Le Fonds des Nations unies pour l’enfance, l’Unicef, est une agence de l’Organisation des Nations unies (ONU) consacrée à l’amélioration et à la promotion de la condition des enfants. Tous les six mois, l’Unicef rapporte la réalité des familles qu’elle suit en se penchant sur des indicateurs socioéconomiques libanais.
Rencontre avec Édouard Beigbeder, représentant de l’Unicef au Liban, à quelques jours de la publication du deuxième rapport biannuel pour 2023. Ici Beyrouth a fait l’état des lieux de l’enfance au Liban, de l’éducation, de la santé, du rôle de l’Unicef et des relations gouvernementales.
Quel est l’état des lieux de l’enfance aujourd’hui?
La réalité des enfants au Liban est de plus en plus difficile au vu des crises qui se succèdent depuis 2019. Au fil des années, ces éléments contribuent à l’affaissement des institutions et à la réduction de la capacité des familles à apporter le strict nécessaire à leurs enfants – surtout les familles qui évoluent dans une économie de livres libanaises. De plus en plus d’enfants n’ont plus la possibilité d’aller à l’école et de plus en plus d’écoliers abandonnent les salles de cours pour travailler. Les parents sont obligés de choisir les repas à servir aux enfants, ainsi que leur contenance. Certains ne peuvent plus se permettre de fréquenter les centres de santé. Tout compte fait, en 2023, les enfants ont moins de chance de se développer qu’en 2018. C’est une triste situation, d’autant plus que les capacités du Liban étaient assez importantes: le pays disposait de l’un des meilleurs systèmes éducatifs dans la région et présentait un certain niveau de santé et de suivi médical qu’on n’arrive plus à maintenir aujourd’hui.
Comment a évolué la situation depuis votre dernier rapport à la mi-2023?
- À la mi-2023, 7% d’enfants libanais n’allaient plus à l’école. Six mois plus tard, ils sont 13% à être privés d’éducation.
- 10% d’enfants libanais ont quitté l’école.
- 3% d’enfants libanais travaillent.
- Un quart des enfants libanais quittent l’école avant la fin du présecondaire, où l’on apprend les notions de base en lecture, en écriture et en calcul à un niveau supérieur qu’en alphabétisation.
- À l’école publique, les classes du niveau primaire rassemblent 25 écoliers en moyenne. Ils seront huit ou neuf élèves inscrits dans les classes du niveau collège.
Beaucoup d’entre eux quittent l’école, parfois même avant la fin de l’année scolaire, par besoin de travailler et de contribuer à leurs besoins et/ou à ceux de la famille. D’autres iront dans le privé après le niveau primaire: le manque de confiance dans le système public est croissant. Toutefois, l’école publique reste ouverte malgré les crises au Liban et, cette année, la rentrée s’est déroulée à temps. Il existe également un problème d’image au niveau de certaines écoles publiques qu’il faudrait résoudre, d’autant plus que les écoles publiques font beaucoup de progrès depuis un an et demi.
On dit souvent que l’école publique au Liban est de plus en plus au service des jeunes enfants d’origine syrienne. Que pensez-vous de cet amalgame entre enfants libanais et enfants syriens?
Les enfants syriens sont plus mal lotis que les enfants libanais:
- Plus d’un enfant syrien sur deux ne va pas à l’école aujourd’hui au Liban;
- Le nombre d’enfants syriens qui travaillent au Liban est le double de celui des enfants libanais.
Les enfants, syriens ou autres, disposent du droit fondamental à l’éducation. Notre rôle est d’essayer de trouver un moyen pour l’assurer, le temps qu’une solution politique émerge et que les réfugiés retournent en Syrie. Ces enfants doivent rentrer en Syrie avec un savoir et une connaissance qu’ils apprennent et accumulent au Liban, où ils résident.
C’est dans cet esprit que nous avons passé des accords avec le gouvernement libanais en 2012, 2013 et 2014 afin que les écoles publiques libanaises accueillent, l’après-midi, l’éducation des enfants syriens.
En contrepartie, pour compenser les écoles publiques libanaises et alléger les charges relatives à l’accueil des enfants syriens pour des cours l’après-midi, nous avons mis en place des programmes de réhabilitation des écoles publiques libanaises. Aujourd’hui, 117 écoles ont été réhabilitées et 110 établissements vont bientôt l’être.
Ces fonds pour les écoles proposent une participation pour les enfants libanais et une plus grande participation pour les enfants syriens. Alors que le gouvernement libanais ne dispose plus aujourd’hui du même budget conséquent qu’il allouait à l’école publique libanaise avant la crise, nous essayons cette année d’équilibrer notre contribution pour mieux servir écoliers libanais et syriens.
Qu’en est-il d’autres dossiers que souligne ce rapport?
L’école est fondamentale: elle est un endroit de protection. Pour les enfants en âge du cycle primaire et en dehors du système scolaire, l’Unicef cherche à les reprendre dans l’éducation non formelle et à leur donner un minimum de bagage pour qu’ils puissent se réintégrer. Quant aux enfants en âge du présecondaire, on les accompagne dans le développement de connaissances en écriture, en lecture et en mathématiques pour les aider à se diriger vers des apprentissages et à intégrer la vie active avec un maximum de bagage. Ce sont les trois typologies de programmes très importants.
