Le calme avant la tempête? Le journaliste et romancier Venance Konan, dont la plume est acérée et les analyses reconnues par la plupart des observateurs, fait le pari d’une Présidentielle ivoirienne qui devrait se tenir dans le calme, compte tenu de la faiblesse, pour l’instant, des mobilisations de rue et de l’absence sur le terrain des chefs des deux grands partis de l’opposition

Samedi 11 octobre 2024. La route internationale qui dessert tout l’est de la Côte d’Ivoire jusqu’aux frontières du Ghana et du Burkina Faso au nord-est est coupée dans la ville d’Akoupé, à environ 140 kilomètres d’Abidjan, la capitale économique du pays. De longues files de voitures, de cars et de camions sont arrêtées, incapable d’avancer. On peut distinguer au loin de grosses volutes de fumée noire. Au bout d’environ trente minutes d’attente, des cargos pleins d’agents des forces de l’ordre arrivent et vont dégager ceux qui tiennent le barrage.
Ce sont des enfants, souvent âgés de moins de dix ans, les visages badigeonnés de kaolin qui s’égayent à travers les rues de la ville. Lorsque les agents des forces de l’ordre éteignent les feux qu’ils ont allumés sur la voie publique en brûlant des pneus ou des morceaux de bois ramassés un peu partout, ils vont en allumer d’autres plus loin. Au bout d’une heure, les forces de l’ordre finissent par maîtriser complètement la situation et la circulation reprend.
Une vie normale
Ce samedi 11 octobre, la coalition des partis d’opposition composés du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ancien CEO du Crédit Suisse Tidjane Thiam, du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) de l’ancien président Laurent Gbagbo et du Front populaire ivoirien (FPI) d’Affi Nguessan, l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo, avait appelé à une marche dans la commune de Cocody à Abidjan. Ils entendaient protester contre l’éviction de leurs leaders de l’élection présidentielle du 25 octobre prochain et ce qu’ils appellent « le 4ème mandat anticonstitutionnel » du président Alassane Ouattara.
Mais la marche avait été interdite par le préfet de la ville d’Abidjan pour les risques d’atteinte à l’ordre public. Quelques militants ont cependant tenté de braver l’interdiction de manifester, mais ils ont vite été dispersés par les forces de l’ordre et plusieurs dizaines d’entre eux ont été interpellés par la police. Quelques incidents comme celui d’Akoupé ont été signalés dans quelques localités, mais dans l’ensemble, c’est le calme qui a régné sur l’ensemble du territoire.
Pulchérie Gbalet
Ce même jour, Pulchérie Gbalet, présidente d’une organisation de la société civile et égérie de l’opposition ivoirienne, appelait dans une allocution diffusée sur les réseaux sociaux tous les militants de l’opposition à paralyser totalement le pays tous les jours à venir jusqu’à l’élection présidentielle. Mais rien ne s’est passé, et la vie jusqu’à ce mercredi 15 octobre se déroule normalement dans tout le pays.
Est-ce à dire que les partis d’opposition ont échoué dans leur stratégie de blocage du pays et d’empêchement du scrutin du 25 octobre ? Est-ce au contraire un repli stratégique en attendant de nouvelles formes d’actions ? Ce jour-même, Laurent Gbagbo a convoqué une réunion du Conseil stratégie et Politique (CSP) de son parti.
Un boycott voué à l’échec
Laurent Gbagbo
Que veulent finalement les candidats recalés pour la prochaine élection ? Il ne s’agit certainement plus pour eux d’obtenir qu’ils puissent participer à la joute électorale, mais plutôt de l’empêcher de se tenir. Comment ? En la perturbant au maximum, peut-être le jour du scrutin. Mais de telles actions sont peu susceptibles d’empêcher l’élection.
En 1995, la coalition formée par le FPI de Laurent Gbagbo et le Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara avait organisé ce qu’ils avaient appelé « le boycott actif », mais malgré les actes de violence et les morts, le scrutin a pu se tenir et l’élection d’Henri Konan Bédié validée. En 2020, c’est le PDCI d’Henri Konan Bédié et le FPI d’Affi N’guessan qui avaient organisé eux aussi un « boycott actif » qui avait coûté la vie à des dizaines de personnes. L’élection s’est néanmoins tenue et la victoire d’Alassane Ouattara reconnue, aussi bien en interne qu’à l’extérieur. Il faut dire qu’à chaque fois, les actes de boycott se sont déroulés uniquement dans les zones tenues par l’opposition. Des zones qui se sont considérablement réduites depuis lors, si l’on en juge par les résultats des dernières élections régionales et municipales qui ont vu une écrasante victoire du parti au pouvoir dans la très grande majorité des villes et régions.
Pour cette élection, le pouvoir, fort de l’expérience de 2020, ne veut pas se laisser surprendre et a pris les devants. Ainsi, ce sont quelques 44000 agents des forces de l’ordre qui ont été déployés de façon très visible sur le terrain, principalement dans les zones réputées favorables à l’opposition. Et dans ces zones, les arbres bordant les grandes voies de circulation ont été abattus par les agents des Eaux et forêts pour éviter qu’ils ne soient utilisés par les manifestants pour barrer les routes.
Le leaders de l’opposition à l’abri
Tidjane Thiam
Les militants de l’opposition oseront-ils malgré tout aller à nouveau affronter les forces de l’ordre ? À quelles fins ? Vu leur incapacité à paralyser actuellement la moindre ville, quel serait l’intérêt pour eux d’essayer d’empêcher l’élection dans certaines régions, ce qui n’aurait aucun impact sur le résultat du scrutin ? Provoquer un bain de sang qui discréditerait le pouvoir d’Alassane Ouattara ? Les militants du PDCI prendront-ils le risque d’aller braver les forces de l’ordre lorsqu’ils savent que leur leader, Tidjane Thiam, est réfugié à l’étranger parce que selon ses propres dires, il craint d’être arrêté s’il rentre au pays ? Ceux du PPA-CI oseront-ils aller se mettre en danger pour leur chrf, Laurent Gbagbo, bien que vivant au pays, est incapable de les accompagner dans leurs marches et autres mouvements comme par le passé ?
Tout le monde retient son souffle en attendant les prochains mots d’ordre, que l’on s’efforcera de lire en tenant compte des non-dits.