Seidik Abba: « L’Union africaine à quitte ou double »

Le passage de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à l’Union africaine (UA) en 2002 n’aura pas tenu toutes ses promesses de rupture et de meilleure efficacité. Entre absence de leadership dans la gestion des crises du continent et financement adossé à la charité internationale, l’UA semble être une organisation moribonde et chancelante. La nouvelle Commission, avec à sa tête le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf, est attendue comme une occasion de la dernière chance pour redresser la barre.

L’Editorial de Seidik Abba, Rédacteur en chef de Mondafrique

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Disons-le avec franchise et dans les termes les plus adéquats : plus de vingt ans après son premier sommet fondateur en 2002 à Durban, en Afrique du Sud, l’Union africaine n’a pas tenu la promesse d’une rupture totale avec l’Organisation de l’unité africaine dont elle est l’héritière et qui était à l’époque perçue plus comme un « syndicat de chefs d’Etat » qu’autre chose.

Des succès au crédit de l’OUA

A l’analyse, on peut même dire que l’OUA aura finalement beaucoup mieux que l’UA. En effet, on peut mettre au crédit de la toute première organisation continentale africaine, créée le 24 mai 1963 à Addis-Abeba, en Ethiopie, d’avoir conduit le parachèvement de la libération de l’Afrique du joug colonial, d’avoir terrassé en avril 1994 le régime raciste sud-africain fondé sur la ségrégation raciale ainsi que de nombreux efforts en faveur de l’unité et de la solidarité africaine.

Sous l’égide de l’OUA, de nombreux intellectuels africains se sont précipités à Conakry aux côtés du régime d’Ahmed Sékou Touré qui venait de dire Oui à l’indépendance immédiate et non au maintien dans la communauté française lors du référendum de septembre 1958 proposé par le général de Gaulle. C’est au nom de cette même solidarité africaine que d’autres intellectuels africains se sont précipités à Bamako pour apporter soutien et assistance technique au Mali de Modibo Keita.

Il faut enfin mettre au crédit de l’OUA d’avoir pris en juillet 1964 au Caire la décision de consacrer l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.  Si cette décision peut aujourd’hui susciter de vifs débats voire la controverse, il faut reconnaitre qu’elle était la moins mauvaise pour cette époque. Après le changement de nom intervenu à Durban, l’Union africaine a-t-elle fait mieux que l’Organisation de l’Unité africaine ?

Changement cosmétique

Je n’en suis pas du tout sûr. A l’épreuve des faits, la nouvelle organisation s’est révélée être une énorme machine bureaucratique qui s’est dotée certes d’organes différents de ceux de l’OUA, mais qui n’auront finalement apporté aucune valeur ajoutée. Certes la Commission de l’UA a remplacé le Secrétariat général de l’OUA ; certes que le président de la Commission de l’UA a remplacé le SG de l’OUA ; certes que le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a été créé alors qu’il n’existait pas du temps de l’OUA.

Mais, au final ces changements sont restés superficiels. Ils n’auront pas permis à l’UA d’assumer le leadership des crises africaines. L’impuissance de l’UA sur les guerres dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), dans la guerre civile au Soudan, la longue crise en Libye, face au défi sécuritaire au Sahel en dit long sur son déficit d’efficacité.

Nul patriote africain n’aura oublié l’humiliation faite en 2011 à l’UA par l’OTAN qui avait alors choisi de lancer ses premières bombes sur la Libye qui alors qu’une délégation des chefs d’Etat africains mandatés par l’Afrique se trouvait déjà Nouakchott, en Mauritanie, en route pour la Libye.

Les chefs d’Etat africains avaient alors dû rebrousser chemin sans même avoir été prévenus par courtoisie par la France de Nicolas Sarkozy, la Grande-Bretagne de Tony Blair et les Etats-Unis de Barack Obama. Cet épisode avait illustré jusqu’à la caricature la marginalisation de l’Union africaine dans une crise africaine. Des acteurs non africains sont aujourd’hui encore en première ligne dans l’aggravation et la résolution des crises africaines.

Commission de la dernière chance

Porté à la présidence de la Commission de l’UA par son 38 ème sommet qui s’est tenu les 15 et 16 février 2025 à Addis-Abeba, le diplomate djiboutien Mahamoud Ali Youssouf aura donc la lourde responsabilité d’inverser la tendance actuelle d’une organisation en dessous des attentes des Africains.

Après les deux mandats de 4 ans du Tchadien Moussa Faki Mahamat, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour l’organisation continentale avec l’entrée en fonction le 15 mars prochain du nouveau président de l’Union africaine. Ministre des affaires étrangères de son pays depuis 20 ans, M. Ali Youssouf aura besoin de bien plus que sa parfaite connaissance des arcanes de l’UA et ses qualités de technocrate polyglotte (anglais, arabe et français) pour redresser la barre.

S’il veut réussir là où ses prédécesseurs ont échoué le diplomate djiboutien n’aura aucun autre choix que d’engager des réformes structurelles et profondes pour assurer une meilleure efficacité à l’organisation. A peine installé dans son bureau, il lui faudra surtout reprendre en main la gestion des dossiers les plus urgents, notamment la guerre dans l’est de la RDC et la guerre civile au Soudan.

Ce qui suppose courage politique et leadership, mais aussi une refonte totale du Conseil de paix et de sécurité de l’UA. Mahamoud Ali Youssouf devra également régler rapidement l’épineuse question du financement des programmes de l’UA assurés aux deux-tiers actuellement par des partenaires extérieurs.

Avec sa vice-présidente, l’Algérienne Selma Malika Haddadi et ses six commissaires, le président de la Commission dispose de quatre années devant lui pour rétablir le rêve d’une Union africaine plus efficace et plus crédible que l’Organisation de l’Unité africaine. Ce pari-là n’est pas gagné d’avance.