La prise récente de Kidal par les forces armées maliennes (FAMA) apparait comme une victoire pour le groupe d’officiers au pouvoir qui pourrait bénéficier d’une certaine popularité préparant peut-être à un succès électoral éventuel. Surtout la bataille de Kidal est l’occasion de reconsidérer les accords d’Alger signés en 2015, succédant à ceux de 2006 déjà inscrits dans un contexte international et local particulièrement troublé.
Une analyse de nos amis du site « le Sphinx »
La prise récente de Kidal par les FAMA, pour certains, reviendrait à enterrer les accords d’Alger (2015). Cela semble une hypothèse plutôt hâtive. En effet Kidal n’est que l’abcès de fixation de dérèglements et de phénomènes qui plongent leurs racines dans l’agression de la Libye par l’OTAN en 2011. Le bouleversement, par des pays non-africains, de l’ordre régional fragile qui prédominait auparavant, raviva des clivages de la société malienne. Comme le souligne Olivier Roy, chercheur et sans doute le meilleur expert français de l’Islam politique : «le problème est que les interventions extérieures anesthésient le débat politique local, en favorisant telle faction contre telle autre, ou en donnant à telle faction le sentiment qu’elle n’a pas besoin de trouver un consensus et une légitimité pour s’imposer» . Et c’est sans doute ce qui va se passer au Mali dans les mois qui suivent ce que la France appelle l’opération Harmattan et qui voit l’intervention des Commandos Parachutistes de l’Air (CPA). Ces derniers basculeront ensuite d’Afghanistan vers le Sahel et le Niger en particulier. La carte ci-dessous montre le déploiement aérien de l’opération Harmattan.
Avec la destruction de la Libye par l’OTAN, les Touaregs qui avaient quitté le Mali se retrouvent des mercenaires démobilisés par l’assassinat de Kadhafi, dont ils avaient fourni les troupes de choc. Leur réveil comme nation va donc être largement dicté par la nécessité de retrouver une place de choix au Mali, en négociant leur autonomie politique. La répétition complaisante, par les amis occidentaux, du thème de l’absence d’État au nord du Mali faisait aussi l’impasse qu’il n’avait pas été le bienvenu pendant les années Kadhafi pendant lesquelles les Touaregs avaient trouvé un havre. Les Américains qui entrainent, bien avant les Français, les soldats maliens et nigériens à la lutte anti-terroriste, ne perçoivent pas tout de suite l’alliance entre AZAWAD et Ansar Dine comme un ennemi immédiat et frontal. Ils réservent leur attention et leurs coups pour Al Quaïda et ses franchisés. Ansar est un terme pris au pied de la lettre par les services américains. Ce mot désigne ceux qui aident Mahomet à diffuser la religion, et sont donc pour cela pieux et dévoués à la foi musulmane. De plus, Obama et l’administration américaine sont traumatisés par les couts politiques de la guerre de l’OTAN contre la Libye et ne veulent pas créer de nouveaux désordres au Sahel. Ils considèrent le MNLA et son alliance à l’Islam combattant comme une résurgence de l’identité berbère, dans le prolongement des Printemps dits arabes. ATT, pour son compte, veut différer à ce moment l’épreuve de force avec les Touaregs car il voulait éviter une montée des tensions dans la région. Il va être emporté par la tempête de la mort de Kadhafi.
Le spectre de la partition
En effet, le 22 mars 2012, le gouvernement d’ATT est renversé par un coup d’État conduit par des militaires qui dénoncent son incapacité à gérer le conflit sévissant au nord du pays, en lien avec la rébellion Touareg. Le 1er avril 2012, cette dernière, constituée en Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et alliée au mouvement salafiste Ansar Dine, prend le contrôle du Nord-Mali. Les accords d’Alger 2015 étaient supposés clore la séquence inaugurée dans le prolongement de la guerre de l’OTAN contre la Libye. Mais ces accords incluaient une partie liée à la régionalisation du Nord qui s’était greffée sur la recherche de la paix entre Touaregs et gouvernement central. Pour Tiébilé Dramé, ancien ministre des Affaires étrangères du Mali et président du Parena (Parti pour la renaissance nationale) : «Cet accord faisait entrer le Mali dans un nouveau régime institutionnel, celui des régions-États disposant de pouvoirs étendus et dirigées par les présidents qui auront plus de pouvoirs que Franz-Josef Strauss [le ministre-président de Bavière] en avait en Allemagne pourtant fédérale. L’hyperprésident [de ces régions-États] créé par l’accord d’Alger ne sera pas désigné par l’Assemblée régionale. Il sera élu au suffrage universel direct. Il sera à la fois président de l’Assemblée régionale, président de l’exécutif régional et chef de l’administration de la région-État. Il cumulera l’exécutif et le législatif.» Le président Keita (IBK) devra sa relative popularité et peut-être la mansuétude des militaires, lorsqu’ils lui arracheront le pouvoir, à ce qu’il refusera l’inscription dans la constitution malienne de ces clauses des accords d’Alger que beaucoup jugeaient une partition en faveur de groupes rebelles, de plus pas forcément représentatifs.
