Alors que le procès contre Nicolas Sarkozy débute ce lundi 6 janvier dans l’épais dossier d’un éventuel financement libyen des comptes de campagne de ce dernier, Mondafrique revient sur le mystérieux Souheil Rached, un agent de la Libye qui n’a jamais été entendu par la justice et qui fait partie pourtant des onze personnalités que l’ancien Président de la République n’a pas eu le droit de rencontrer depuis le début de l’instruction. Cet oubli est d’autant plus surprenant que ce représentant de Mouammar Kadhafi en France, au mieux avec Nicolas Sarkozy et ses proches, actif en Afrique francophone et très lié aux services français, est parfaitement au courant des relations entre le pouvoir français et le Guide libyen. Son audition aurait permis d’éclairer utilement les coulisses de ce dossier complexe de financement politique. En privé en effet et lorsqu’il se confiait à son entourage, Souheil Rachel révélait la réalité des aides de Kadhafi à la classe politique française. « Onze millions, leur expliquait-il, ont été versés à Nicolas Sarkozy via l’Allemagne et en deux fois, sept millions puis quatre millions. Une dizaine de millions ont été donnés à une personnalité de gauche très en vue au Parti Socialiste ».
Ancien photographe de presse au Liban, Souheil Rached aura été surtout dans sa jeunesse un militant courageux et déterminé du FPLP, l’organisation palestinienne de Georges Habache. C’est à ce titre qu’il rencontre, durant la guerre au Liban, les milieux de renseignement français ainsi que le colonel libyen Saleh Drouki, alors ambassadeur de Libye à Beyrouth.
Présenté à Tripoli au « Guide », le jeune Souheil débute une carrière brillante et foudroyante auprès de Moussa Koussa, qui est chargé, sous l’autorité directe de Kadhafi, de tous les dossiers sensibles à l’étranger. À ce titre, Koussa négociera avec les Anglais le dossier « Lockerbie », du nom de ce village écossais où un avion de la Pan s’écrase en 1988, victime d’un attentat meurtrier (270 morts) qui sera imputé aux Libyens. Apparemment, Moussa Koussa, adepte du double jeu, saura s’y prendre avec les services anglais. Durant la guerre franco-anglaise en Libye en 2011, ce proche parmi les proches de Kadhafi s’enfuit en Angleterre, porteur de ses secrets d’État; il y sera fort bien accueilli, avant de gagner l’Arabie Saoudite, où il séjourne.
De Paris à Bamako
Jusqu’à l’intervention en Libye en 2011, Souheil Rached, francophone et francophile, est l’homme qui connait le mieux les relations entre Tripoli et Paris, comme le raconte fort bien dans le livre « Sarkozy/Kadhafi, histoire secrète d’une trahison » (Le Seuil) la journaliste Catherine Graciet. Le domaine d’intervention de cet agent d’influence s’étend même en Afrique francophone. À l’époque, Kadhafi se veut le roi de l’Afrique sahélienne, où il déverse des dizaines de millions de dollars. Mais il s’agit de pays d’influence française. Souheil Rached déploie tout son talent pour rapprocher les hommes de Kadhafi, la diplomatie française et les chefs d’État africains, notamment au Mali et au Niger.
À Bamako encore aujourd’hui, cet homme de l’ombre est consulté par le président IBK. En revanche à Niamey, il n’est plus personna grata, car les militaires nigériens n’ont guère apprécié la façon dont il a mis en cause leur incompétence et leur corruption auprès du président nigérien Issoufou. Lors de son dernier séjour dans ce pays, il sera exfiltré par la DGSE française dès son arrivée. Les patrons de l’armée nigérienne voulaient lui faire la peau.
Bakchichs pour tous
Depuis peu, Souheil Rached séjourne au Caire où il joue un röle discret pour conseiller le pouvoir égyptien sur le dossier libyen. On peut imaginer qu’il est en phase avec son ancien patron, Moussa Koussa, qui, lui, est consulté par le régime Saoudien. À Riyad comme au Caire, on souhaite que l’ordre revienne en Libye et que les frères Musulmans soient définitivement chassés du pouvoir à Tripoli.
Fort habile, Souheil Rached a maintenu des liens étroits avec ses amis de la DGSE (services extérieurs) ou de la DGSI (contre espionnage), où il avait ses entrées. Ce qui explique que ses séjours parisiens aient toujours été discrets et protégés depuis que l’affaire du financement libyen a éclaté. À moins que les juges ne veuillent pas entendre un témoignage qui n’irait pas dans le sens de leurs à prioris. Ce qu’aurait à déclarer en effet ce témoin clé ne va pas dans le sens de ce qu’on entend généralement sur ce dossier, où seul Nicolas Sarkozy est mis en cause. En privé, Souheil Rachel n’hésitait pas à mettre en cause l’ensemble de classe politique française de gauche comme de droite. » Onze millions, leur explique-t-il, ont été versés à Nicolas Sarkozy via l’Allemagne et en deux fois, sept millions puis quatre millions. Une dizaine de millions ont été donnés à une personnalité de gauche très en vue au Parti Socialiste ».
Cette version est à l’image du roué colonel Kadhafi, quarante deux années de rêgne, qui ne voulait jamais insulter l’avenir.