Le conflit entre l’État central malien et le territoire de l’Azawad, qui dure depuis plus de soixante ans, semble entrer dans une phase critique. Les mois à venir pourraient marquer un tournant décisif dans cette crise persistante, qui fragilise la stabilité du Sahel central depuis les premières années postindépendance.
Abdoulahi ATTAYOUB, consultant, Président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE)
Les revendications de l’Azawad, antérieures à la création du Mali moderne, demeurent l’un des nœuds fondamentaux à résoudre pour espérer une paix durable dans la région. Or, les dynamiques actuelles sur le terrain indiquent une inquiétante tendance à la généralisation du conflit, ainsi qu’à l’émergence de nouveaux foyers de tensions longtemps restés contenus.
Dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), la lutte contre le terrorisme sert trop souvent de prétexte à des opérations ciblant certaines communautés de manière transfrontalière. Cette dérive révèle non seulement des agendas cachés, mais aussi l’évolution de certaines armées nationales vers des comportements de milices communautaires. Ce glissement traduit une conception réductrice de la nation, où la sécurité devient un alibi pour stigmatiser des groupes entiers, qui, au lieu de bénéficier de la protection de l’État, subissent des exactions récurrentes.
Dans la pratique, les priorités sécuritaires semblent orientées non vers la neutralisation des menaces réelles, mais contre des populations perçues comme hostiles ou simplement marginalisées par les régimes issus de l’indépendance. L’implication croissante du Burkina Faso et du Niger dans le conflit malien, notamment face à la question de l’Azawad, fait planer le spectre d’un embrasement régional aux conséquences incontrôlables.
Cette tentative d’élargissement du conflit au niveau de l’AES, dans une logique de solidarité militaire, pourrait dépasser rapidement les frontières nationales et exacerber des tensions interethniques déjà vives. L’instrumentalisation de l’information, souvent relayée par des acteurs extérieurs peu ancrés dans la réalité sahélienne, ne suffit plus à masquer la nature profonde de la crise. Les récits guerriers, identitaires et exclusifs n’ont jusqu’ici apporté aucune réponse aux défis structurels des pays concernés.
De plus en plus isolés, certains régimes de l’AES tentent désormais d’élargir leur discours belliqueux à l’ensemble des communautés dites « nomades », dans une fuite en avant périlleuse. Le discours porté par certains idéologues, relayé par une frange extrême d’un pseudo-panafricanisme, alimente un patriotisme fermé, fondé sur l’exclusion, à rebours d’un véritable projet d’unité sahélienne.
L’obsession autour de l’Azawad et la répression brutale contre certaines communautés traduisent une lecture biaisée et dangereuse de la réalité géopolitique de la région. Le recours croissant à des milices communautaires ou à des mercenaires étrangers, sous couvert de lutte contre l’insécurité, ne fait qu’aggraver les fractures sociales, alors que l’État devrait incarner l’unité, la justice et la cohésion.
Un tournant est proche. La communauté internationale doit le reconnaître et s’y préparer, en se réengageant de manière responsable, notamment en renouant avec l’esprit des Accords d’Alger. Depuis les années 1990, l’armée malienne n’a jamais pu contrôler durablement la région de l’Azawad sans un appui extérieur. Aujourd’hui encore, elle n’y opère qu’à travers l’appui de forces partenaires, devenues de facto cobelligérantes.
Malgré le constat largement partagé de l’impasse militaire, les partenaires du Mali peinent à favoriser une véritable solution politique. Il devient urgent que les institutions internationales, tout comme les puissances engagées dans la région, y compris la Russie et la Turquie, adoptent une lecture lucide de la crise et soutiennent une sortie réaliste, fondée sur la justice, l’inclusion et la représentativité.
La racine du mal ne réside pas dans une quelconque idéologie importée, mais dans le refus persistant des États postcoloniaux de bâtir des nations véritablement inclusives. Tant que ces systèmes chercheront à maintenir des déséquilibres hérités de l’ordre colonial, toute solution durable demeurera illusoire.
Dans ce contexte, le Burkina Faso et le Niger risquent, chacun à leur manière, de raviver des tensions intercommunautaires s’ils poursuivent leur soutien inconditionnel à la stratégie militaire de la junte malienne contre l’Azawad. L’instrumentalisation des clivages ethniques à des fins de survie politique ne fait que complexifier la crise. Dans certaines zones de l’AES, des dynamiques de nettoyage ethnique sont déjà à l’œuvre, posant une question fondamentale sur la nature même de ces États et leur capacité à garantir la paix et le vivre-ensemble.
Face à ce constat, la communauté internationale ne peut plus se permettre de rester passive ou complaisante. Elle doit favoriser un nouveau pacte de gouvernance, fondé sur le libre choix des peuples et une véritable inclusion politique. Il en va de la stabilité du Sahel, mais aussi de la crédibilité des partenaires extérieurs.
L’Europe, en particulier, doit rompre avec les logiques de coopération anciennes, qui ont souvent marginalisé les communautés pastorales. Elle ne peut continuer à soutenir des approches discriminatoires qui ignorent la complexité humaine du Sahel, un espace façonné par une mosaïque de peuples aux identités riches et à l’histoire profonde. Le décalage entre la politique européenne et cette réalité explique en grande partie les échecs répétés et l’érosion des acquis de l’après-indépendance.
Le statu quo est intenable. Seuls un projet politique commun, juste et équitable, porté par l’ensemble des composantes sociales sahéliennes, pourra offrir une issue durable. C’est à cette condition que le développement et la paix pourront enfin s’enraciner.