Sénégal, le gentil président Faye contre le méchant Premier ministre Sonko

Amdou Ba à droite et Bassirou Diomaye Faye présentés comme les favoris de l'élection présidentielle sénégalaise du 24 mars 2024.

L’opposition rêve de déliter la relation entre Ousmane Sonko et Diomaye Faye, le duo qui a pris les commandes du Sénégal après une Présidentielle sans fraude ni contestation dans un pays qui reste le laboratoire démocratique de l’Afrique.

Bati Abouè à Abidjan et Nicolas Beau à Paris

L’ex Président Macky Sall, qui bénéficie à Paris de solides appuis, dont celui d’Emmanuel Macron, est bien décidé à tout mettre en oeuvre pour revenir au pouvoir.

Entre une retraite dorée à Marrakech et les bureaux qu’il compte s’installer à Paris, l’ancien Président Macky Sall n’est pas resté inactif depuis la dernière Présidentielle sénégalaise qui a vu ses partisans essuyer une défaite spectaculaire. À ceux qui peuvent se demander qui est désormais le chef de l’opposition au Sénégal, la réponse fuse immédiatement.   » C’est Macky et lui seul », affirme un de ses principaux soutiens à Paris.

Non sans habileté, Macky Sall distille les éléments de langage à ses partisans. Or pour revenir au pouvoir au Sénégal, l’ancien parti au pouvoir veut investir sur une stratégie de délitement du nouvel exécutif. L’entourage de « Macky » prend plaisir à dépeindre Diomaye Faye comme un homme mesuré, éduqué et responsable, alors que Ousmane Sonko de serait qu’un leader sectaire et populiste prêt à suivre les traces d’un JeanLuc Mélenchon qu’il recevait avec les honneurs à Dakar.  « Si Sonko suit les conseils de son gouro idéologique Mélenchon, confie l’ancien ministre et ex porte parole de Macky Sall Yoro Dia, le Sénégal deviendra le Vénézuéla » .

« Le pas en avant » de Faye

La deuxième visite du nouveau président sénégalais fut pour le Président ivoirien Ouattara, adoubé par la vieille garde des chefs d’état conservateurs

Le docteur Yoro Dia exprime bien cette volonté du clan de Macky d’enfoncer un coin entre les deux tètes de l’exécutif. « En matière de politique extérieure, confie-t-il dans le journal l’Aurore, le duo Diomaye-Sonko danse la tango, c’est-à-dire un pas en avant deux pas en arrière. Autant le Président Faye a fait un pas en avant en réservant sa première sortie à l’étranger à la Mauritanie, signe d’avant-garde car avec le pétrole et le gaz, le Sénégal peut accélérer sa marche vers l’Emergence. Donc être à l’avant-garde économique après avoir été à l’avant-garde politique ( exception démocratique) ».

Et le même brillant éditorialiste de poursuivre: « Autant Sonko, avec son tournée pompeusement annoncée dans l’alliance des Etats putschistes (Guinée et l’Alliance des Etats du Sahel à savoir le Mali, le Burkina et le Niger), fait deux pas en arrière en réservant sa première sortie aux pays de l’arrière garde démocratique. Même s’ils sont sensiblement de la même génération, il y a un fossé politique entre le Président Faye et ces Présidents de l’alliance des Etats putschistes. Diomaye a été élu démocratiquement alors les autres ne sont que des putschistes qui cherchent à légitimer leur forfaiture par la manipulation idéologique d’un souverainisme désuet et anachronique ».

Ousmane Sonko, sans états d’ame

Au Sénégal, les partisans de Macky Sall rêvent en effet d’exacerber la rivalité entre le Président et son premier ministre. Plusieurs sites sénégalais reprochent au Premier ministre Ousmane Sonko d’être réfractaire à la liberté d’expression. Les mêmes cherchet à établir une sort de filiation répressive entre le Premier ministre et l’ex Président Macky Sall.

Il est vrai que deux activistes sénégalais, dont un marabout, ont été emprisonnés. Mais ils avaient accusé le nouveau premier ministre sénégalais d’être homosexuel afin de le discréditer auprès la grande majorité de l’opinion publique sénégalaise.  Ousmane Sonko a clos le débat en affirmant que son pays tolère l’homosexualité mais résiste à la propagande lgbt que l’Occident voudrait lui imposer.

Le Sénégal, cimetière des cohabitations

Les proches de Macky Sall mettent un mali plaisir à rappeler l’histoire du Sénégal est pavée de brouilles entre les deux tètes de l’exécutif, dont l’amitié n’a pas su résister au temps. Peu après l’indépendance, on assista à la rupture retentissante du duo Senghor-Dua qui s’est conclue par l’emprisonnement du second, alors premier ministre, accusé de vouloir renverser le président Senghor. 

Plus tard, l’apparente bonhomie du président Diouf n’a pas pu résister aux germes de la division entre lui et son premier ministre, Habib Thiam, pourtant son ami d’enfance. Les deux hommes se sont séparés pour des raisons de divergences politiques, le premier ministre revendiquant son indépendance face aux dérives présidentialistes du régime. Il en fera les frais en 1983. D’ailleurs cette année-là, le président Abdou Diouf supprime le poste de Premier ministre qui avait été créé en 1970 par Senghor.

La relation au départ très filiale entre Abdoulaye Wade et son premier ministre Idrissa Seck s’est rapidement détériorée elle aussi, Wade limogeant même Seck avant de l’accuser de détournement de fonds publics. Au total, les duos en politique sont fragiles. D’autant plus que le nouveau président a promis des réformes pour mettre fin à la concentration des pouvoirs aux mains du chef de l’état, ce qui devrait rendre la cohabitation plus délicate encore si les liens entre les deux hommes se détériorent..

Ousmane Sonko, l’icone

Lors de son investiture, le président Bassirou Diomaye Faye a d’ailleurs mis clairement en cause en dénonçant « une judiciarisation de l’espace politique qui a fait de la justice un levier entre les mains du président de la République ». Les récentes journées de dialogue national sur la justice au Sénégal constituent un premier pas vers cette réforme qui laisse à penser « qu’il n’y aura pas de dualité au sommet de l’État » et que même si ce risque existe, il « peut être évité si chacun a une claire conscience de l’étendue de ses compétences et (…) une concertation permanente entre les deux », a expliqué Maurice Soudieck Dione.

Porté au pouvoir grâce à un score de 54,28% au premier de l’élection présidentielle, Bassirou Diomaye doit tout, aux yeux de la majorité des sénégalais, à Ousmane Sonko qui n’a pu être candidat en raison de ses démêlées judiciaires. Le président du Pastef est d’ailleurs perçu comme le prochain président du pays, Diomaye Faye devenant alors son premier ministre.

Les deux hommes sont liés par une aventure politique sans précédent. Pour autant, rien n’est écrit dans le marbre. Car dès cet automne, le cap du vote du budget sera difficile à passer tant les espoirs qui existent désormais d’une vie meilleure sont grands dans tout le pays et alors même que l’équipe au pouvoir n’a pas de majorité claire au sein du parlement.