Le Niger en état de choc après la mort du capitaine Aziz Tchanga sur le front

L’annonce de sa chute, puis de son décès au champ d’honneur a suscité une vague d’émotion spectaculaire sur les réseaux sociaux du Niger.  A cause de son jeune âge (36 ans), de sa bravoure et de son héritage militaire familial, le capitaine Aboul Aziz Moumouni, dit Aziz Tchanga, a fait l’objet d’une pluie d’hommage émanant de ses frères d’armes et, plus largement, de la jeunesse de la capitale. Malgré de profonds différends politiques, les Nigériens affligés manifestent, dans leur deuil, la cohésion scellée sur le sang des soldats. Et l’espoir d’un pays nouveau, digne et courageux.

Nathalie Prevost

Décrit comme brave, respectueux, généreux, aimé de ses hommes et proche des populations, l’officier a été tué le 26 mai dans une embuscade du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), près de Falmey, dans la région frontalière de Dosso (zone de défense 7) qu’il sillonnait en tant que chef de l’opération Damissa. Il conduisait une patrouille fluviale sur le Niger à deux pas de sa base : Boumba, un gros village de pêche situé dans une zone d’activité djihadiste intense. Selon certaines sources, les assaillants auraient attaqué à l’arme lourde en surplomb, à partir de la rive béninoise du fleuve, alors que les vedettes des militaires étaient à découvert.

Les djihadistes affiliés à Al Qaida sont enracinés depuis plusieurs années dans le  parc transfrontalier du W, à cheval sur le Burkina Faso, le Niger et le Bénin, et ils y mènent la vie dure aux armées nationales. Le capitaine a été fauché chez lui : sa famille est originaire de Gaya, la pointe sud du Niger, tout près de la frontière du Bénin. 

Le corps du militaire a été repêché avec sept autres de ses hommes, dont son bras droit et ami de longue date, le lieutenant Hassane Moustapha. Cinq autres membres de l’unité restent portés disparus.

Une foule immense

Le général de division Moumouni Boureima dit Tchanga

Les honneurs militaires leur ont été rendus vendredi au carré des Martyrs, dans l’enceinte de l’Escadrille nationale, à Niamey, en présence d’une foule dense et silencieuse. Le général Salifou Modi, ministre de la Défense, puis le général Salaou Barmou, chef d’état-major des Forces armées nigériennes se sont inclinés les premiers sur les dépouilles. Suivis par le père du jeune officier, leur aîné à tous les deux, le général de division Moumouni Boureima dit Tchanga, figure respectée de l’armée depuis la présidence de Mamadou Tandja dont il fut le chef d’Etat-major général des armées jusqu’au coup d’Etat du 18 février 2010.

Ce n’est pas seulement parce qu’il est le fils d’une célébrité de l’armée nigérienne que sa mort a été particulièrement remarquée. Des internautes soulignent que, justement, ce général-là n’a pas placé ses fils à l’abri du feu, dans des bureaux climatisés à Niamey. Au nom d’un certain sens de la patrie et de l’honneur, deux des fils du général Tchanga servaient concomitamment dans les deux régions les plus dangereuses du pays, contre les deux franchises djihadistes rivales : à Boumba, où Aziz commandait une unité de forces spéciales, et à Tillia, le nord de Tahoua, fief de l’Etat islamique, où son grand frère, le commandant Abdoul-kader, sert comme chef de bataillon. Ce dernier a échappé à une attaque de grande ampleur seulement quelques jours avant la mort de son cadet.

«Sac au dos, arme à la main, gourde à la hanche»

Aziz l’avait écrit lui-même en 2011 sur les réseaux sociaux : il aimait ça. «Certains trouvent leur bonheur auprès de leur femme, d’autres à travers l’argent, d’autre même dans le simple fait d’être libre. Le mien, je le trouve dans le soleil ardent, sac au dos, arme à la main, gourde à la hanche, couteau à la cuisse et je le ressens encore plus quand je conduis mes hommes sous le feu ennemi. Il n’y a rien de plus beau que de voir les balles traçantes déchirer le ciel, rien de plus beau que le sifflement des balles.»

Le jeune homme avait bénéficié d’une formation d’excellence et, à cet égard, il incarnait une relève prometteuse. Après le Prytanée militaire de Niamey – en bon fils de militaire – il avait poursuivi des études universitaires au Maroc, puis fréquenté l’Ecole de formation des forces armées togolaises, d’où il était sorti en 2012 avec le diplôme de chef de section. De 2012 à 2016, il avait servi au 82e bataillon inter armes de Dirkou, puis, dans la foulée, au 52e, à Diffa, puis, jusqu’en 2021, à la 1ere compagnie amphibie, toujours dans la capitale régionale de l’est  en proie à l’insurrection de Boko Haram et de ses avatars.

Le capitaine Aziz avait suivi les cours de l’Ecole d’instruction et de formation technique pour les petites embarcations navales (NAVSCIATTS) aux Etats-Unis. Il y  avait d’ailleurs été recruté comme instructeur mais il avait préféré rentrer au pays en 2022. La NAVSCIATTS a salué «la vie extraordinaire et le sacrifice de l’ancien instructeur de la nation partenaire, Abdoul Aziz Moumouni», dit «Big Mike.». «Combattant dévoué et symbole d’espoir, Abdoul incarnait la résilience et l’engagement envers son pays.»

