Les lourdes pertes de Wagner, renommé Africa Corps, au Mali, fin juillet 2024, ont été fort médiatisées. Tel ne fut pas le cas pour d’autres mercenaires au Sahel, tels ceux déployés par la Turquie au Niger. Estimés au moins à un millier, d’origine syrienne, ils appartiennent à Sadat, société d’Adnan Tanriverdi, ancien conseiller du président turc.
Limam Nadawa, consultant au centre4s.org
L’Observatoire syrien des droits de l’homme, OSDH, qui suit le conflit syrien, affirmait en mai 2024, que Sadat avait déployé au Niger mille cent mercenaires syriens, formés en Turquie, en septembre 2023. Selon cette même source, cette société a formé les membres d’une force de sécurité protégeant le colonel Assimi Goïta président de la Transition, Mal
Ceci pousse certains experts à appeler Sadat la ‘’Wagner turque’’. Sadat nie recruter ou déployer des mercenaires syriens en Afrique, clamant plutôt fournir ‘’des services de consultation, formation et logistique aux forces armées et aux forces de sécurité dans le domaine de la défense et la sécurité, conformément au code commercial turc.’’ Par ailleurs, la BBC signalait le 15 juillet 2024 que certains soldats de Sadat au Niger se sont retrouvés sous un commandement russe pour combattre les groupes terroristes dans la région du Liptako-Gourma. Ils opèrent au lieu-dit ‘’des trois frontières (Burkina Faso, Mali et Niger). L’OSDH ajoute: ‘’ Au Niger, les mercenaires syriens sont censés protéger des mines, des installations pétrolières ou des bases militaires. Mais ils se retrouvent alors impliqués pendant des combats contre des djihadistes. Neuf de ces combattants syriens y sont morts.’’ L’offensive militaire lancée le 4 avril 2019 par le Maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée nationale libyenne, pour conquérir Tripoli, semble avoir donné cette idée de déploiement de mercenaires à la Turquie. Début 2020, des rapports indiquaient que Sadat en avait envoyé cinq mille pour prévenir cet assaut du Maréchal. Ils y ont réussi, puisque celui-ci n’a pu prendre la capitale, siège le Gouvernement d’union nationale (GNA), du Premier ministre d’alors, Fayez al-Sarraj.
Des mercenaires syriens.
Pour la plupart, ces combattants relèvent de l’Armée nationale syrienne (ANS), coalition de groupes armés d’opposition, travaillant en étroite collaboration avec la Turquie, dans le Nord de la Syrie. La structure militaire a été formellement fondée en décembre 2017, en pleine guerre civile syrienne. Ses éléments ont été recrutés par la Division Sultan Mourad, groupe rebelle turkmène du nord de la Syrie, créé en 2013 et soutenue par les États-Unis et la Turquie. Payés à 46 dollars par mois en Syrie, ils gagnent jusqu’à 1 500 dollars en Afrique. Après leur enrôlement, ils signent avec Sadat des contrats dont la durée varie entre 6 et 12 mois, après une formation rapide. Pour eux, l’Afrique constitue un véritable Eldorado.
Sadat est considérée comme l’arme secrète de la Turquie pour ses opérations extérieures, en Afrique et au Moyen-Orient. Au Sahel, Sadat est arrivée dans un environnement propice à ses activités. En effet, dès décembre 2019, une enquête publiée par le Pentagone révélait l’essor des compagnies militaires privées, américaines, françaises, britanniques, ukrainiennes et russes au Sahel. On y apprend qu’Omega Consulting Group, ukrainienne, s’était installée au Burkina Faso. Ses mercenaires, aux profils de baroudeurs, étaient payés 14 000 dollars (8 400 000 F CFA) par mois. Au Sahel, des pays, et même l’ONU, font appel à ces sociétés pour la collecte d’informations sur le terrain, des interventions spécialisées, le transport tactique, l’évacuation médicalisée et parfois pour ‘’ l’exploitation’’ d’individus arrêtés.
L’AKP et l’Afrique
Depuis son arrivée au pouvoir, suite aux élections anticipées de novembre 2002, le Parti de la justice et du développement, AKP, n’a cessé de développer les relations turco-africaines. Entre 2002 et 2024, la Turquie a fait passer le nombre de ses ambassades en Afrique de 12 à 43. La Turkish Airlines a étendu le nombre de ses destinations africaines de 4 en 2004 à 61 en 2024. Dans le même temps, le volume des échanges commerciaux est passé de 5,4 à 25,3 milliards de dollars en 2020. Une dynamique que le président turc s’est employé à conforter. L’Agence turque de coopération et de développement a ouvert 22 bureaux en Afrique. L’influence culturelle d’Ankara est par ailleurs consolidée par la fondation Maarif, avec un réseau de 175 écoles d’élites dans 26 pays. Plus de six mille africains étudient en Turquie, grâce à des bourses octroyées par Ankara. Au Niger, la fondation turque d’aide humanitaire « IHH » a annoncé l’inauguration, en février 2022, de 9 mosquées dans différentes régions du pays, dotée chacune d’un système d’énergie solaire et avec les salaires des imams pris en charge pendant deux ans. En 2019, un hôpital de référence turc a ouvert ses portes à Niamey et en 2018, Ankara faisait don de 5 millions de dollars à la Force conjointe du défunt G5 Sahel pour soutenir ses efforts contre les groupes armés.
