Pour l’ivoirien Noël Akossi Bendjo: « on ne peut interdire la voix du peuple»

Dans le cadre de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025 en Côte d’Ivoire, Mondafrique propose une série d’entretiens avec les principaux acteurs politiques. Ce troisième volet est consacré à Noël Akossi Bendjo, vice-président et coordonnateur général du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), un mouvement ivoirien fondé en 1946 par l’ancien président Félix Houphouët-Boigny, avec pour objectif affiché « l’émancipation du peuple noir ».

Correspondance Abidjan

 

Noël Akossi Bendjo au cœur du dispositif du PDCI

En l’absence sur le terrain ivoirien de Tidjane Thiam, président du PDCI et candidat invalidé par le Conseil constitutionnel à l’élection présidentielle, Noël Akossi Bendjo se retrouve au cœur du dispositif du parti pour mener la bataille de l’opposition. Il fait partie de la direction resserrée chargée de la stratégie électorale et a joué un rôle clé dans la création du Front commun, une coalition réunissant le PDCI et le PPA-CI de l’ancien président Laurent Gbagbo.

Figure centrale de la mobilisation du PDCI, Noël Akossi Bendjo est aujourd’hui l’un des principaux porte-voix de l’opposition ivoirienne. Dans un contexte de tension préélectorale et de restrictions politiques croissantes, sa parole pèse d’autant plus qu’il incarne la ligne de fermeté mais aussi de dialogue que veut adopter le Front commun à l’approche du scrutin. C’est à ce titre que Mondafrique a recueilli ses réponses sur la situation politique du pays.

« Nos institutions ne doivent pas servir des desseins politiques pour bâillonner le peuple souverain de Côte d’Ivoire. »

Mondafrique : Le Front commun avait appelé à une manifestation le 4 octobre. Celle-ci a été annulée après que le Conseil national de sécurité a interdit tous les rassemblements et marches sur la voie publique jusqu’à nouvel ordre. Vous avez néanmoins décidé de reporter la marche au 11 octobre. Comment pensez-vous pouvoir contourner cette interdiction et quels moyens avez-vous pour faire entendre la voix de votre parti ?

Nöel Akossi Bendjo : Il ne s’agit pas pour nous de “contourner” une décision, mais de rappeler que le droit de manifester est un droit constitutionnel en Côte d’Ivoire. Notre marche du 4 octobre visait à exprimer pacifiquement notre attachement à des élections libres, transparentes et inclusives ainsi que la nécessité d’un dialogue politique entre tous les acteurs de la vie politique. L’interdiction qui nous a été opposée constitue, à nos yeux, une atteinte grave aux libertés publiques, notamment la liberté d’expression et de manifestation garanties par notre Constitution. Pourtant, l’article 11 de notre Constitution stipule clairement que les libertés de réunion et de manifestation sont garanties. Toute restriction doit être, proportionnée et limitée dans le temps. L’interdiction générale décrétée par le Conseil National de Sécurité est excessive et viole les droits élémentaires des Ivoiriennes et des Ivoiriens.

Toutefois, Nous avons pris acte de cette décision injustifiée et nous avons décidé de reporter la marche au 11 octobre, avec les mêmes objectifs. En différant la marche du 4 au 11 octobre, le PDCI-RDA et le PPA-CI font preuve d’un sens élevé de responsabilité, en évitant la confrontation tout en maintenant la mobilisation citoyenne. Le Gouvernement doit comprendre que le peuple ne se taira pas. On peut interdire une date, mais on ne peut interdire la voix du peuple et le réduire au silence. Nos institutions ne doivent pas servir des desseins politiques pour bâillonner le peuple souverain de Côte d’Ivoire.

Notre message clé quant à lui est très clair : la voix du Front Commun se fera entendre clairement et fermement partout où cela sera nécessaire, avec discipline, dans le respect de la loi et de la paix publique. Nous utiliserons toutes les voies démocratiques à notre disposition pour porter la voix des Ivoiriennes et des Ivoiriens qui aspirent à une Côte d’Ivoire réconciliée, démocratique et en paix

Quelles sont vos relations avec le PPA-CI actuellement ?

N.A.B : Nos relations sont franches, responsables on peut même dire excellentes. Nos deux partis partagent une vision commune : celle de restaurer une véritable démocratie dans notre pays et garantir l’alternance par des élections transparentes et inclusives. Nous travaillons à coordonner nos efforts pour l’avènement d’une Côte d’ivoire retrouvée et réconciliée. La fraternité nationale n’a pas de prix ! Le PDCI et le PPA-CI coordonnent leurs actions sur des revendications communes : respect de la Constitution, élections inclusives, révision et audit de la liste électorale, réforme de la CEI, libération des détenus politiques, respect des libertés fondamentales et bien d’autres.

