Les manifestations de rue que Laurent Gbagbo, longtemps adepte d’une stratégie du chaos, a souvent suscitées, se sont vite essoufflées, ces derniers jours, face à des forces de l’ordre déterminées. Jusqu’à ce jour en tout cas. Personne ne sait encore ce qu’il en sera le samedi 25 octobre, jour du scrutin présidentiel. Il reste que Laurent Gbagbo est apparu très discret pendant cette campagne, une grande page de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire qui se ferme.
Venance Konan
Le trio qui régentait la vie politique en Côte d’Ivoire
« Après les élections législatives nous organiserons le congrès de notre parti et je démissionnerai de mon poste de président. Je m’interdirai d’occuper des fonctions politiques, aussi bien à l’intérieur de mon parti qu’à l’extérieur, au niveau de l’Etat. J’ai assez donné. Je vais enfin m’occuper de ma petite famille et de moi-même. Je vais vivre enfin. Il y a des moments où il faut arrêter certaines choses. » C’est en substance ce qu’a dit Laurent Gbagbo dans l’interview qu’il a accordée à une chaîne de télévision africaine il y a quelques jours.
Jusqu’en 2023, Laurent Gbagbo constituait, avec le président Alassane Ouattara et feu l’ancien président Henri Konan Bédié, le trio qui régentait la vie politique en Côte d’Ivoire après la mort en 1993 d’Houphouët-Boigny, le premier président du pays. Tour à tour allié puis adversaire irréductible de l’un et de l’autre, Laurent Gbagbo est surtout connu comme « l’opposant historique » d’Houphouët-Boigny qu’il avait osé combattre. Il l’affrontera dans les urnes lors de la première élection présidentielle qui avait suivi le retour au multipartisme en 1990, devenant ainsi le leader de l’opposition.
L’exil en France
Enseignant en histoire formé en France, puis syndicaliste trop turbulent au goût de l’autocrate « père de la nation », Laurent Gbagbo fut emprisonné de mars 1971 à janvier 1973 à Séguéla et Bouaké. En 1982, il dut fuir la colère d’Houphouët-Boigny à la suite d’une grève des étudiants, pour se réfugier en France où il créa le Front populaire ivoirien (FPI), un parti d’opposition clandestin. Ce parti sera légalisé en 1990 et Gbagbo défiera le vieux président dans la dernière élection de ce dernier. Il deviendra député après les élections législatives qui suivront cette présidentielle.
En 1992 il sera à nouveau arrêté par le Premier ministre Alassane Ouattara après une marche qui avait dégénéré en manifestations violentes. Sous le règne d’Henri Konan Bédié, il s’alliera à Alassane Ouattara au sein du Front républicain. Mais après le coup d’Etat de Robert Guéï en 1999, il se retournera contre son allié, pour soutenir le chef de la junte qu’il battra cependant lors de la présidentielle de 2000. Devenu président, il fera face en septembre 2002 à la rébellion qui divisera son pays pendant huit ans. En 2010 il est battu par Alassane Ouattara dans les urnes, mais il refuse de reconnaître sa défaire certifiée pourtant par l’Organisation des Nations Unies, par l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest. Les affrontements qui s’ensuivront entraîneront la mort d’environ 3000 personnes.
Arrêté le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo sera transféré à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye pour y être jugé pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Il sera finalement acquitté et retournera dans son pays en juin 2021. Mais en novembre 2019, il avait été condamné par la justice ivoirienne à 20 ans de réclusion pour ce que l’on a appelé le braquage de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest lors de la crise qui avait suivi l’élection présidentielle de 2010. Il est radié de la liste électorale et sa candidature à l’élection présidentielle du 25 octobre est rejetée par la Conseil constitutionnel.
Le front commmun avec Thiam
Il forme alors le « front commun » avec Tidjane Thiam, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dont la candidature avait aussi été rejetée, et qui appelle à des manifestations à travers tout le pays. Mais les premières qui se déroulent sont réprimées et elles se sont arrêtées.
Dans l’interview dans laquelle Laurent Gbagbo a annoncé sa prochaine retraite, il a refusé d’appeler à voter pour un quelconque candidat. Il a aussi déclaré que s’il soutient les manifestants qui sont dans la rue, il n’appelle cependant personne à y descendre. Est-ce l’adieu aux armes pour celui qui s’est toujours présenté comme le « combattant de la liberté » ? Et qui a-t-il choisi pour assurer son héritage ?
