Entre Ivoiriens et Libanais, rien ne va plus

Les rumeurs qui a couru à Abidjan de migration massive de libanais ont provoqué de vives attaques sur les réseaux sociaux contre cette communauté dont 80000 membres vivent en Cote d’Ivoire. Du coup, des blogueurs libanais se sont dits choqués de ne bénéficier de si peu de compassion alors que leur pays est attaqué par l’armée israélienne et un million au moins d’entre eux déplacés dans des conditions dramatiques. Pplus qu’un épisode isolé, ces chicayas reflètent les difficultés de cohabitation entre les deux communautés.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Depuis plusieurs jours, des blogueurs ivoiriens connus ou pas élèvent le ton contre la communauté libanaise qu’ils accusent de se croire plus Ivoiriens qu’eux parce qu’ils peuvent s’acheter des pièces nationales d’identité ivoirienne en raison de leur prospérité.

Tout est parti de la rumeur d’une massive migration de libanais cherchant à fuir les bombardements de l’aviation israélienne au Sud-Liban. Des blogueurs ivoiriens ont alors exprimé leur refus soit parce qu’ils sont de confession chrétienne et soutiennent l’Etat Hébreu, soit qu’ils craignent que des combattants du Hezbollah s’infiltrent dans le pays.

En réaction, des blogueurs d’origine libanaise ont dénoncé leur ingratitude et mis ainsi le feu aux poudres. Selon ces blogueurs libanais, les premiers bénéficiaires des ouvertures de commerces et d’entreprises libanais demeurent les Ivoiriens. Ce qui est loin d’être faux. Cette communauté détient en effet 40% de l’économie ivoirienne et pèserait 8 % du PIB de la Côte d’Ivoire. En 2014, les libanais possédaient 3.000 sociétés qui se déploient dans les secteurs de l’immobilier, l’industrie, les transports, et la grande distribution en particulier.

Ils contrôlent également une grande partie de l’industrie locale, en particulier dans les domaines de la métallurgie, la pétrochimie (la production de matières plastiques en particulier) ou la parfumerie, assure Joseph Khoury, le président de la Chambre de commerce et d’industrie libanaise de Côte d’Ivoire (CCILCI) dans un entretien accordé à un magazine local en 2014.

En raison de cette prospérité, les libanais de Côte d’Ivoire ont pu s’acheter des communes entières à Abidjan, telle que Marcory, au sud d’Abidjan, et obtenir des droits de propriété foncière, d’autant que la présence libanaise est, dans certains cas, antérieure à l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

« Je suis plus ivoirien que toi »

Environ 80.000 Libanais sont installés en Côte d’Ivoire, soit 90 % de toute la population libanaise vivant à l’étranger. Parmi eux, certains ont acquis légalement la nationalité ivoirienne. En revanche, une minorité a pu bénéficier de passe-droits en raison des nombreuses porosités de l’administration ivoirienne et ces derniers n’hésitent pas à narguer les nationaux en se proclamant plus Ivoiriens qu’eux.

La seconde pomme de discorde vient du fait que les Libanais vivent en vase clos et forment de ce fait une société parallèle totalement imperméable. Ainsi, ils ont leurs propres codes, leur propre compétition de beauté, leurs propres écoles et se soignent exclusivement dans les cliniques ou hôpitaux construits par eux. Par exemple, il est interdit aux médecins ou agents de santé noirs de toucher les patients libanais par simple réaction raciste et les mariages mixtes entre libanais et noirs sont de l’ordre des choses impossibles.

Par ailleurs, les employés de maison de libanais subissent toutes sortes de brimades et encore plus quand ils ont le malheur d’émigrer au Liban. Plusieurs vidéos montrant la détresse de jeunes ivoiriennes employées comme servantes ou nounous sont régulièrement documentées sur les réseaux sociaux. Ces employées se voient confisquer leur passeport ou autres documents de voyage dès qu’elles foulent le sol de Beyrouth, après quoi elles sont livrées à toutes sortes d’exactions.

« Nous ne sommes pas vos frères »

Tous ces comportements inhumains « montrent que nous ne sommes pas vos frères », s’est élevé un blogueur ivoirien pour qui ce n’est pas parce que les Libanais sont confrontés à la guerre que la Côte d’Ivoire est en soi obligée de leur ouvrir les vannes du pays. D’ailleurs selon l’Avenir, un journal proche du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), parti au pouvoir, les autorités ivoiriennes ne délivrent plus de visas de voyage aux ressortissants libanais depuis 2020. Depuis cette date, seulement 800 à 1.000 libanais se sont installés en Côte d’Ivoire, soit 3% de moins que les années précédentes.

Mais si les portes de la Côte d’Ivoire se sont refermées, le Sénégal serait en revanche devenu la destination préférée des libanais. Au total, 25.000 libanais auraient en effet quitté le Liban pour s’installer au Pays de la Teranga. Des métis ivoiro-libanais dénoncent à leur tour une provocation des blogueurs libanais qui ont pris la parole et mis le feu aux poudres. Parmi eux, Hamed Koffi Zarour, un cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), qui a estimé, dans une déclaration lue sur ses réseaux sociaux, que l’hospitalité de la Côte d’Ivoire ne doit pas être interprétée comme de la faiblesse. 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)