Le président Alassane Ouattara a entamé un nouveau mandat, le deuxième de la troisième république pour reprendre le langage officiel de son parti, le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), ou le « quatrième mandat anticonstitutionnel », selon l’opposition, en position de force comme jamais auparavant, face à une opposition atomisée et totalement inaudible.
Venance Konan
Quelques mois plus tôt, les leaders de l’opposition ivoirienne, appuyés par des pasteurs évangéliques assurément peu ou très mal inspirés, juraient que le président n’aurait pas de quatrième mandat, et mieux, qu’il n’y aurait pas d’élection du tout. Non seulement l’élection présidentielle s’est déroulée sans incident majeur, mais l’on s’achemine vers un plébiscite du pouvoir lors des législatives du 27 décembre prochain, pendant que l’opposition se délite complètement.
L’opposition, constituée d’une part par le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) présidé par Tidjane Thiam, l’ancien directeur général du Crédit Suisse et petit neveu de Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire et fondateur du PDCI, et d’autre part par le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) de l’ancien président Laurent Gbagbo, avait constitué un front commun pour faire barrage à Alassane Ouattara, à la suite du rejet des candidatures de leurs leaders par le Conseil Constitutionnel. Quelques jours avant le scrutin du 25 octobre, il y eut des tentatives de manifestations de rue, mais elles furent vite dispersées par la police. Un gendarme fut tué dans une embuscade tendue par des personnes qui furent arrêtées et identifiées comme proches du PPA-CI, mais dans l’ensemble l’élection se déroula sans troubles majeur, même si le PDCI et le PPA-CI appelèrent à son boycott. L’on compta au total une dizaine de morts lors d’incidents isolés. Il n’empêche cependant que l’un des cadres du PPA-CI, Ahoua Don Mello, décida de se porter candidat, contre la volonté du président de son parti. Il fut aussitôt exclu de la direction du PPA-CI.
C’est sur les prochaines élections législatives que les deux principaux de l’opposition vont connaître un début d’implosion. Alors que le front commun qu’ils avaient constitué avait décidé de boycotter la présidentielle, d’abord parce qu’ils n’approuvaient pas la liste électorale, mais surtout parce que leurs leaders avaient été écartés, c’est en ordre dispersé qu’ils ont abordé les législatives. Le PDCI a décidé d’y participer, tandis que le PPA-Ci a décidé de les boycotter encore. Au motif que le temps ne leur avait pas été donné de pleurer leurs militants morts pendant l’élection présidentielle. Et c’est à ce niveau que les choses vont coincer. Malgré la décision de boycott du comité central, une vingtaine de cadres du PPA-CI ont déposé leurs candidatures. La réaction de la direction ne s’est pas faite attendre. Ils ont aussitôt été suspendus. Mais cette décision de boycotter les législatives est loin de faire l’unanimité au sein du parti. Ils sont nombreux, ceux qui n’approuvent pas du tout la politique de la chaise vide que Laurent Gbagbo a décidé de pratiquer, surtout qu’elle pénalise de nombreux cadres de ce parti qui, pendant de longues années, ont travaillé le terrain dans l’espoir de pouvoir siéger au Parlement afin d’obtenir le retour sur leur investissement. Ahoua Don Mello qui avait déjà bravé la décision de boycotter la présidentielle a récemment publié une tribune dans la presse pour critiquer sévèrement cette politique du boycott qui pour lui, « rend encore plus puissant celui qu’on veut congédier en lui déroulant le tapis rouge pour l’exécutif et le législatif. »
Au niveau du PDCI, c’est la candidature de Maurice Kacou Djikahué qui a divisé les militants. Cet homme que l’on pourrait qualifier de militant de la première heure (il fut président du Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI), une sous-section du PDCI dans les années 80, ministre sous la présidence d’Henri Konan Bédié, et dernier secrétaire exécutif du parti sous la présidence du même Bédié), a vu sa candidature au poste de député de la circonscription dont il est déjà l’élu rejetée par son propre parti. Maurice Kacou Djikahué avait voulu postuler pour le poste de président du parti après le décès d’Henri Konan Bédié, mais sa candidature avait été rejetée parce qu’il était sous contrôle judiciaire, suite à son rôle dans la création du Conseil national de transition (CNT) par le PDCI et le FPI d’Affi N’guessan lors de l’élection présidentielle de 2020.
Nommé conseiller politique de Thiam lorsque ce dernier avait pris la tête du parti, il avait démissionné de ce poste parce qu’il n’approuvait pas la façon de travailler du président de son parti. Dans une interview qu’il a accordée à une chaîne de télévision, il a expliqué que c’est parce qu’il est Bété et non pas Baoulé, l’ethnie du président Bédié et qui constitue la base sociologique du parti, que sa candidature a été écartée. Le moins que l’on puisse dire est que l’éviction du vieux cacique a jeté un froid au sein du PDCI. Et plusieurs voix se sont élevées pour la dénoncer, de même que la dérive ethnique que certains croient déceler derrière cette décision.
Maurice Kacou Guikahué s’est présenté en candidat indépendant, contre celui du PDCI, son parti. Les résultats des élections nous diront qui a eu raison. À cela s’ajoute l’absence jugée trop longue du président du parti qui s’est exilé en Europe, au motif qu’une de ses sources auprès de la police ivoirienne l’aurait prévenu qu’il serait arrêté s’il revenait au pays. « Comment peut-on se prétendre leader d’un grand parti qui ambitionne de diriger le pays si l’on a peur de rentrer dans son pays par crainte de la prison ? » se demandent de nombreux militants. C’est peu de dire que le doute commence à circuler au sein du « vieux parti » comme on appelle le PDCI. Le RHDP, le parti au pouvoir, boit du petit lait, assuré que les soucis de ses adversaires lui ouvrent un boulevard pour la conquête du Parlement et pour la direction du pays.



























