La disparition du chef du Hezbollah qui était la figure dominante et menaçante de la vie politique libanaise depuis dix ans, ouvre une nouvelle ère dans ce pays en pleine crise. Personne à Beyrouth ne pouvait anticiper une chute aussi brutale du mouvement chiite extrémiste perçu comme un rempart contre toute tentative des Israéliens d’envahir le pays du Cèdre. Le Liban fracturé comme jamais, privé de Président de la République et doté d’un gouvernement provisoire, est désormais en état de sidération. La perspective d’une offensive israélienne terrestre n’a jamais été aussi forte.
La vice-présidente américaine Kamala Harris a qualifié ce samedi le chef du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah, tué par une frappe israélienne la veille, de « terroriste avec du sang américain sur les mains ». « Aujourd’hui, les victimes du Hezbollah ont une mesure de justice », a ajouté la candidate démocrate à la Présidentielle de novembre.
La disparition brutale de Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, éliminé lors d’une frappe israélienne qui a fait 300 morts supplémentaires, suscite des sentiments ambivalents au sein de la population libanaise. Figure charismatique et controversée, adulée par les uns, honnie par les autres, Nasrallah a profondément marqué l’histoire récente du Liban de son empreinte. Son index menaçant, brandi lors de ses apparitions télévisées, symbolisait sa mainmise sur le pays du Cèdre. Aujourd’hui, cet index s’est tu à jamais, laissant le Liban orphelin de ce chef à la stature quasi-messianique pour les uns, et soulageant ceux qui voyaient en lui un tyran ayant confisqué la souveraineté de l’État.
Pour une partie des Libanais qui considérait Nasrallah comme un tyran aux ordres des mollahs de Téhéran, sa disparition est vécue comme une délivrance. Depuis 2005, le Hezbollah est accusé d’avoir éliminé plusieurs figures politiques emblématiques du mouvement d’opposition dit du 14 mars hostile à l’emprise du mouvement chiite sur tous les rouages de l’État libanais. L’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en août 2020, attribuée à des stocks de nitrate d’ammonium dont les hangars étaient sous contrôle du Hezbollah, a laissé des interrogations légitimes et des plaies béantes. Les victimes et leurs proches, une nation entière, pleurent toujours leurs morts, dans un contexte d’impunité absolue. Pour eux, la mort de Nasrallah est perçue comme une forme de châtiment.
Le guide suprême
À l’opposé, la base populaire du Hezbollah, fidèle jusqu’au martyre, voit en Nasrallah un guide suprême, un « Sayyed » auquel elle vouait un culte absolu. Pour ces partisans, lui dédier leurs enfants « morts pour le Sayyed » était un honneur ultime. La disparition de leur leader est vécue comme un séisme, un cataclysme qui les laisse orphelins et désemparés.
Chez les adversaires du Hezbollah, l’ambivalence réside dans le fait que l’élimination d’Hassan Nasrallah ait été orchestrée par l’ennemi israélien. Comment se réjouir ouvertement de ce que l’adversaire honni a accompli, même si c’est lui qui a enfin « fait le boulot » ? Cette question tourmente de nombreux Libanais, tiraillés entre le soulagement de voir disparaître celui qui étouffait leur pays et le malaise de devoir ce dénouement à Israël.
Après des années de mainmise asphyxiante du Hezbollah sur le Liban, et si l’on se surprend à souffler enfin un peu mieux après sa liquidation, l’avenir reste plus que jamais incertain. Le Liban est un pays à la dérive, sans gouvernement, tel un navire sans capitaine. Le pays manque cruellement de leaders capables de lui insuffler une nouvelle direction. La rue, si elle s’embrase, pourrait devenir le théâtre d’affrontements sanglants. Les partisans armés du Hezbollah, avides de revanche, pourraient retourner leurs armes contre leurs concitoyens, les accusant d’être des « sionistes » dès lors qu’ils osent émettre des critiques.
L’arsenal du Hezbollah
Car au Liban, critiquer Nasrallah, c’était s’exposer à être taxé de pro-israélien. Pas de nuances possibles dans ce climat de terreur et de censure imposé par le Hezbollah. Aujourd’hui, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou semble déterminé à appliquer à sa manière la résolution 1559 de l’ONU, pourtant votée mais jamais mise en œuvre, visant à désarmer les milices au Liban. Pour cela, il s’attaque à l’arsenal du Hezbollah, dissimulé dans des caches souterraines à travers tout le pays, souvent sous des habitations et dans des quartiers densément peuplés, au mépris des vies civiles.
Appliquer une résolution onusienne en détruisant le Liban et en décimant sa population, était-il le prix à payer pour s’être soumis à l’autoritarisme implacable de Nasrallah ? Cette question déchire le pays, alors que certains font déjà du chef disparu une icône, un martyr, un « saint ». Deux visions radicalement opposées qui reflètent un Liban plus fracturé que jamais.
L’armée libanaise, ultime recours
Pourtant, au cœur de ce marasme, une lueur d’espoir perce. Et si ce changement soudain pouvait être l’occasion pour l’armée libanaise de jouer enfin pleinement son rôle de garante de la souveraineté et de la sécurité du pays ? Et si le Parlement parvenait à élire un nouveau Président, et un gouvernement d’union nationale, pour sortir le Liban de l’ornière et lui permettre d’exister à nouveau en tant qu’État indépendant et souverain sur la scène internationale ?
Trop souvent, la communauté internationale, et particulièrement les pays occidentaux, tendent à amalgamer le Liban et Gaza, comme s’il s’agissait d’une seule et même entité. Or, s’ils ont en commun de subir l’agression israélienne, leur genèse et leurs réalités sont fondamentalement différentes. Le Liban est un pays indépendant qui a un président, un gouvernement, une assemblée, ses frontières, une histoire propre et surtout sa place reconnue au sein des nations. Gaza est une simple « enclave » du territoire palestinien. Cette confusion nuit gravement à la compréhension des enjeux propres au Liban !
Le pire à venir?
L’index du chef du Hezbollah ne se lèvera plus pour tracer au Liban les lignes rouges que le Liban ne devait pas dépasser tant sur le plan interne que sur le plan régional.La disparition de Hassan Nasrallah ouvre une nouvelle page de l’histoire tourmentée du Liban. Une page encore vierge, sur laquelle il appartient désormais aux Libanais d’écrire leur destin si ils ne veulent pas se retrouver un pied dans la tombe et au bord d’une nouvelle guerre civile.
L’alternative, la voici. Ou bien le Liban s’emploie à reconquérir une souveraineté que les milices armées du Hezbollah mettaient à mal. Ou bien le pays est condamné à de nouveaux affrontements inter communautaires où les militants du Parti de Dieu qui naviguent désormais sans la moindre boussole pourraient jouer la politique du pire.
Les appels à une désescalade au Liban restent lettre morte