tout, populations et infrastructures. Cette situation est très similaire à la situation des Français en Algérie ou des Anglais en Inde peu de temps avant la fin de la colonisation de ces deux pays. Cela ressemble aussi au taureau dans une corrida rendu furieux et extrêmement brutal après avoir été sévèrement blessé par les Picadors avant que le Matador ne vienne mette fin à la sauvagerie du taureau.

Est-on proche de la fin de l’occupation de la puissance coloniale ? Le fait que les Grandes Puissances de ce monde souhaitent revoir toute la carte du Proche-Orient et négocier le futur, non pas simplement de la Palestine, mais de toute la région est significatif de la fin d’une époque pour entrer dans une nouvelle et entamer une autre période. Remplacera-t-on un colonialisme par une autre forme de domination ? Ou, au contraire, ces régions verront-elles un avenir autonome, indépendant, radieux et prospère ? Avenir dans lequel toutes les populations et toutes les confessions pourraient vivre en harmonie. Est-ce un vœu pieux ? Probablement, mais ce sont les rêves qui sont le moteur de l’humanité.

Espérons la seconde version.