L’opposition ivoirienne vient de perdre la première manche de sa tentative d’empêcher le scrutin présidentiel du 25 octobre d’où ses figures de proue se retrouvent exclues. Pour l’instant, le pouvoir qui n’a pas faibli dans sa volonté de réprimer toute violence de la rue, n’a pas rencontré pas de résistance à la hauteur du défi. Aucune source ne rapporte de décès dû à d’éventuels dérapages, ni de destructions de biens.
La veille du 11 octobre, la Préfecture d’Abidjan annonçait l’interdiction des marches sur l’étendue du territoire, comme lors de la précédente tentative, une semaine avant. Pendant la nuit, la police prenait possession artères urbaines et plantait, ainsi, le décor de sa dissuasion. Le lendemain, à l’exception de brèves échauffourées aux divers points de rassemblement, le reste de la capitale économique n’a pas suivi les appels à manifester contre le 4ème mandat du Président sortant, Alassane Ouattara, que ses partisans nomment affectueusement, « papa Ado ».
De l’intérieur du pays, ne montait que l’écho plat d’un jour sans relief.
Un rapport de puissance inégal
Au quartier Blokchauss, en bord de la lagune de Cocody, dès le lever du soleil, des dizaines de jeunes défiaient les unités de maintien de l’ordre, malgré les trombes de pluie. Les policiers coiffés de casques et armés de matraques les inondaient de grenades lacrymogènes puis en interpellaient quelques-uns, à la hussarde. Au bout d’une heure de temps, se dissipait l’entêtante odeur de gaz, respirable jusqu’autour du mythique Hôtel Ivoire mais le dispositif anti-émeute restait en place, exhibant sa visibilité. Les scènes de course-poursuite se répétaient aux abords de l’église Saint-Jean, l’un des lieux de convergence des volontaires du Front commun.
En début d’après-midi, des cargos remplis d’hommes en uniformes patrouillaient encore au centre de la commune dont le maire participe à la direction du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et compte parmi les soutiens du candidat exclu, Tidjane Thiam, leader de la formation. Blockhauss est le centre historique de l’autochtonie Atchan, le peuplement Ebrié, propriétaire originel des villages d’Abidjan. Le Premier ministre, Robert Beugré Mambé est issu de même groupe. Or, à l’image d’autres composantes de la mosaïque des Akans, majoritairement chrétiens et catholiques, le cœur de siens penche plutôt en faveur de l’oppositionA Yopougon, fief historique de Laurent Gbagbo et de Charles Blé-Goudé, deux personnalités hors course de la future compétition, les heurts du jour s’étalèrent au-delà de la matinée. Les marcheurs pour la démocratie se comptaient par centaines.
Pourtant, à la mi-journée, le calme revenait. La casse n’a pas épargné la circulation automobile, d’ailleurs paralysée le long de certains axes. La population semblait assez acquise aux protestataires, néanmoins sans trop de conviction. Il régnait, là, une résignation empreinte d’amertume et la conviction que le pouvoir allait réprimer et dur, s’il le fallait. Par un paradoxe local, Yopougon est également la circonscription parlementaire de Adama Bictogo, Président de l’Assemblée nationale et l’un des artisans de la prochaine réélection de Ouattara. Or, l’élu et homme d’affaires influent peine à y mobiliser.
Un début modeste
Le 11 octobre représente aussi le début de la réclame officielle. Ouattara inaugurait la sienne, à Daloa, capitale du district du Sassandra-Marahoué, une région plutôt favorable à Laurent Gbagbo. Grâce à l’argent de la machine Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP-Majorité), la démonstration de popularité n’a surpris personne. « Les moyens sont là, Ivoirien aime la réussite et Ado nous l’apporte », commente, à Abidjan, un jeune militant, résident de la commune d’Adjamé, qui nous montre fièrement, le direct de l’évènement, sur son téléphone portable. Cependant, dans l’ensemble, l’enthousiasme s’avère rare. A proximité immédiate des QG de campagne de Simone Ehivet, Jean-Louis Billon, Ahoua Don Mello, les principaux concurrents de Ouattara, l’affluence et l’entrain festif manquent. Partout, l’indifférence au vote domine.