Une fillette dans les bras

A partir de 2022, le capitaine sert en qualité de commandant d’unité à la 2e compagnie amphibie, à Boumba. On peut le voir, sur la dernière vidéo diffusée par les forces armées nigériennes, le 24 mai, avec une fillette dans les bras, dans une salle de classe fraîchement inaugurée dont il avait contribué sur ses propres deniers, selon un proche, à la construction.

Un de ses amis, Ibrahim Bana, activiste de la société civile, a raconté avoir reçu des appels d’habitants de Boumba après l’embuscade. «Il dormait à côté des zones de turbulences et donnait son numéro aux villageois. Dès qu’ils l’appelaient, il sortait avec ses hommes. Les gens voyaient en lui une sorte de justicier.» Dans le cadre de l’opération Damissa, l’unité du capitaine ratissait sans répit la zone allant de la frontière du Nigéria aux confins ouest du parc W, sécurisant la route stratégique du sud sous forte pression djihadiste. 

Maroc, Chine, Etats-Unis : à l’instar de beaucoup d’officiers des pays du Sahel, Aziz Abdoul Moumouni s’était formé au gré des opportunités un peu partout à l’extérieur.

Mieux que son père

Des proches ont décrit combien la figure paternelle avait pesé dans le parcours du jeune homme. «Tu voulais honorer ton père, faire mieux encore, inscrire ton nom dans l’histoire. Tu l’as fait!», lance un de ses camarades du Prytanée, Anawar Abdoulaye, lui-même fils d’officier.«Aujourdhui que tu rejoins ton seigneur, tu as honoré notre challenge : honte à celui qui ne fait pas mieux que son père !’, écrit un autre condisciple reprenant à son compte la parole de Thomas Sankara : «même s’il est général

Les hommes d’Aziz Abdoul Moumouni, comme Aboubacar Maïga, de l’unité amphibie, saluent «le courage et le dévouement» de leur capitaine, «son sens de la responsabilité et de l’intégrité.» Sabo Amadou Aboubacar, lui, est «dévasté» : «Aziz était toujours au front prêt à défendre sa patrie. C’est lui-même qui donnait l’exemple à ses hommes ; c’est lui-même qui prenait les devants avec courage et fierté. Je ne peux retenir mes larmes, en même temps animé par une colère inexplicable et impuissant face à cette réalité.» Colère et découragement aussi chez Domato Dan Baki : « Personnellement, sa disparition m’a démoralisé, parce que je sais ce qu’il vaut. J’ai manoeuvré à ses côtés depuis 2014 et j’ai toujours pensé qu’avec des chefs comme lui, cette guerre prendrait fin sans tarder. (…) Le défunt n’est pas n’importe qui. C’est un Dieu de la guerre. Il a fait tomber beaucoup (d’ennemis) sur le terrain.»

«Il y a des hommes de terrain, reconnus pour leur bravoure et leur stratégie de guerre, capables de conduire des armées, qui nous sont chers et leur perte nous déchire le cœur et l’âme», écrit Zara Mamane. «Mon capitaine Aziz Tchanga, je ne t’ai jamais connu de ton vivant, mais ta mort inonde nos réseaux sociaux de messages de compassion prouvant que nos officiers supérieurs ne sont pas tous pourris», renchérit Abdoul karim Alpha Gado. Moins trivial, Abdoul-Aziz Garba Sayo prie pour que «le souvenir de ce soldat et de tous les autres héros tombés au combat nous incite à vivre avec la même dignité, le même courage et le même engagement envers les valeurs qui nous sont chères.»

« Le fils du Niger »

Ces hommages reflètent une solidarité renouvelée des Nigériens avec leurs martyrs militaires. Et ils fournissent l’opportunité d’honorer d’autres soldats et officiers de naissance moins prestigieuse eux-aussi tombés sur le front, en photos, en textes et même, en poésie. «Votre sacrifice est un feu sacré qui consume la peur, éclaire nos nuits incertaines et réchauffe l’âme d’une Nation qui s’interroge encore», écrit, par exemple, Kabirou Boubacar. «Ce soir, la chaleur qui s’échappe des entrailles de la terre rouge fait remonter vos souvenirs comme une macabre litanie.(…) Issoufou, Hassan, A. Moumouni, Aziz et tous les autres, vous avez été arrachés à notre affection si tôt. Mais malgré la douleur, nous sommes reconnaissants. Et bizarrement, quelque peu jaloux. Oui, jaloux de cette belle mort que vous avez eue, car il n’est rien d’aussi noble que de passer l’arme à gauche en défendant des idéaux qu’on croit justes», s’émeut Rabiou Taro.

Le capitaine Abdoulaye Ben Idé puise de la force dans la mort de son frère de coeur. «Tu as montré au monde entier ce qu’est un fils du Niger. (…) Ton absence est une douleur, mais ta mémoire est une force. Nous, tes frères d’armes, poursuivrons le combat. Et quand le vent soufflera sur les collines de ta dernière mission, nous saurons que c’est ton esprit qui veille.»

C’est dans la douleur, que se construisent les nations.