Présidentielle RD Congo, les violences menacent le scrutin 

Simulation de la maitrise de manisfestant par la police à Kisangani, décembre 2010.


Les autorités devraient empêcher les incidents et donner la priorité à l’obligation de rendre des comptes

  • Les violences électorales en République démocratique du Congo risquent de compromettre la tenue des élections générales prévues le 20 décembre 2023.
  • Les autorités congolaises doivent agir de toute urgence pour prévenir les violences entourant le scrutin, afin d’empêcher qu’une situation déjà dangereuse ne dégénère.
  • Les partis politiques et les candidats devraient prendre publiquement position contre les violences et aider à garantir que les citoyens aient la possibilité de voter pour les candidats de leur choix.

(Kinshasa, le 16 décembre 2023) – Les violences électorales en République démocratique du Congo risquent de compromettre la tenue des élections générales prévues le 20 décembre 2023, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités congolaises devraient enquêter de manière urgente et impartiale sur les incidents violents liés aux élections et poursuivre les responsables, quelle que soit leur affiliation politique.

Depuis le début du mois d’octobre, Human Rights Watch a documenté des affrontements à travers le pays entre des partisans de partis politiques rivaux, qui ont conduit à des agressions, des violences sexuelles et au moins un décès. Des partisans du parti au pouvoir, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), ont été impliqués dans des menaces et des attaques contre des leaders de partis d’opposition ainsi que des journalistes. Des partisans de l’opposition ont également été impliqués dans des violences. Des incidents violents liés aux élections continuent d’être signalés.

« Les autorités congolaises devraient agir de toute urgence pour prévenir les violences avant, pendant et après le scrutin, afin d’empêcher qu’une situation déjà dangereuse ne dégénère », a déclaré Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo à Human Rights Watch. « Les partis politiques et les candidats devraient prendre publiquement position contre les violences et aider à garantir que les citoyens aient la possibilité de voter pour les candidats de leur choix. »

Lors du scrutin, les Congolais éliront leur président, les membres des parlements national et provinciaux, ainsi que les conseiller municipaux. Plus d’1,5 million de personnes ne pourront pas voter dans les zones affectées par des conflits, notamment dans la province du Nord-Kivu dans l’est du pays, mais également dans la province du Mai-Ndombe dans l’ouest. Des millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays pourraient également être dans l’incapacité d’aller voter.

Human Rights Watch s’est entretenu avec 36 personnes par téléphone, dont des victimes de violence, des membres de leur famille, des activistes, des membres de partis politiques, des journalistes, du personnel médical, des sources judiciaires et sécuritaires, du personnel des Nations Unies ainsi que des observateurs électoraux.

Lors d’un incident majeur survenu le 7 novembre, des partisans du parti du président Félix Tshisekedi, l’UDPS, ont affronté des partisans du parti d’opposition de Moïse Katumbi, Ensemble pour la République (connu sous le nom d’Ensemble), lors d’un rassemblement de ces derniers à Kasumbalesa, dans la province du Haut-Katanga au sud-est du pays. Les partisans de Moïse Katumbi ont saccagé le bureau d’une section locale de l’UDPS, tandis que les partisans de l’UDPS ont attaqué et blessé six personnes, violé au moins deux femmes et agressé sexuellement trois autres, selon des témoins ainsi que des sources sécuritaires, des services médicaux et de l’ONU. Cinq agents de police ont été blessés. Les autorités n’ont apparemment pas mené d’enquêtes sur les attaques, notamment sur les cas de violences physiques et sexuelles.

Le 13 novembre, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a invité les candidats à l’élection présidentielle à adopter un code de bonne conduite en amont de la campagne électorale officielle, qui a débuté le 19 novembre. Le code de conduite prévoit que les candidats se déclarent « déterminés à lutter contre toutes formes de violences en périodes préélectorale, électorale et postélectorale ». Par leur signature, les candidats s’engagent également à « respecter les résultats issus des urnes et ne recourir qu’à la voie judiciaire… pour contester les dits résultats ». Cependant, aucun des principaux candidats à la présidence ne l’a signé, certains évoquant un manque de confiance envers la CENI et son engagement en faveur d’élections libres et équitables.

Les violences et les tensions accrues ont également eu des répercussions sur les médias et les journalistes. Le 9 novembre, des agents de services de renseignement ont arrêté Raphael Ngoma, journaliste de la Radio communautaire de Moanda, à Moanda, dans la province du Kongo Central. Il a été placé en détention sur ordre de l’administratrice du territoire, Amina Panda, qui l’a accusé de diffuser de fausses informations sur un rassemblement de l’opposition. Il a été libéré le lendemain sans chef d’inculpation.

Le 7 décembre, le collectif congolais Journaliste en Danger (JED) a déclaré que John Kanyunyu Kyota, un journaliste pigiste qui collabore notamment avec la radio allemande Deutsche Welle, avait reçu des menaces par téléphone pour ses reportages sur la campagne électorale. Craignant pour sa sécurité, John Kanyunyu Kyota vit depuis en clandestinité.

S’adressant au Conseil de sécurité de l’ONU le 11 décembre, la cheffe de la Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), Bintou Keita, a déclaré que « de violents affrontements entre partisans de partis politiques rivaux [se produisaient] dans de nombreuses provinces ». Elle a également indiqué que les femmes leaders politiques et les candidates faisaient l’objet « d’intimidations ainsi que d’attaques misogynes physiques et verbales ». Elle s’est dite « alarmée par la prolifération de la més- et désinformation ainsi que des discours de haine, en ligne ou non, dans le cadre de la campagne électorale ».

En vertu du droit international relatif aux droits humains, les autorités sont tenues de prendre toutes les mesures raisonnables pour créer et maintenir un environnement dans lequel les candidats, les citoyens, les responsables électoraux, les journalistes et les activistes de la société civile peuvent opérer sans subir de violences ni d’intimidations. Des élections démocratiques nécessitent la protection de la liberté d’expression et de l’accès à l’information. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression a publié des directives détaillées sur la manière de garantir les libertés d’opinion et d’expression ainsi que l’accès à l’information pendant les élections.

Les autorités congolaises devraient assurer la sécurité et la sûreté de tous les observateurs électoraux mobilisés dans le pays. La CENI devrait publier les résultats du scrutin bureau de vote par bureau de vote et sur le site internet de la CENI, comme l’exige la loi, afin de prévenir d’éventuelles violences et abus postélectoraux, a déclaré Human Rights Watch.

« Les citoyens congolais dans tout le pays devraient pouvoir exercer leur droit de vote en toute sécurité », a déclaré Thomas Fessy. « La crédibilité du processus électoral étant en jeu, les autorités congolaises devraient mettre en place un plan de protection exhaustif des électeurs, des candidats, des responsables électoraux, des observateurs et des journalistes. »