Depuis son retour dans son pays, Laurent Gbagbo a rompu avec tous ceux qui formaient sa garde la plus rapprochée et que l’on aurait pu espérer qu’ils lui succèderaient un jour. D’abord son épouse Simone Ehivet, avec qui il créa le FPI et qui l’accompagna dans tous ses combats, jusqu’à la tête de l’Etat et jusqu’à sa chute. Il fut emprisonné avec elle en 1992, et arrêté avec elle en 2011. Mais il rompit spectaculairement avec elle dès ses premiers pas sur le sol ivoirien, à son retour en 2021.
Un isolement progressif
De même, il n’a plus reçu ni adressé la parole à Charles Blé Goudé, son fidèle lieutenant qui fut jugé et libéré en même temps que lui par la CPI. Il a également rompu avec Affi N’guessan, son ancien premier ministre qui présidait son parti le FPI. Il a préféré aller créer un autre parti, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) en laissant le FPI qu’il avait qualifié d’enveloppe vide à Affi N’guessan. Ahoua Don Mello, qui était le vice-président du PPA-CI a lui aussi été radié du parti pour avoir été candidat à l’élection présidentielle du 25 octobre.
Gbago a-t-il décidé de quitter la scène politique sans désigner d’héritier ? Ou attend-il ce congrès dont il a annoncé la tenue après les législatives de décembre 2025 pour l’annoncer ?
Simone Ehivet, ex-épouse et compagne de lutte de Laurent Gbagbo, et Ahoua Don Mello, l’un des premiers militants du Front populaire ivoirien lorsque ce parti était encore dans la clandestinité, tous les deux candidats à l’élection présidentielle du 25 octobre se revendiquent de la même idéologie que l’ancien président qui a décidé de prendre sa retraite politique. Cependant, le second cité semble être le plus à même d’assurer l’héritage de Laurent Gbagbo.
Ahoua Don Mello, un possible héritier
Ahoua Don Mello, cet ingénieur sorti de l’Ecole nationale des ponts et chaussées de Paris, natif de Bongouanou, le fief d’Affi N’guessan dans le centre-est de la Côte d’Ivoire en 1958, a-t-il cependant les atouts pour être le successeur ou l’héritier de Gbagbo ? Les deux hommes se sont connus en France en 1983 et il fut l’un des premiers militants du FPI alors clandestin. Président du comité de contrôle du parti de 1990 à 1996, il quitte le FPI en 1997 pour créer son propre parti baptisé « Renaissance ». Mais il retourne auprès de Laurent Gbagbo lorsque celui-ci est élu président de la république en 2000. Il occupe le poste de directeur général du Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD). Lorsque Gbagbo voulut conserver le pouvoir après l’élection présidentielle de 2010, il nomma Don Mello ministre de l’équipement et de l’assainissement, porte-parole du gouvernement.
A l’avènement d’Alassane Ouattara, Don Mello quitte le pays et devient notamment le conseiller spécial du président Alpha Condé de la Guinée. En 2021, il est chargé des investissements russes en Afrique, puis nommé en 2022 haut représentant des BRICS pour l’Afrique occidentale et centrale. Lorsque Laurent Gbagbo crée son Parti des peuples africains- Côte d’Ivoire, il en devient en 2023 le vice-président chargé de la promotion du panafricanisme.
En juillet 2025, lorsqu’il était pratiquement acquis que la candidature de Laurent Gbagbo à l’élection présidentielle d’octobre 2025 ne serait pas acceptée, Don Mello proposa que son parti présente une autre candidature « par précaution ». Mais il essuya un refus. Il se décide alors à présenter sa propre candidature qui est acceptée par le Conseil constitutionnel. Il est démis de ses fonctions au sein du PPA-CI. Laurent Gbagbo n’a pas appelé ses militants à le voter.
Très proche de la Russie de Vladimir Poutine, Don Mello se veut le défenseur de la souveraineté économique de son pays, ce qui implique une rupture radicale avec la France, et militant du panafricanisme, dans la droite ligne des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Il s’inscrit ainsi dans la ligne politique de Laurent Gbagbo, du moins au niveau du discours. Mais a-t-il les cartes pour être l’héritier de Laurent Gbagbo ? Dans cette Afrique de l’ouest où la Russie marque chaque jour des points importants et où l’influence de la France est en net recul, son discours peut séduire de nombreux jeunes. Mais il n’est pas un tribun et son audience semble se limiter pour le moment à quelques cercles d’intellectuels.
Attendons le scrutin du 25 octobre pour savoir ce que DDDon Mello pèse dans les urnes.