Côté santé, la crise financière a nettement réduit le nombre de vaccinations au Liban, surtout que les individus fréquentaient le secteur privé et achetaient le vaccin à leur médecin. Dans un effort de compenser cette baisse de vaccinations, nous avons collaboré avec le ministère de la Santé publique pour mettre en place la vaccination gratuite dans des centres de santé communautaires.
L’Unicef travaille aussi sur l’eau et les systèmes d’épuration. Avec le ministère de l’Énergie et de l’Eau, nous avons développé des programmes relatifs à la réparation des différentes structures de service de l’eau au Liban et cela en affectant des équipes du secteur privé pour réparer un générateur en panne ou une pompe cassée afin que l’eau puisse être assurée de nouveau.
Pourquoi dans le Liban d’aujourd’hui, l’Unicef travaille différemment que dans d’autres pays?
Au moment de la crise, une partie de l’aide bilatérale ne pouvait plus transiter par l’État du fait des différents taux de change ce qui réduisait le volume et l’impact des programmes pour lesquels ces fonds étaient alloués. Voulant maintenir leur engagement au Liban, les bailleurs de fonds bilatéraux ont recouru ainsi aux organisations non gouvernementales et aux organisations internationales, à l’instar de l’Unicef. Ceci permet depuis de soutenir le gouvernement, en prenant des projets en charge, en vue de les remettre au gouvernement une fois la situation bancaire et financière du pays rétablie.
Comment travaillez-vous avec le gouvernement? Avez-vous des interlocuteurs avec lesquels vous pouvez travailler, prendre une décision et l’exécuter?
On travaille avec le gouvernement et les ministères concernés, en parfaite coordination depuis le début du projet jusqu’à son achèvement. Par exemple, on décide avec le ministère de l’Éducation lesquelles des 1.232 écoles publiques du pays recevront les fonds alloués et comment les directions de ces écoles recevront cet argent pour la maintenance des écoles. Nous assumons certaines responsabilités de façon provisoire et nous ne cherchons pas à élargir les programmes Unicef, puisque nous désirons une passation de responsabilités claire et nette une fois la crise résolue.
Notre collaboration avec les agences gouvernementales est assez claire. Nous discutons ensemble des besoins par rapport au Programme de l’enfance, puis nous mettons en place des plans pluriannuels financés par les bailleurs.
Il en découle des résultats positifs malgré les moments très difficiles. Nous avons récemment lancé, avec le ministère des Affaires sociales, une allocation pour les personnes en situation de handicap âgées de 18 à 28 ans. Il s’agit de la carte handicap, dont les allocations transitent à travers l’OMT pour arriver directement au bénéficiaire et sans transiter par l’État ou la Banque centrale du fait de la situation financière d’aujourd’hui.
Les propos que vous tenez feront écho auprès des personnes inquiètes de l’élargissement apparent des prérogatives associatives et onusiennes au Liban, lesquelles empiéteraient sur les principes de souveraineté nationale et d’autodétermination. En d’autres termes, vous ne cherchez pas à ce que votre institution soit un ministère à la place du ministère.
Et on ne doit pas l’être, puisque ceci n’est pas notre rôle et que chacun devrait s’en tenir à son rôle. L’Unicef aujourd’hui au Liban a un rôle qui n’est pas le sien dans un autre pays, un rôle qui n’était pas le sien au Liban avant 2019 et un rôle qui devrait retourner à la normale dès que les mécanismes financiers seront revisités au Liban, ce qui apportera l’ordre nécessaire pour que la confiance soit retrouvée/restaurée.
La coordination avec l’État est très importante. Il en va de même pour la société civile qui est responsable, dans certains domaines, de la dernière ligne droite des projets. Le partenariat entre le gouvernement et la société civile est important. Par ailleurs, des organisations comme l’Unicef facilitent le lien entre les deux partis et favorisent le dialogue entre eux. La coordination entre tous les acteurs des projets est nécessaire pour consolider les efforts réalisés, d’où l’importance pour nous d’inclure le travail qu’on fait avec la société civile.
Qu’est-ce qui est requis selon vous pour que les droits les plus élémentaires, les plus fondamentaux, soient honorés et arrêtent de régresser?
Tout d’abord il faut la paix. Il faut également mieux définir la macroéconomie, puisque tant qu’une partie de la population est dollarisée, alors une partie de la population restera déclassée par rapport à une autre. Laisser une partie du pays réduire sa capacité d’investir dans ses propres enfants conduit inévitablement à un clivage social très aigu, qui ne sera plus tenable.
Même une organisation comme l’Unicef appelle à d’importantes réformes macroéconomiques. La confiance est également cruciale pour que les citoyens paient l’impôt nécessaire au redémarrage de l’économie. Cette confiance dépend de certaines réformes attendues de l’État pour une meilleure gestion financière (et qui dans notre cas permettra de créer une balance cohérente entre les effectifs des éducateurs et des écoliers, par exemple). Un contrat social est nécessaire pour réduire les disparités au sein du Liban. Malgré tout, le secteur privé affiche des signes de redémarrage. Il y a quand même certains aspects positifs à l’échelle du pays.
Je pense qu’en 2 ans au Liban, on pourrait très bien remettre l’enfance au centre.