Ces tirailleurs sénégalais morts pour la France…et pour rien

Il y a à Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire, tout juste à côté de l’ambassade de France, un joli monument blanc sur lequel il est écrit « La Côte d’Ivoire à ses morts de la grande guerre 1914-1918 et à ceux de 1939-1945. » À quand un monument pour ceux qui sont morts pour l’indépendance de mon pays?

Venance Konan

Tout en haut du monument est gravée une croix verte transpercée de deux épées ou sabres. Lorsque je suis passé devant il y a deux jours, il y avait au pied de ce monument une couronne de fleur ceinturée par le drapeau français. De l’autre côté de la rue se trouve la « maison des anciens combattants », devenue aujourd’hui un restaurant. En fouillant sut internet, j’ai lu que le monument avait été construit en 1933 pour rendre hommage aux milliers d’Africains morts durant les deux grandes guerres, et que sa forme évoque une épée dont la pointe est dirigée vers le ciel. La mention des morts de la guerre de 1939-1945 a forcément été rajoutée après la construction du monument.

Ce monument a-t-il vraiment été construit pour honorer les Ivoiriens morts durant ces deux guerres dites mondiales mais qui en aucune manière ne concernaient l’Afrique ? Qu’il me soit permis d’en douter. Je crois que les autorités coloniales françaises de l’époque ont juste fait comme en France, où l’on avait érigé des monuments aux morts de la première Guerre Mondiale, sur lesquels on avait mentionné plus tard ceux de la Seconde Guerre Mondiale. Non, je ne crois pas un seul instant que les autorités françaises de l’époque aient songé à rendre hommage à tous les Africains qui sont morts pour leur pays. Parce qu’en 1944, lorsque ceux que l’on appelait les « tirailleurs sénégalais », même s’ils étaient aussi Ivoiriens, Voltaïques ou Congolais, réclamèrent simplement le paiement des indemnités qu’on leur avait promises, ils furent tout bonnement massacrés dans le camp de Thiaroye, au Sénégal. Et lorsque la France consentit à leur verser des pensions, ce fut, disons-le, en monnaie de singe.

En cette année 2025, à l’occasion de la commémoration du 80ème anniversaire de la victoire des Alliés sur les Nazis, nous apprenons que le 8 mai 1945, pendant que la France célébrait la fin de la guerre, son armée massacrait des Algériens à Sétif, Guelma et Kherrata, parce qu’ils réclamaient l’indépendance de leur pays. Des Algériens avaient pourtant combattu aux côtés des soldats français. Et lorsque l’Algérie devint indépendante, la France traita comme des moins que rien ceux que l’on appela les Harkis, à savoir ces Algériens qui s’étaient battus aux côtés de ses soldats contre leurs propres frères. On les parqua dans des bidonvilles insalubres et on les oublia tout simplement.

En Côte d’Ivoire, le 30 janvier 1950, les forces françaises avaient tiré sur la foule à Dimbokro, dans le centre du pays, parce qu’elle protestait contre l’exploitation économique que subissait la population. Ce fut la même chose à Madagascar en 1947 et 1948, et dans toutes les colonies françaises d’Afrique. En Indochine aussi, il fallut une longue guerre de 1946 à 1954 pour obtenir l’indépendance du Vietnam. Et pourtant, Algériens, Noirs d’Afrique et Indochinois avaient tous participé à la libération de la France et des milliers d’entre eux étaient morts pour ce pays. Non, on ne peut vraiment pas dire que la reconnaissance envers ses colonisés soit un trait du caractère de la France.   

Pour revenir à notre monument d’Abidjan, l’ironie de l’histoire est qu’après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, on construisit des monuments aux morts partout dans le pays, avec l’inscription « à nos morts de la grande guerre 1914-1918 et à ceux de 1939-1945. » Je ne sais pas si les populations comprennent vraiment le sens de ces monuments. Tout comme ceux qui sont allés mourir loin de leurs terres ne comprenaient pas la raison de leur présence sur ces champs de bataille. Et il n’y a en Côte d’Ivoire, aucun monument pour ceux qui sont morts pour l’indépendance de leur pays.