Sénégal, 5 milliards de FCFA pour les victimes des violences politiques

Le tandem Diomaye Faye-Ousmane Sonko, qui dirige le Sénégal, a provisionné quelque 5 milliards de FCFA pour indemniser les victimes des violences politiques des manifestations organisées entre 2021 et 2024. Loin de faire l’unanimité dans le pays, l’initiative alimente même la controverse sur sa base légale et le choix des bénéficiaires.

Par Ibrahima Dieng à Dakar 

Sur le papier, tout pourrait mettre tout le monde d’accord. Le Gouvernement du Premier ministre Ousmane Sonko a décidé d’apporter une réparation financière aux victimes des manifestations politiques qui ont secoué le pays entre 2021 et 2024. Ainsi, une enveloppe de 5 milliards FCFA est inscrite dans le Budget de 2025. L’annonce a été faite pour la première fois par le premier ministre Ousmane Sonko lors de sa Déclaration de politique générale, le 27 décembre 2024 à l’Assemblée nationale. Quelques semaines après les choses ont véritablement bougé. Le ministre de la Famille et des Solidarités, Maimouna Dièye avait rendu publique la clé de répartition du montant.

Le diable se cache dans les détails

Ainsi, l’État a décidé d’accorder 10 millions de FCFA aux familles de 79 personnes tuées au cours des manifestations politiques entre février 2021 et 2024 et 500.000 FCFA d’aide à plus de 2.000 ex-prisonniers. Ces personnes avaient été élargies suite à l’adoption de la loi d’amnistie. L’assistance financière est accompagnée par l’admission des orphelins mineurs au statut de pupilles de la Nation, l’enrôlement des familles dans les programmes sociaux du gouvernement (Bourses de Sécurité familiale, Couverture Sanitaire Universelle, Carte d’Égalité des Chances, etc.), suivant des modalités à définir ; ainsi que la facilitation de l’accès aux financements à travers des mécanismes tels que la Délégation générale à l’Entrepreneuriat Rapide des Femmes et des Jeunes (DER/FJ), le Fonds national de Crédit pour les Femmes et le Fonds national de Promotion de l’Entrepreneuriat Féminin.

S’y ajoute également une prise en charge médicale et psychosociale pour tout ex-détenu ou autre victime, blessé ou malade, en lien direct avec les événements mentionnés. « Cette prise en charge se fait sur la base d’un dossier médical établi par les structures sanitaires. Les membres de leurs familles peuvent également en bénéficier », avait annoncé la ministre Maimouna Dièye. Les manifestations entre 2021 et 2024 étaient particulièrement liées à l’affaire Adji Sarr, du nom de la masseuse qui avait accusé de viol, Ousmane Sonko, le leader du Parti des patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).  L’accusation de viol avait été finalement écartée et l’actuel PM avait écopé de deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ». 

L’opposition vent débout

Cette décision de l’État d’indemniser les victimes n’est pas du goût des opposants au tandem Diomaye Faye-Ousmane Sonko. Pour le député Abdou Mbow, il s’agit d’un précédent dangereux car la méthode adoptée pour le choix des bénéficiaires de l’indemnisation est sélective et partisane. Selon lui, cette indemnisation exclut les victimes des violences commises par les militants de Pastef. À l’en croire, le Gouvernement met sur la touche, les personnes blessées ou ayant perdu leurs biens pendant les manifestations, ou encore celles dont les maisons ont été incendiées.

« Depuis quand c’est à un Gouvernement d’indemniser des victimes de manifestations et pas à la justice de le faire, si elle l’a jugé nécessaire après un procès. Pourquoi indemniser uniquement ceux qui ont soutenu Sonko ? Pourquoi n’indemniser que ceux qui ont été victimes dans leur soutien à Sonko, ce qui est une façon de les récompenser avec l’argent de tous les Sénégalais ? », s’est interrogé Abdou Mbow.

Le pouvoir n’a pas tardé à contre-attaquer.  La réplique vigoureuse a été apportée par le président de l’Assemblée nationale, Elhadji Malick Ndiaye. Pour la deuxième personnalité de l’État du Sénégal, les travaux de recensement ont commencé depuis sept mois. « Nous avons fait un recensement qui date de plus de 7 mois. Est que pour l’indemnité du bateau le Joola, on a attendu la justice, les députés de l’Apr [NDLR : majorité formée autour de l’ancien président Macky Sall] ? Non. On a utilisé le ministère de la solidarité nationale pour indemniser les victimes. On parle plutôt d’assistance », a riposté Elhadji Malick Ndiaye. 

Déficit de base légale

Ce qui est sûr, c’est que cette indemnisation annoncée à hauteur de 5 milliards FCFA ne fait pas l’unanimité dans le pays. Le magistrat Hamidou Dème est monté au créneau pour fustiger une absence de base légale. Pour lui, la seule appartenance à un parti politique ou le soutien à un homme politique ne doit pas conférer de privilèges qui sont de nature à rompre l’égalité des citoyens devant la loi.

Poursuivant sur son compte du réseau social X, il dit noter des manquements d’ordre juridique. « Comment comprendre, s’insurge-t-il, que malgré les insuffisances de la justice, de prétendus auteurs d’infractions deviennent subitement, en dehors de toute procédure judiciaire, des victimes privilégiées ? Aucune loi, aucune jurisprudence et même aucune logique ne peut justifier que des personnes poursuivies par la justice bénéficient de la qualité de victimes et soient indemnisées sans décision judiciaire ».

 L’ancien ministre-conseiller et directeur de cabinet sous Abdoulaye Wade, Babacar Gaye a abondé dans le même sens. Il dit ne pas comprendre les fondements juridiques d’une telle politique. Selon lui, dans un État de droit, une telle allocation de fonds publics devrait être encadrée par des décisions judiciaires situant les responsabilités précises.

L’ancien député dénonce par ailleurs l’oubli des forces de sécurité, notamment les policiers, gendarmes et magistrats, qui ont été pris à partie, « insultés et menacés » lors des violences, mais qui ont continué à assurer la stabilité du pays.  « Il y’a eu des dégâts matériels subis par les infrastructures publiques et privées, telles que SOTRAC, BRT et TER, qui ont été la cible de saccages. Ces événements interpellent l’État sur sa responsabilité dans la réparation de ces pertes », a plaidé Babacar Gaye. 

Des victimes dans l’attente

Selon le ministre de la Famille et des Solidarités, Maimouna Dièye, l’État a prévu une allocation forfaitaire de 500 000 FCFA pour toutes les personnes figurant dans la base de données établie par l’Agence nationale des statistiques et de la Démographie (ANSD), en collaboration avec le Ministère de la Justice, les sources policières, les représentants des victimes et ceux de la société civile.

Depuis cette annonce, Daouda Dia, ancien détenu et membre du parti au pouvoir est encore à l’attente de la concrétisation de son indemnisation. Le versement de cette aide peut s’avérer très précieuse pour lui, dans la mesure où les neuf mois détention lui ont fait perdre son emploi. « J’ai été identifié et recensé à travers à la Coordination départementale de Pastef. La prison a chamboulé nos vies. Donc nous avons tous besoin d’appuis financiers, techniques et même psychologiques. J’attends avec impatience cette indemnisation », confie l’ex-détenu, en attendant d’entrer dans ses fonds. La bureaucratie s’ajoute ainsi à la controverse sur l’initiative du tandem Diomaye Faye-Ousmane Sonko pour lequel l’état de grâce est fini depuis bien longtemps.