Le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé, le 27 décembre 2024 à l’Assemblée nationale, l’abrogation imminente de la loi d’amnistie sur les faits liés aux manifestations de 2021 et 2024. Cette initiative n’est pas dénuée d’arrière-pensées politiques et qui pourrait être lourde de conséquences pour l’ancien pouvoir.
Au Sénégal depuis la Déclaration de politique générale du Premier ministre Ousmane Sonko, le 27 décembre dernier, l’abrogation de la loi d’amnistie fait débat. Au pupitre de l’hémicycle, tout de blanc vêtu, le Chef du Gouvernement a promis la proposition du texte très prochainement aux députés. « Cette loi sera abrogée pour que toute la lumière soit faite et que les responsabilités soient établies, peu importe leur origine », avait déclaré le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF, parti au pouvoir), sous les acclamations de ses partisans.
Abordant les raisons qui ont poussé l’État à prendre cette option, Ousmane Sonko a évoqué la volonté de traduire toute la vérité des faits. Cependant, il a tenu à préciser qu’il ne s’agira point d’une envie de revanche ou de chasse à la sorcière. « Il ne s’agit pas ici de chasse aux sorcières, ni de vengeance, car nous n’avons aucun sentiment de revanche. Il s’agit simplement de justice, un pilier sans lequel aucune paix sociale ne peut être garantie », estime le premier ministre. Derrière cette assurance pourraient, pourtant, bien se cacher des calculs politiques.
En annonçant la loi d’amnistie à l’occasion du lancement du dialogue national le 26 février 2024, l’ancien président de la République Macky Sall avait souligné qu’il s’agissait d’une volonté d’apaisement de l’espace politique, de réconciliation et de dépassement « Cette loi d’amnistie permettra de pacifier l’espace politique et social, de raffermir davantage notre cohésion nationale et de maintenir le rayonnement démocratique de notre pays », avait alors justifié Macky Sall. Il s’en est suivie la libération de plusieurs centaines de détenus dits politiques et l’élargissement de plusieurs figures politiques dont Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye.
Course d’obstacles
Pour le spécialiste des questions juridiques, Daouda Mine, la loi d’amnistie est une loi et une autre loi peut la révoquer. Pour ce faire, explique-t-il, il suffit juste de suivre la procédure prévue par la Constitution. En effet, poursuit l’expert, l’article 80 de la Constitution dispose que « l’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République, au Premier Ministre et aux députés ». Autrement dit, ajoute Daouda Mine, le Président de la République peut initier un projet de loi dans ce sens, par son initiative personnelle ou sur proposition du Premier ministre. À l’en croire, un député peut également initier une proposition de loi. Ainsi, dès que le projet ou la proposition de loi est votée à la majorité absolue, la loi d’amnistie est révoquée. Pour Daouda Mine, ce projet a, en principe des chances d’aboutir. Car, actuellement à l’Assemblée nationale, le pouvoir jouit d’une majorité parlementaire avec 130 députés sur 165.
Imbroglio juridique
Analysant les possibles conséquences de l’abrogation de la loi d’amnistie, Daouda Mine précise que dès que la loi d’amnistie est révoquée, les faits amnistiés sont de nouveau susceptibles d’engendrer des poursuites judiciaires. C’est à dire que toutes les personnes dont l’implication sur ces faits est avérée peuvent être poursuivies. Cependant, il considère qu’il y a, toutefois, une limite à cela. C’est que les personnes qui était arrêtées et dont les dossiers ont été clôturés à la faveur de la loi d’amnistie qui était votée, ne pourront pas être poursuivies de nouveau. « En effet, il y a un principe universel de droit pénal : la non-réactivité d’une loi pénale plus sévère qui repose sur l’impératif de sécurité juridique. Toute personne qui avait bénéficié d’une disposition pénale plus douce (l’amnistie dans ce cas) ne peut subir une autre situation pénale plus sévère (retourner en prison par exemple après une libération) », détaille Daouda Mine.
La règle « non bis in idem », soutient-il, est aussi un principe classique de la procédure pénale, d’après lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ». Ce qui, à ses yeux, veut dire, en clair, que toutes les personnes qui avaient des dossiers (et qui étaient envoyées en prison ou étaient sous bracelets électroniques) et dont les dossiers ont été clôturés lorsque la loi d’amnistie était votée, ne pourront plus être poursuivies à nouveau. De l’autre côté, toutes les personnes impliquées dans les faits amnistiés et qui n’étaient pas inquiétés peuvent l’être si la loi d’amnistie est abrogée.
Macky Sall dans le viseur
Au Sénégal, beaucoup de personnes se demandent si Macky Sall pourrait être poursuivi. Le spécialiste des questions juridiques, Daouda Mine répond par Oui mais pas dans le cadre de la loi d’abrogation de l’amnistie. Il considère que certaines personnalités comme les anciens Présidents, Premiers ministres ou ministres peuvent être poursuivis, mais uniquement devant la Haute cour de justice car elles ont un privilège de juridiction.
L’article 100 de la Constitution, explique Daouda Mine, dispose que « le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice ».
De l’autre côté l’Article 101 de la Constitution indique que « le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par l’Assemblée nationale, statuant par un vote identique au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice ».
Cependant, il est important de noter que la Haute Cour de Justice a été installée par l’Assemblée nationale, le samedi 28 décembre 2024. Elle est dirigée par le Procureur Alioune Ndao, ancien procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), qui s’est révélée au grand public au début de la présidence de Macky Sall. Le procureur Ndao avait pris les réquisitions devant la CREI lors du procès qui avait condamné en mars 2015 le fils de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade (2000-2012) à six années d’emprisonnement et 138 milliards de FCFA (environ 209 millions d’euros) d’amende.
En attendant l’abrogation de la loi d’amnistie, l’opposant ne se dit nullement ébranlée. La présidente du groupe parlementaire de l’opposition Aïssata Tall Sall a demandé aux autorités actuelles de finir le travail et de faire face aux conséquences. « Si vous voulez l’abroger, abroger la, je n’ai jamais dit que vous ne pouvez pas l’abroger, mais quand vous l’aurez abrogé faites face aux conséquences. Et c’est là où le peuple jugera. Ne pensez pas que moi, j’ai peur de la loi d’amnistie. Je l’ai défendu par ce que c’est mon devoir de ministre de la Justice, je l’ai défendu parce que c’est ma conviction profonde », a indiqué l’avocate et ancienne ministre de la Justice. La controverse sur le projet d’abrogation de cette loi d’amnistie ne que commencer.
Ibrahima Dieng