Acté le 15 décembre 2024 à Abuja, au Nigeria, par le 66 eme sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO, le divorce entre cette organisation régionale et les trois pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES, Burkina Faso, Mali, Niger) est devenu définitif ce mercredi 29 janvier 2025. Dans un communiqué publié ce jour même, la CEDEAO a assuré que rien ne changera pour l’instant pour les ressortissants des trois pays de l’AES. Des assurances qui ne suffisent pas à apaiser certaines inquiétudes des diasporas sahéliennes établies dans les pays côtiers où elles représentent les premières communautés étrangères. Après la Côte d’Ivoire (1/3) et le Bénin (2/3), Mondafrique se penche dans ce troisième volet de son enquète sur le Togo (3/3) pour rencontrer les diasporas sahéliennes et découvrir comment elles appréhendent le divorce brutal entre la CEDEAO et l’AES.
Seidik Abba, rédacteur en chef de Mondafrique
Ainsi les ressortissants du Burkina Faso, du Mali et du Niger, établis au Togo, où ces ressortissants du Sahel forment la plus grande communauté étrangère, envisagent l’avenir sans inquiétudes particulières.
Correspondance à Lomé, Edem Gadegbeku
Chez la plupart de ces Sahéliens rencontrés à Lomé (capitale togolaise et plus grande ville du pays, située sur la frontière avec le Ghana) ce 28 janvier 2025, domine le sentiment de sérénité, « d’une foi en un avenir plus prometteur hors des sentiers battus de la CEDEAO ». Avec un plaidoyer récurrent de voir le retrait de l’AES de la CEDEAO gommer durablement un certain nombre de tracasseries inter-Etats qui retardent jusqu’à présent la libre circulation des personnes et des biens dans l’ouest du continent africain.
Rien ne va changer
Au Haut Conseil des Nigériens au Togo, sa coordination conçoit l’officialisation du retrait ce mercredi 29 janvier 2025 de l’AES du bloc des 15 pays d’Afrique occidentale comme « le début d’une nouvelle ère dans le raffermissement des relations de longue date et diversifiées entre Niamey-Lomé, surtout sur le plan commercial ». Ali N. (membre de la coordination de ce Haut Conseil) rappelle que le « Togo a adopté une posture atypique à l’égard des Etats sahéliens ces trois dernières années via ses diverses missions de bons offices entre capitales sahéliennes et la CEDEAO. Une posture que n’oublierons pas de si tôt ». D’autant plus, embraye-t-il, que « la diplomatie togolaise n’exclut pas une adhésion du Togo à l’AES » ! « Nous sommes davantage confiants et sereins autour de ce retrait (du Burkina Faso, du Mali et du Niger) sans répercussions mouvementées car les liens fraternels entre Nigériens et Togolais sont de longue date », insiste-t-il. Une assurance à toute épreuve bémolisée par la réserve d’un officiel de l’Ambassade du Niger au Togo sur le sujet du départ des Etats de l’AES de la CEDEAO. Ce dernier « préfère se garder de commentaires » en attendant les premières matérialisations de cette nouvelle donne sous-régionale.
Diallo B. est pour sa part responsable d’agence d’une des principales compagnies de bus opérant entre Lomé et les villes phares du Burkina Faso. « Strictement, rien ne va changer dans les modalités de voyage entre les deux pays à partir de ce 29 janvier 2025, comme l’ont expliqué à maintes reprises nos autorités depuis décembre 2024 ». « Nous souhaitons tout juste une disparition progressive des rackets d’hommes en uniforme durant les trajets le long du corridor Lomé-Ouaga, ainsi qu’une plus grande diminution des tracasseries douanières dans le cadre du commerce entre les deux Etats voisins », reprend-il. Confiant en l’avenir proche et lointain des pays de l’AES hors de la sphère de la CEDEAO.
La fraternité survivra au divorce
Omar, vendeur de pièces détachées pour automobiles fait la navette entre son pays, le Burkina Faso, et Lomé. Le départ de l’AES du giron de la CEDEAO « ne lui fait ni chaud ni froid ». Il se « dit certain que cette nouvelle donne régionale ne va aucunement affecter ses activités au quotidien, car le Togo et le Burkina Faso sont des pays frères ». Mieux, à ses yeux, « le Togo a les mêmes visions que le Faso, visions réaffirmées et défendues récemment par le Pr Robert Dussey, chef de la diplomatie togolaise ».
