Sénégal, la première manifestation populaire hostile au nouveau pouvoir

En pleine crise économique et financière, le Gouvernement du Sénégal a initié de nouvelles taxes d’une valeur totale de 762 milliards Fcfa. Des décisions qui ont provoqué de nombreuses réactions hostiles, y compris dans la rue,  et fragilisent le régime. Car le pouvoir d’achat des ménages est fortement menacé en raison de la répercussion de la valeur des taxes sur les prix par plusieurs entreprises.

Ibrahima Dieng (correspondance Dakar)

Au Sénégal, le nouveau régime a observé la semaine dernière, une première manifestation sociale qui lui est hostile. Un collectif du nom de Nio Lank « Nous refusons » a marché le 17 octobre 2025, dans l’objectif de dénoncer la cherté de la vie notamment les factures d’électricité dont les montants grimpent au fur et à mesure. Pour cette manifestation d’envergure qui a réuni des centaines de personnes, les plaintes sont les mêmes : des conditions sociales de plus en plus compliquées.

En première ligne, le ton amer, le visage renfrogné, le regard sévère, le jeune Pape Ibrahima Ndom, très remonté, d’une voix énergique n’a pas manqué de crier son ras-le-bol, appelant les autorités à trouver les solutions appropriées pour mettre un terme à cette situation. « La responsabilité de l’État est directement engagée et les autorités nous doivent des explications claires. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Avec les compteurs woyofal (prépayé), vraiment c’est du n’importe quoi et de jour en jour, on voit que ça devient de plus en pire », dit-il tout en faisant savoir que le collectif compte mener farouchement ce combat jusqu’à obtenir gain de cause.

Les conséquences ne se limitent pas aux ménages. Les entreprises sont également affectées par des tarifications jugées exagérées.  « Le tarif appliqué aux PME est excessivement cher et tue la compétitivité nationale. Des milliers de petites entreprises, qui constituent la colonne vertébrale de l’économie sénégalaise, travaillent à perte. Les startups ne peuvent plus faire de bénéfices, elles luttent simplement pour leur survie et pour payer leurs charges », a ajouté Pape Ibrahima Ndom.

Une fiscalité asphyxiante

Le ministre des Finances et du Budget Cheikh Diba 

Au Sénégal, dans un contexte économique et financier compliqué, le Gouvernement déroulé depuis le 1er août 2025, un Plan de redressement économique et social. Il repose principalement sur une fiscalité renforcée. Ainsi, il sera enregistré des recettes additionnelles de 762,6 milliards FCFA. La taxation des jeux de hasard va rapporter 300 milliards de FCFA ; la taxation des services « mobile money », plus de 76,5 milliards FCFA ; la suppression des valeurs de correction au profit des valeurs transactionnelles sur certains produits générateurs de recettes comme le riz et l’huile, 29 milliards FCFA.

La réactivation des droits de sortie sur les exportations d’arachide devrait générer 9 milliards de FCFA. Le relèvement de la taxation sur le tabac de 70% à 100% devrait permettre à l’État d’encaisser 8,2 milliards FCFA. Les gains attendus de la rationalisation des dépenses fiscales sont de l’ordre de 100 milliards FCFA.

La réactivation des droits à l’importation des téléphones portables ferait gagner 18,8 milliards de FCFA ; la taxe à l’importation des noix de cajou est attendue à 5 milliards de FCFA. La taxe sur l’exportation d’or aura des recettes projetées à 26,3 milliards de FCFA.  Quant à la taxe sur l’importation des véhicules, elle devrait générer 28,5 milliards de FCFA. Au même moment, les recettes attendues de la régularisation foncière massive sont estimées à 100 milliards de FCFA. Quant aux dividendes issues des surplus imputables aux sociétés minières sont attendues à 9 milliards de FCFA.

Ce qui fait que le pays présente actuellement un taux de pression fiscale de 23,2% soit le plus élevé dans la zone Uemoa.

Les grandes surfaces en cause

Les ménages risquent de voir leur pouvoir d’achat s’affaiblir en raison de la politique fiscale de l’État en quête, cette année, de 762 milliards Fcfa de plus. Après cette mesure, le Groupe Auchan, directement concerné par la révision du nouveau Code général des Impôts, a décidé que conformément à la nouvelle réglementation, un droit de timbre de 1% est désormais appliqué sur tous les paiements en espèces Canal plus a aussi procédé à une hausse de ses tarifs de l’ordre de 10%

Le député Thierno Alassane Sall

Du côté, de l’opposition,  la grogne monte. Le député Thierno Alassane Sall, leader de la République des Valeurs (Rv) considère que le gouvernement fouille les poches des Sénégalais pour piquer les plus minuscules pièces qui s’y trouvent. A l’en croire, ces taxes et redevances ont pour objet de « mieux alimenter les fonds politiques et leurs salaires confortables des gouvernants ».

La situation met dans l’embarras le pouvoir sénégalais tenté de ro-iposter sur le terrain politique en mettant en cause la gabegie de la Présidence précédente (voir ci dessous) .

La mise en accusation judiciaire de l’ancien président sénégalais Macky Sall

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)