Oublier Serval
Une bonne partie des réticences du côté des autorités maliennes élues venaient de plus des équivoques de l’expédition militaire française au Mali dirigée contre la menace d’une attaque de Bamako par les groupes armés venus du Nord. L’intervention de Serval révèle vite les hypothèques que le gouvernement français posait sur l’avenir politique du pays. En effet, l’armée et le gouvernement français semblaient vouloir tirer tous les dividendes et tous les avantages de l’affaiblissement du Mali et de la défaite douloureuse de l’État malien le mai 2014 [lorsque la visite à Kidal du Premier ministre, Moussa Mara, a dégénéré]. Les acteurs non-étatiques engagés par leurs signatures apposées, en juin 2013, sur l’accord de Ouagadougou et par lequel ils reconnaissaient l’intégrité du territoire, l’unité nationale, la forme laïque et républicaine de l’État, semblaient pour leur part oublier l’esprit de ce qu’ils avaient signés.
Dans la foulée de l’Accord cadre de Bamako, qui précisait le retour à l’ordre constitutionnel, et l’abandon du pouvoir par la junte du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE), une série de questions se posaient pour la reformulation d’un cadre cohérent pour la paix et le maintien de l’unité nationale.
Entre transition et sécession
Pour gérer cette période intermédiaire, on fera recours au président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, qui débarque du Burkina Faso. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) n’aide pas à une réflexion sereine sur la réconciliation, malgré le départ des militaires au pouvoir à Bamako. Il déclare la sécession et ignore « l’intégrité du territoire », dénominateur minimal de toute la classe politique malienne. Ce sentiment est exprimé par Ibrahim Boubacar Keita, ancien premier ministre et candidat à l’élection présidentielle à venir. Il déclare : « L’une des missions essentielles du gouvernement d’union nationale de transition que j’appelle de tous mes vœux sera de reconquérir le territoire national avant d’entamer les négociations avec la rébellion. Cette reconquête devra se faire par notre armée nationale, réarmée moralement et rééquipée, avec l’appui logistique, matériel et en renseignements des pays amis qui souhaitent nous aider. Dans ce sens, j’apprécie l’annonce d’une loi de programmation et d’orientation militaire, comme je l’ai toujours proposé ». On connait la dérive postérieure, sur laquelle les pays amis ferment les yeux, d’IBK et de son fils Karim, pour ce qui concerne les achats d’équipements militaires qui seront l’occasion de détournements et de surfacturations, en pleine guerre contre les groupes armés non étatiques (GANE) qui prolifèrent.
L’alliance trouble
A partir de juin 2012, Ansar Dine instaure la Sharia à Tombouctou et s’y installe jusqu’en 2013. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) y avait également proclamé un État indépendant avec comme capitale, la ville de Tombouctou. C’était là une référence à l’histoire touareg du XVIème siècle mais qui ne pouvait occulter l’alliance du MNLA avec les Islamistes armés à la noire bannière portant les versets du coran, Ansar Dine. Même les observateurs les plus neutres ne pouvaient ignorer le grand écart du mouvement touareg entre sécession et radicalisation religieuse, assez loin des principes laïcs de l’accord de Ouagadougou.
La France avec sa préoccupation contradictoire de maintenir son empire des sables et de refouler l’Islam politique sur le territoire français entreprend de séparer le bon grain de l’AZAWAD de la mauvaise herbe d’Ansar Dine. Elle abandonne à l’AZAWAD la cité de Kidal et contrarie et l’État et le peuple du Mali. Avant d’être remplacée par Barkhane, l’opération Serval concentre sa frappe sur les groupes djihadistes qui forgeront à cette occasion les prémisses de leur alliance future qui sera conclue en 2017. En dépit des indéniables succès de Serval, le maintien de l’enclave de Kidal et l’insécurité qui touche les grandes villes du Mali ne peuvent que limiter la souveraineté de l’État malien, en position de faiblesse quand il se présente à Alger.