Le mécontentement, lui, est réel mais l’effroi, non exagéré, de subir les représailles en inhibe les effets. Les récentes détentions et inculpations de meneurs du PDCI, du Parti des Peuples Africains (PPA-CI) et de Génération des Peuples Solidaires (GPS) prouvent la détermination, des autorités, à étouffer, dans l’œuf, le projet de désobéissance civile. Il n’est pas question de laisser, à la contestation de la rue, la moindre chance de prospérer, sous peine de favoriser l’incontrôlable contagion d’un scénario à la GenZ, voire une convergence entre l’armée et les manifestants, à l’exemple de Madagascar.
Sur les réseaux sociaux, non plus, l’opposition ne parvient à maintenir la pression. En vertu des signalements et des procès à lui intentés en Europe, aux motifs de diffamation et d’appels à la haine, Christ Yvon Koukougnon alias Johnny Patcheko, réfugié en Finlande, ne peut plus se faire entendre, la majorité des plateformes vidéo l’ayant provisoirement suspendu. Les avocats du pouvoir le traquent et, lui-même, en réaction, redouble de surenchère, non sans recourir à mille astuces afin de reprendre la main. Au début du mois, un avis exceptionnel de la Direction générale de la Police nationale (DGPN) offrait 1 millions de francs Cfa en contrepartie d’indications susceptibles d’identifier et de capturer 2 jeunes cyberactivistes, coupables d’injures au Président de la République. Selon l’article 173 du code pénal, la sanction atteint 5 années d’emprisonnement. Le 24 septembre, au terme de sa comparution devant le tribunal de première instance d’Abidjan, Enock Koffi Bini, 22 ans, écopait du maximum de la peine et d’une amende de 500 000 francs. Il venait d’insulter le Chef de l’Etat, à la faveur d’une brève séquence TikTok. Tourefois, la Côte d’Ivoire échoue à endiguer le flot de désinformation en provenance des bataillons électroniques de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), des panafricanistes et des trolls russes.
L’épreuve se poursuit
Côté société civile, le message de Pulchérie Gbalet, habituée des interrogatoires et autres procès d’opinion, reste suspendu dans le vide. Le 10 septembre, par message vidéo, peu après la suspension du droit à manifester, elle exhortait, ses compatriotes, à outrepasser l’ordre du préfet d’Abidjan, au nom de la légalité démocratique.
A la tombée de la nuit du 11 octobre, les barricades en travers de la chaussée ont disparu depuis l’après-midi. Le ministre de l’Intérieur, le Général Vagondo Diomandé, reconnaîtra 237 arrestations. Déjouant la coalition de ses détracteurs, Ouattara pressentait la menace et leur collusion à venir. Envers et contre la résolution de ses adversaires, il avait pris les devants. La police, la gendarmerie et l’armée de terre bénéficient d’équipements neufs, de véhicules à profusion et de primes incitatives. Au sein des forces de défense et de sécurité, il existe un devoir de servir, avec zèle, une gouvernance qui sait reconnaitre la loyauté de ses partisans.
« Il est fort, ce Ouattara », s’exclamait, un brin admiratif, Souleymane D, chauffeur d’un modèle Suziki Yango, l’Uber local. Souriant, il commentait les incidents. Il précise sa nationalité guinéenne et voici pourquoi, il n’entend pas se mêler des affaires du pays d’accueil. «Ca va aller », conclut-t-il, avant d’augmenter le volume de sa chanson fétiche, un son de Didi B, la coqueluche de la jeunesse citadine, auteur d’un mélange de rap de la réussite et de mélodies de carpe-diem, loin des mirages de la citoyenneté et des passions de la politique.