La vérité et la réalité démontrent que le PDCI-RDA et le PPA-CI sont majoritaires dans le pays, comme en témoigne la grande marche du 9 août à Yopougon.

Après la démonstration de notre influence cet été,  le pouvoir a été pris d’une peur panique à l’annonce de la marche du 4 octobre. Le régime RHDP savait que cette marche devait mobiliser des millions d’Ivoiriens de tous les horizons sans distinction d’origine ni de religion. Tous les sondages y compris ceux du RHDP prouvent que la majorité de nos compatriotes veulent l’alternance. C’est sans doute ce qui justifie l’acharnement du régime RHDP contre nous et ses actions de musèlement de l’opposition. Dans cet élan et face aux défis actuels, l’opposition se doit d’être unie, constructive et combattante pour réinstaurer la démocratie et la paix.

Les arrestations de membres de l’opposition se multiplient. Combien de militants du PDCI sont incarcérés à ce jour ? Par ailleurs, Maître Blessy Jean-Chrysostome, avocat de Tidjane Thiam et député de votre formation, a été interdit de quitter le territoire. Comment interprétez-vous cette judiciarisation du débat politique à quelques jours de l’élection ? Quelles actions le parti entend-il mener pour obtenir leur libération ?

N.A.B : Les actes de dictature et d’autocratie se multiplient en Côte d’Ivoire. Plusieurs de nos militants sont actuellement détenus pour des motifs qui relèvent davantage de la répression politique que du droit. Les jeunes du PDCI-RDA des branches rurales et universitaires sont détenus depuis plusieurs mois en prison. Nous notons également de nombreuses arrestations survenus il y a quelques jours, des Délégués, des Secrétaires de section, des Présidents de comités ainsi que le règne de personnes cagoulées qui sévissent dans les domiciles des membres de l’opposition.

Le cas de Maître Blessy Jean-Chrisostome est significatif : il est  avocat, il est député de la nation, aucune procédure n’est engagée contre lui, mais il est empêché de voyager pour bénéficier de soins médicaux.

À ces cas avérés, s’ajoutent les restrictions contre le député Dia Houphouët, les arrestations arbitraires de dizaines de militants du PPA-CI parmi lesquels Blaise LASM et DAHI Nestor. Ces pratiques sont indignes d’un État qui, à la tribune de l’ONU, prétend garantir la stabilité et les droits humains. J’ai mal pour mon pays, la Côte d’Ivoire. L’Etat de droit a fait place à un Etat policier caractérisé par les intimidations, l’oppression, la multiplication des arrestations arbitraires, l’emprisonnement des opposants etc. Le PDCI dénonce vigoureusement cette dérive autoritaire et exige la libération immédiate de tous les détenus politiques et la restauration des droits des citoyens. Nous avons déjà saisi les autorités compétentes avec le concours de notre cellule de veille juridique, nous interpellons l’opinion nationale et internationale pour agir en direction du Pouvoir, il n’est pas encore tard pour préserver un climat de quiétude et de paix.

Votre candidat, Tidjane Thiam, n’est pas en Côte d’Ivoire actuellement pour mener ces batailles. Certains estiment que cette absence fragilise le PDCI et accentue ses divisions. Qu’en est-il exactement ?

N.A.B : Le Président Tidjane THIAM est exceptionnel.  Il a une capacité de travail extraordinaire. Même hors du pays, il dirige et gouverne le PDCI-RDA. Ces derniers mois, il ne vit et travaille que pour le PDCI-RDA. Tous les jours et à toutes heures il est en contact avec les responsables du Parti. Il prend connaissance des rapports, analyse, prends des décisions et donne des orientations. Il incarne un leadership nouveau qui n’impose pas obligatoirement sa présence sur le territoire. En son absence, toutes les structures fonctionnent normalement dans la discipline, pour avoir la maitrise du terrain et consolider la base militante. Il y a juste une répartition de rôles sur des logiques à l’international pour lesquels le Président Tidjane THIAM travaille avec acharnement et des logiques locales sur lesquelles campent ses collaborateurs. Nous en sommes très satisfaits. Le PDCI-RDA se porte bien et fonctionne très bien.

