À quatre jours de la fin de la campagne officielle, la Côte d’Ivoire s’avance vers l’élection présidentielle du 25 octobre sans ferveur ni suspense. Entre résignation et désenchantement, une partie de la population semble avoir tourné la page avant de l’avoir écrite tandis que l’autre attend un miracle.
Correspondance Abidjan
À Abidjan, aucun klaxon, aucune caravane bariolée, aucune musique tonitruante de campagne ne trouble une saison des pluies qui n’en finit pas. Sur les grands boulevards, quelques grands panneaux d’affichage avec le portrait d’Alassane Ouattara rappellent que le pays s’apprête à voter, sinon rien n’indiquerait que la campagne est censée battre son plein. « Il n’y a pas d’engouement parce qu’il n’y a pas d’enjeu, tout le monde sait que Ouattara va gagner », admet un militant du RHDP. Contrairement aux scrutins précédents, les meetings se succèdent sans passion, les débats télévisés tournent à vide. Même le camp présidentiel fait le service minimum : le président sortant n’a prévu que trois grands meetings. Le week-end dernier a été marqué par deux rassemblements du RHDP, le parti au pouvoir, un des jeunes, un autre des femmes, dans lesquels Alassane Ouattara a seulement fait une apparition, laissant à sa femme Dominique et son fils David le soin d’esquisser quelques pas de danse pour « ambiancer » comme on dit à Abidjan et ainsi raviver la flamme tout en donnant des images aux médias.
Un scrutin joué d’avance
En l’absence des deux grands partis d’opposition PPA-CI et PDCI, le Président n’a pas de véritables contradicteurs. Les seuls autorisés à s’exprimer publiquement et à sillonner le pays sont les quatre candidats retenus par le Conseil Constitutionnel et ces derniers sont dans l’incapacité de rivaliser avec les moyens déployés par le RHDP. « Quand le pouvoir aligne trente cars floqués du portrait de son candidat et de son slogan La Côte d’Ivoire, une grande nation, Jean-Louis Billon, pourtant riche homme d’affaires, n’en a que trois. Le déséquilibre saute aux yeux. » note un journaliste de l’Intelligent.
Jean-Louis Billon, homme d’affaires puissant et reconnu dans le pays, est pourtant celui parmi les quatre autres candidats qui dispose de plus de fonds. Mais en tant qu’indépendant, même s’il bénéficie d’une bonne image, sans l’onction de son parti, le PDCI, il part avec de gros handicaps.
Henriette Lagou, tente, elle, l’aventure pour la deuxième fois puisqu’elle avait déjà participé à l’élection de 2015. Elle aussi peine à trouver ses marques. Elle a déployé quelques affiches dans Abidjan et animé trois meetings en pays baoulé, sa région natale. Ses quelques admirateurs tentent de la présenter en Abla Pokou des temps modernes, du nom de cette princesse ashanti qui symbolise la force, le courage et la dévotion aux autres. Mais y croit-elle vraiment ? En 2015, elle n’avait recueilli que 0.89% des voix…
Sans véritable assise régionale, Simone Ehivet, ex-épouse de Laurent Gbagbo, s’appuie sur le soutien de Charles Blé Goudé, l’ancien « général de la rue », mais leur alliance ne dispose d’aucune structure solide ni des ressources du PPA-CI dont ils sont désormais dissidents.
Quant à Ahoua Don Mello, lui aussi dissident du PPA-CI, il concentre son effort sur les médias et les réseaux sociaux, séduisant surtout une poignée d’intellectuels de gauche. « C’est un candidat avec des idées, mais sans base », concède un de ses soutiens.
L’abstention, le seul horizon
La véritable question n’est donc pas de savoir qui sera élu, mais quel sera le taux de participation. Selon le porte-parole du PDCI sur huit millions d’inscrits moins de 800 000 électeurs ont retiré leur carte pour se rendre aux urnes. La Commission électorale indépendante (CEI) a eu beau multiplier les appels à la mobilisation, en usant parfois d’arguments audacieux comme : « sans carte vous ne pourrez pas voter aux législatives » l’argumentaire ne convainc pas et les bureaux censés remettre les sésames restent désespérément vides. Le pouvoir est inquiet, le souvenir des scrutins de 2015 et 2020, dont le taux de participation avait été corrigé à la baisse sous la pression d’observateurs indépendants, plane encore. « On peut maquiller les chiffres, mais jusqu’à un certain point », commente un cadre du PPA-CI.
Du côté de l’opposition, le Front commun paraît suspendu. Les manifestations éclatées qui avaient eu lieu ici et là au cours de la semaine dernière ont cessé et l’opposition semble pour l’instant avoir raté le pari de la mobilisation populaire. Le week-end a été particulièrement calme. Même les réseaux sociaux animés par les partisans de l’un ou l’autre camp sont restés muets. Certes, cela peut s’expliquer en grande partie par la répression. Selon le procureur d’Abidjan plus de 700 arrestations ont eu lieu au cours de la semaine écoulée et les quelques peines déjà été prononcées, ont été très lourdes : 36 mois de prison pour les manifestants du 11 octobre. Mais cela peut également s’expliquer par les souvenirs de la guerre de 2010-2011 et les 85 morts de l’élection de 2020, personne n’a envie de revivre ces terribles moments.
Lors d’une manifestation du Front commun samedi à Paris, le candidat exclu de la présidentielle et président du PDCI a néanmoins déclaré : « Dieu a créé le monde en sept jours, nous pouvons libérer la Côte d’Ivoire en sept jours. » ! S’il a lancé le décompte, il est resté énigmatique sur les moyens pour parvenir à « libérer » le pays ? A la question : « quelle est la stratégie pour la suite » ? Tous qu’ils soient sympathisants, militants de la base ou tous répondent la même chose de différentes manières : « Il n’y aura pas d’élection » « attend, il faut être patient, dieu est grand » « Il se passera quelque chose avant le 25 ! » Mais quoi ? Mystère. Certains attendent la parole de Gbagbo qui pourrait, selon eux, renverser la table. N’a-t-il pas affirmé qu’il n’y aurait pas de 4ème mandat ?
Dans cette atmosphère d’incertitude, les discours mystiques prospèrent. Une vidéo d’un prophète évangélique, Eli Padah, exilé au Ghana, circule sur les messageries whatzap : « Parole du seigneur, il n’y aura pas d’élection en Côte d’Ivoire » martèle avec force le jeune prophète. Dans une autre veine, depuis son exil, l’activiste Pulchérie Gbalet, appelle les Ivoiriens à prendre les rues et à « faire des libations pour nettoyer le pays » !
Entre prophéties et rumeurs, la campagne se poursuit dans l’attente. Ce lundi matin à Yamoussoukro, des incidents entre manifestants et forces de l’ordre ont rappelé que la tension reste vive. Les Ivoiriens observent, scrutent les signes, du ciel ou des rues, et se demandent ce que cette dernière semaine avant l’élection leur réserve.