Cependant, le principal pilier de l’offensive d’influence turque au Sahel reste son complexe militaro-industriel. Disposant de la deuxième plus grande armée permanente de l’OTAN, après l’armée américaine, elle a développé divers types d’armements d’un niveau taquinant celui des puissances militaires mondiales. Ses drones, de surveillance ou armés, sont très prisés au Sahel.
Diplomatie des drones.
La Turquie a signé un accord de défense avec Niamey, en juillet 2020. Cette coopération, aux modalités secrètes, prévoirait, notamment, l’envoi de soldats turcs au Niger, pour former et appuyer les forces nigériennes et nigérianes dans leur combat contre l’organisation terroriste Boko Haram. Les soldats turcs devaient aussi aider les soldats nigériens à sécuriser les frontières avec le Mali et le Burkina Faso. Il s’agit d’un accord qui ‘’ jette les bases d’un soutien opérationnel direct’’ dans la lutte antiterroriste. Du 09 au 14 mars 2022, le président nigérien d’alors, Mohamed Bazoum, a visité les principaux fleurons de l’industrie turque de l’armement dont les sociétés Baykar (drones TB2) et Havelsan (système de radar de reconnaissance, de sécurité et de surveillance des frontières). Niamey avait commandé avec Baykar plusieurs drones capables de détruire des véhicules blindés et des systèmes de missiles. Il a ensuite été au siège de Tusas, autre fleuron de l’industrie turque, pour signer un contrat d’acquisition d’avions de guerre et à Nurol, siège d’un conglomérat industriel, créé en 1989, opérant principalement dans la construction, mais aussi dans l’énergie et la fabrication de véhicules militaires. Il y a assisté à une démonstration du type de blindés commandés par le Niger et en cours de fabrication. Le Niger figurait, également, dans le carnet de commandes de Rokestan, société spécialisée dans la fabrication de missiles et roquettes intelligentes.
Avant l’acquisition de ces différents vecteurs aériens de guerre, les deux pays collaboraient, déjà, dans l’aviation civile. Depuis mai 2019, l’aéroport international de Niamey est géré par la société turque Summa, à travers sa filiale DHIA Sarl. L’acte de cession de gestion a été signé, le 30 avril 2019, entre le ministre nigérien des Transports et le directeur général de Summa, Berkay Eim. Le développement de l’aéroport, pour une période de 30 ans, échoit à ce véritable conglomérat, qui y a entrepris des travaux de modernisation dont le coût avoisine 101 milliards CFA. Ce projet comprend, entre autres : la construction d’un nouveau terminal, d’une voie de circulation, d’un terminal fret, l’extension des parkings d’avions et le réaménagement du pavillon présidentiel.
Engagements renouvelés.
Un an après le coup d’État, qui a renversa le président Bazoum, le Niger et la Turquie ont encore renforcé leurs relations. Le Premier ministre nigérien, Ali Mahamane Lamine Zeine a été officiellement à Ankara, du 31 janvier au 3 février 2024, à l’invitation du Président Erdoğan. Leurs discussions ont porté sur les échanges commerciaux entre le Niger et la Turquie, qui avaient atteint 100 millions de dollars en 2023. Pour certains, cette audience résulte de la rencontre quelques jours plus tôt entre le président Erdoğan et l’ex président Youssoufou.
Juillet 2024, une importante délégation turque s’est rendue à Niamey pour discuter des futures relations entre les deux pays. Les deux parties annoncèrent que les entreprises turques, intéressées par le secteur minier, bénéficieraient de toutes les facilités sollicitées. En outre, le ministre turc des Affaires étrangères, M. Hakan Fidan, qui conduisait sa délégation, a déclaré que le but de cette mission était d’améliorer l’industrie de la défense et le renseignement, pour la lutte contre le terrorisme.
Par la même occasion, la Turquie a reconnu être à la recherche de ressources énergétiques, notamment d’uranium, pour soutenir son plan de développement énergétique. Le ministre nigérien du pétrole et son collègue turc de l’énergie et des ressources naturelles ont signé une déclaration d’intention de coopération dans les domaines du pétrole et du gaz naturel. Les deux pays ont exprimé la volonté d’encourager les entreprises turques à améliorer les gisements de pétrole et de gaz naturel au Niger. Le chef de l’Organisation nationale du renseignement (MIT), İbrahim Kalın, le vice-ministre du Commerce – Özgür Volkan Ağar- et le président des industries de défense (SSB), Haluk Görgün, faisaient partie de la délégation. Leurs discussions avaient porté sur les échanges commerciaux entre, leurs pays, qui avaient atteint 100 millions de dollars en 2023.
Le millier de mercenaires syriens déployés au Niger sont chargés de défendre l’ensemble de ces intérêts turcs qui vont croissants. Dans la mesure où les terroristes constituent des dangers pour lesdits intérêts, il est inévitable que les deux entités soient, un jour ou l’autre, la cible l’une de l’autre…