Ceux qui parlent de fragilité du Parti et qui agitent le spectre de la division appartiennent à la « cinquième colonne » de militants perturbateurs tapis ou non dans l’ombre et agissant pour le compte de commanditaires que nous connaissons tous. Notre candidat Tidjane THIAM conserve une popularité intacte, preuve de sa légitimité incontestable obtenu entre 96 et 99% des suffrages exprimés à chaque consultation électorale interne au PDCI-RDA.

Craignez-vous des troubles préélectoraux et postélectoraux ? Quelles sont aujourd’hui les marges de manœuvre de l’opposition ?

N.AB : Malheureusement, oui. Nos craintes sont grandes pour la Côte d’Ivoire. Le risque existe puisque l’espace civique et l’expression politique pluraliste qui est la marque des vraies démocraties, restent verrouillés. Le risque existe puisque la compétition à l’élection présidentielle reste aussi inéquitable qu’elle l’est actuellement.

Ce qui est regrettable c’est que le gouvernement lui-même censé garantir la paix sociale, crée les conditions de la psychose sociale. La responsabilité première de la paix incombe au pouvoir. Il doit garantir un climat transparent, équitable et inclusif. Du point de vue de notre responsabilité, nos marges de manœuvre sont réelles. Le PDCI-RDA et le PPA-CI suivis par les autres partis de l’opposition constituent un volcan en termes de mobilisation citoyenne et d’alternative pour le changement. Malgré cette posture, notre ligne est claire : Zéro violence, 100 % de concertations et de manifestation pacifiques.

La Côte d’Ivoire a déjà payé un lourd tribut à la violence politique électorale, et personne ne souhaite revivre cela. C’est pourquoi nous ne sommes pas dans la confrontation avec les autorités et les institutions. Nous sommes dans un démarche de dialogue politique qui ouvrira à coup sûr des chemins de lumières, de paix et de rassemblement des Ivoiriens autour de leur patrie.

Notre message en direction du Gouvernement est de lui dire de prendre rendez-vous avec l’histoire et faire preuve de responsabilité en se plaçant au-dessus de toutes les contingences politiques partisanes, pour le bonheur de nos compatriotes. Nous ne voulons plus de troubles électoraux, Pour la Paix, il n’est pas encore tard.

Le PDCI-RDA est le plus vieux parti de Côte d’Ivoire et il reste fortement implanté sur l’ensemble du territoire. Quelle est l’atmosphère à l’intérieur du pays ? Que disent vos militants sur la situation politique actuelle ?

N.A.B : L’implantation du PDCI-RDA est notre force : elle nous permet de sentir, au quotidien, la souffrance et les espoirs des populations. L’atmosphère est celle d’une mobilisation déterminée. Nos militants savent que le PDCI-RDA est leur instrument pour bâtir l’alternance et restaurer la confiance. Partout sur le territoire, nos militants expriment une attente forte : ils veulent une Côte d’Ivoire réconciliée, apaisée et tournée vers l’avenir. Dans les villages, les villes, les hameaux, on nous parle de chômage, de pauvreté, de marginalisation, mais aussi d’un profond désir de changement.

La Côte d’Ivoire vit un décalage entre le discours officiel et la réalité. Sur le terrain, les témoignages de nos militants dans toutes les régions du pays le démontrent à souhait. Dans les marchés, le pouvoir d’achat est laminé. La pauvreté rurale est particulièrement tenace. Dans les écoles, les classes sont surchargées et les infrastructures scolaires en état de délabrement. Dans les hôpitaux, il y a clairement une sous-offre en termes d’accès et de soins. L’absence de pistes rurales et le mauvais entretien de celles qui existent, contribue à renforcer l’enclavement persistant des zones rurales.

Malgré les annonces de hausses lors des évènements politiques tels que les élections, nous estimons que les producteurs restent encore exclus de la manne agricole, notamment au niveau du cacao, de l’hévéa, du palmier à huile et de l’anacarde. Ce n’est pas de la polémique, ce sont les indicateurs de ce que nos militants nous remontent comme réalités de leurs vies quotidiennes. Et c’est pour cela nos militantes, militants et sympathisants appellent à une nouvelle gouvernance incarnée par le Président Tidjane THIAM pour améliorer leur quotidien. Nos militants ne veulent plus donner un autre mandat au régime RHDP. Leur détermination est intacte, leur combat est noble et pacifique. Ils sont alignés sur la position de la Direction du Parti, ils croient en leur parti et en leur Président Tidjane THIAM Cet entretien est  l’occasion pour moi de lancer aux militantes, militants et sympathisants du PDCI-RDA un vibrant appel pour mettre le pays au centre de leurs priorités car il nous faut le sauver.