Les actions armées se multiplient ces dernières semaines contre les intérêts pétroliers du Niger, moteur de la croissance à deux chiffres promise au pays en 2024. Mais plusieurs acteurs distincts sont à l’origine de ces pressions qui poursuivent des ambitions différentes.
Le dernier en piste vient de revendiquer l’enlèvement du préfet de Bilma, le commandant Amadou Torda, et de quatre membres de sa délégation vendredi, dans le nord-est désertique du Niger. Le Front Patriotique pour la Justice, commandé par Mohamat Tori, exige « le retour à l’ordre constitutionnel normal » sans citer le nom du Président Mohamed Bazoum renversé par le coup d’Etat du 26 juillet dernier. Dans son communiqué du 23 juin, le FPJ demande aux sociétés « d’exploitation des ressources naturelles », particulièrement la société pétrolière nationale chinoise CNPC (China National Petroleum Corporation), « d’arrêter toutes les activités d’exploitation jusqu’au rétablissement d’un état légitime. » Il affirme « sa volonté de préserver la sécurité des civils et le respect du droit humanitaire pendant ses opérations. »
Un groupe armé aux objectifs ambigus
Le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et de l’Administration du territoire, le général Mohamed Toumba, a précisé les conditions de cet enlèvement commis à la faveur d’un guet-apens, lors que le préfet et sa délégation, « de retour d’une mission à Dirkou » se trouvaient « à hauteur du village de Eguer, à 17 km au nord de Bilma. » « Malgré une résistance héroïque, ils ont été submergés et pris en otages par les bandits armés à bord de deux véhicules Toundra », indique le communiqué officiel.
Le corps d’un lieutenant de la garde nationale a été retrouvé à proximité du lieu de l’enlèvement. Un civil a été remis en liberté mais le commandant de la gendarmerie de Bilma et trois gardes qui accompagnaient le préfet sont désormais otages du FPJ. Dans la course poursuite engagée par l’armée nigérienne, un autre garde a été grièvement blessé. Le Front patriotique pour la Justice, mentionne, pour sa part, un « martyr ».
Le nouveau chef de groupe armé, Mahamat Tori, affirme lancer « un message à l’endroit des putschistes du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie d’arrêter ses manoeuvres de manipulation et cette situation d’injustice dans lequel le pays est plongé et le retour à un ordre constitutionnel normal et à l’Etat de droit. »
Mahamat Tori appartient à la communauté toubou, des éleveurs nomades installés dans l’est et le nord-est du Niger qui contrôlent la zone frontière avec la Libye et, par voie de conséquence, tous ceux qui y circulent. Les Toubous sont également les habitants historiques de la région d’où est extrait le pétrole. Dans les années 1990, ils y ont dirigé une rébellion politique qui était alliée de celle des Touareg du nord.
Rivalités de leadership au sein de la communauté toubou
Mahamat Tori a créé son propre groupe armé récemment, après des divergences avec Mahmoud Sallah, le chef d’un autre groupe armé, le Front Patriotique de Libération, qui a, lui, fait saboter l’oléoduc transportant le pétrole brut nigérien jusqu’au golfe de Guinée, a appris Mondafrique. Bien que ses revendications initiales concernaient l’indépendance du fief toubou du Kawar, Tori se serait finalement rapproché d’autres acteurs de la même communauté poursuivant des objectifs plus personnels, qui appuient ses actions à partir de la Libye. Sont ainsi cités Mohamed Wardougou, qui commande une unité de l’Armée nationale libyenne du général Haftar dans la zone frontière entre le Niger et la Libye et l’ancien chef de cabinet de Mohamed Bazoum, Issa Galmey. Barka Wardougou, l’aîné, décédé en Libye de Mohamed, fut le chef incontesté de la rébellion historique. Selon les informations de Mondafrique, le FPJ de Tori viserait à faire pression sur les autorités de Niamey pour récupérer des intérêts d’affaires mis à mal par le coup d’Etat.
Plus politique, bien que parfois difficile à suivre dans sa vision, un autre jeune leader communautaire toubou, Mahmoud Sallah, a fait saboter un tronçon du pipeline le 16 juin dernier dans le département de Tesker, en zone pastorale touboue. Au nom du Front Patriotique de Libération – quasi homonyme du groupe cité ci-dessus, il affirme que « toutes ses actions visent à rétablir le régime démocratique usurpé par une bande de généraux félons qui séquestrent le Président de la République et ont pris en otage le peuple nigérien tout entier. » Il s’adresse, tout spécialement, aux « forces de défense et de sécurité » qu’il appelle à « mettre fin à l’aventure désastreuse du CNSP. » Avant le sabotage du pipeline, le FPL s’était fait remarquer par l’attaque d’un détachement militaire escortant un convoi de civils, près d’Arlit, dans le nord du Niger. Mahmoud Sallah a assuré à Mondafrique qu’il se refusait à pratiquer des enlèvements comme le font les terroristes.
Un cocktail de mobiles politiques
« Le sabotage du pipeline est une mise en garde claire au CNSP et ses complices qui profitent seuls de la vente du pétrole au détriment des masses populaires. Le PFL se réjouit de la grande sympathie et de l’adhésion populaire que suscitent ses actions et rassure les compatriotes qu’il ne sera perturbé dans sa conduite par quelque diversion que ce soit », écrit Mahmoud Sallah, dans un style volontiers lyrique. Il termine son propos par un appel des populations à la vigilance et à la dénonciation de « tous les traîtres et les escrocs alléchés par l’odeur des récompenses promises par les ennemis de la Nation. »
Nul doute que cette dernière phrase vise la communauté toubou, où Mohamed Bazoum ne compte pas que des amis, particulièrement à Tesker, la circonscription désertique qui fut son fief électoral pendant des années. Les autorités nigériennes actuelles, à commencer par le Premier ministre Lamine Zeine, toubou, vont certainement s’appuyer sur les relais traditionnels de la communauté dans toute la région pour renforcer la sécurité de leurs installations stratégiques.
En août 2020, Mahmoud Sallah avait créé un premier groupe armé pour renverser le Président d’alors Mahamadou Issoufou qu’il continue de poursuivre de sa vindicte. Mondafrique avait brossé son portrait en 2021 (voir ci-dessous). Avec le successeur d’Issoufou, qui l’avait pourtant envoyé en prison, Sallah avait fini par sceller un accord à la veille du coup d’Etat. Mais la chute de Bazoum le 26 juillet dernier a renvoyé Sallah à la clandestinité et ses risques.
Enfin, au-delà des deux acteurs toubous présentés ci-dessus, l’oléoduc a subi une autre attaque, encore plus meurtrière, le 12 juin. Cette fois, c’est une patrouille de sécurisation du pipeline qui a été prise à partie par des bandits armés dans la région de Dosso, bien à l’ouest des territoires toubous. Six soldats nigériens ont été tués. L’armée assure que « les assaillants ont été contraints de battre en retraite » et ont pu « emporter avec eux un nombre indéterminé de morts et de blessés ». Si l’événement n’a pas été revendiqué, il ressemble, par le mode opératoire et sa cible militaire, à une attaque djihadiste. Les régions à proximité du nord-ouest du Nigéria subissent une criminalité mixte très active, où se côtoient bandits et djihadistes.
Niger, un nouveau groupe armé s’invite dans la campagne politique