Les Maliens à Alger
La souveraineté des autorités légales et élues de Bamako quand elles se présentent à Bamako reste incomplète. Mais en face il n’y pas de front commun de véritables interlocuteurs locaux. Les tutelles multi et bilatérales qui supervisent ces accords n’excluent pas la sécession d’une partie du pays, pourvu que l’Islam n’y soit pas impliqué. La CMA et la Plateforme souscrivent aux accords d’Alger. D’une part la CMA, alliance composée essentiellement d’anciens groupes armés indépendantistes touareg et nationalistes arabes qui ont combattu les forces armées maliennes dans le nord, à partir de 2012. De l’autre côté se trouve une coalition de groupes armés, loyale pour sa part au pouvoir de Bamako, la Plateforme. Au sein de la mouvance touareg, le Mouvement populaire pour le salut de l’Azawad (MPSA), le Front Populaire de l’Azawad (FPA), le Conseil pour la justice de l’Azawad (CJA), et d’autres, ventilés auparavant entre la CMA et la Plateforme, ne veulent pas des accords d’Alger et vont former la Coordination des Mouvements de l’Entente (CME), plus tard en 2017. La Coordination des Mouvements de l’Entente (CME) prétend à la fusion de plusieurs mouvements dissidents de la Coordinations des Mouvements Armés de l’Azawad et de la Plateforme. Ces groupes armés dissidents de la Coordination des Mouvements Armés de l’Azawad et de la Plateforme demanderont ensuite leur inclusion dans la mise en mise en œuvre de l’Accord pour la paix d’Alger. Avec le souci de pouvoir bénéficier de grades et de positions dans l’armée et le pouvoir.
Le fractionnement accéléré de la mouvance touareg
Au sein même des groupes membres signataires d’Alger, un schéma similaire de scissiparité est observé. Le Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA) va émerger en septembre 2016. Il est issu d’une fragmentation de la CMA et d’éléments provenant du MNLA et du HCUA. Ces divorces internes sont principalement dus à des questions de répartition des postes politiques et militaires au cours de la période intérimaire. Le CMFPR-2, le MSA et la CPA se sont d’ailleurs opposés collectivement aux membres de la CMA de Kidal (MNLA et HCUA) qui semblaient vouloir imposer leurs hommes pour les autorités intérimaires et les patrouilles mixtes dans les régions de Gao et de Ménaka. Le MSA se divise en deux à son tour, à cause de querelles de leadership. Le MSA-C est majoritairement composé de Touaregs de la tribu des Chamanamas. Le MSA-D est dirigé par Moussa Ag Acharatoumane. Il est composé de ressortissants de Ménaka, majoritairement des Dawsahak. Après la prise du pouvoir par le colonel Goïta et les officiers qui lui sont alliés les négociations se déroulent avec le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), regroupant les principaux groupes armés maliens du nord. L’échec des échanges entre le gouvernement central et le Cadre stratégique permanent pour la paix résultait en grande partie de l’impuissance de cette structure à juguler les tensions internes et les prétentions multiples de ses composantes. Leur division explique en partie le succès, à Kidal, des FAMA, en novembre 2023, mais reste source d’inquiétude quant à la reprise ailleurs des combats.
La décantation des accords
Depuis 2015, beaucoup d’éléments de clarification des accords sont apparus. Si le gouvernement central est prêt à la paix, la partition de fait ou de droit du pays demeure complètement exclue. Le départ des forces armées françaises et de la MINUSMA réduit certes la présence de forces de dissuasion des mouvements armés non étatiques. Mais comme le disait Olivier Roy, les dissidents de l’intérieur sont ainsi pressés de chercher une légitimité interne qui existe pour certains d’entre eux. Il semble qu’il faille la rechercher ailleurs que dans l’identité de l’Azawad ou dans l’intégrisme de la religion. C’est particulièrement le cas des milices Peulhs qui ne revendiquent que d’une manière opportuniste leurs liens avec les autres groupes armés. Elles sont restées absentes de toute intervention en faveur du Cadre Permanent à Kidal. En même temps que la paix constitue la base et l’objectif des échanges entre l’État et les acteurs non-étatiques, il faudrait, après Kidal 2023, rétrécir d’une part le contenu des accords d’Alger et élargir leur signature à d’autres parties que celles présentes initialement à Alger. La bataille de Kidal a démontré l’incapacité des groupes armés à conserver une position statique sans prouver à contrario que les FAMA puissent achever leur victoire face à la mobilité des insurgés. Semble acquise la possibilité de reprendre un dialogue politique avec des références moins ambiguës qu’auparavant. L’Alliance des États du Sahel va faire monter la pression sur l’État islamique et Al Quaïda en les repoussant à leurs frontières. Quand on considère la fluidité des forces qui les composent, rien n’interdit de considérer la possibilité de défections et de transactions. Les accords d’Alger ne sont pas morts à Kidal. Souhaitons-leur une mutation positive pour le Mali et son peuple. L’expression politique des partis sur ces questions serait une voie pour sortir l’État d’un tête à tête délicat avec des ennemis de l’intérieur.