Convoyeur de son état dans une gare routière au centre-ville de Lomé, Issa est Malien et se présente comme un fin connaisseur des trajets routiers entre le Sahel et les Etats côtiers ouest-africains. L’entrée en vigueur du retrait ce mercredi 29 janvier 2025 de l’AES de la communauté ouest-africaine « n’aura aucun impact sur nos activités au quotidien », confie-t-il. Depuis fin juillet 2023, compare-t-il, « nous nous sommes préparés à cette nouvelle donne. Comme l’a déjà illustré la résilience de nos frères routiers sahéliens, quand le Bénin voisin a décidé de fermer unilatéralement ses frontières terrestres avec le Niger. Le Togo en sort gagnant, avec une augmentation du trafic entre le Sahel et son Port en eau profonde ».
Les besoins de sécurisation des couloirs commerciaux et la libre circulation des biens et des services sont des thématiques transversales dans les propos de Sahéliens au sujet du retrait de l’AES de la CEDEAO. Ils servent par ailleurs de socle pour formuler des critiques acerbes envers la CEDEAO, justifiant la démarche disruptive des 3 Etats du Sahel. Mme Awa, Malienne, la soixantaine, commerçante, est de cet avis. Elle soutient que « la CEDEAO a permanemment compliqué les relations entre ses pays membres ». Et brandit comme exemple palpable : « Juste à côté de Lomé, lorsque tu souhaites traverser la frontière Togo-Ghana. Les Ghanéens te compliquent la vie avec des rackets latents. Qu’a une fois fait la CEDEAO pour remédier à ce problème jusqu’à ce 29 janvier 2025 » ?
Tensions négatives entre le Bénin et le Niger
Sous le sceau de l’anonymat, un Nigérien, patron d’une compagnie de bus opérant entre Lomé et le Sahel, concède toutefois des répercussions indéniables des tensions au sein de la CEDEAO depuis 2022 sur les recettes dans son secteur d’activités. Et ne projette pas une amélioration à court terme de ce phénomène avec l’effectivité du départ des pays de l’AES de cette communauté. Il en veut « pour preuves le statu quo dans les relations Bénin-Niger », malgré les normalisations officielles annoncées.
Avec comme corollaires « que nos bus ne traversent plus la frontière de Malanville. Nos passagers sur le trajet Lomé/Cotonou-Niamey sont obligés de traverser la frontière à pied, et doivent reprendre un autre bus de l’autre côté pour gagner leur destination finale. Des tracasseries engendrant des surcoûts et des dépenses d’énergie pour nous tous », se lamente-t-il.
Plusieurs Sahéliens croisés dans les rues de Lomé ce 28 janvier 2025 n’ont pas non plus hésité à embrayer sur des ritournelles soutenant la démarche disruptive de l’AES, avec le prisme du souverainisme, du chauvinisme voire de l’irrédentisme. C’est le cas de Seydou, Nigérien, vendeur ambulant de pochettes et de chargeurs de téléphone. « Je n’ai aucune appréhension à l’égard du retrait des 3 pays de l’AES de la CEDEAO, car cette organisation, en complicité avec la France, finance et entretient le terrorisme au Sahel », défend-il fièrement et avec fermeté.
Nassirou de son côté est aussi Nigérien, vendeur de sacs d’ordinateur et originaire de Tillaberi (sud-ouest nigérien). « Nous allons pouvoir développer nos économies dorénavant. Je fais totalement confiance aux leaders de l’AES au sujet du choix de quitter la CEDEAO, et n’ai aucune crainte en l’avenir. D’autant plus que je vis au Togo, pays frère », assure-t-il.
Passage au régime parlementaire
Preuve de plus de la sérénité des Sahéliens sur ce sujet de retrait, au jeune Consulat Général du Burkina Faso à Lomé, l’heure est à « la dissémination d’informations pratiques autour de l’entrée en vigueur d’un nouveau passeport de l’AES à compter de ce 29 janvier 2025, sans incidences sur les anciennes versions du passeport des Etats membres de cette Alliance ».
A Lomé, le débat national autour de l’officialisation du retrait de l’AES de la CEDEAO (dont le Togo est membre fondateur depuis le 28 mai 1975) est relégué au second plan par l’organisation prochaines des premières sénatoriales du pays en février 2025. Un scrutin qui devrait marquer le parachèvement institutionnel de la mise place de toutes les institutions de la Vème République, adoptée en mai 2024 par les députés togolais, mais vigoureusement contestée par opposants et entités phares des OSC. Cette Vème République consacre le passage du Togo du régime présidentiel au régime parlementaire.