Cette image de trois dirigeants – chinois, russe et indien – résume à elle seule l’événement politique de cette rentrée 2025. Le message envoyé aux Occidentaux et les décisions annoncées lors de la conférence de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), tenue à Tianjin en Chine les 31 août et 1er septembre, rebattent les cartes de l’échiquier mondial.
Leslie Varenne
Pour mesurer l’importance du Sommet de Tianjin, il faut rappeler ce qu’est l’Organisation de coopération de Shanghai. Créée en 2001, elle réunit aujourd’hui dix pays : les six fondateurs (Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan et Tadjikistan), rejoints par l’Inde et le Pakistan en 2017, l’Iran en 2023 et le Bélarus en 2024. Contrairement aux BRICS, qui restent avant tout une plateforme de concertation économique, l’OCS assume une dimension éminemment politique, axée sur la sécurité régionale, la lutte contre le terrorisme et l’opposition à l’hégémonie occidentale. L’organisation pèse lourd : 42% de la population mondiale et un tiers du PIB. À elle seule, la triade Chine–Russie–Inde concentre plus de 35% de l’humanité et près de 36% du PIB en parité de pouvoir d’achat. La poignée de main souriante entre Xi Jinping, Narendra Modi et Vladimir Poutine, captée à Tianjin, incarne ainsi un basculement géopolitique majeur.
Quand les Occidentaux font le jeu de leurs adversaires
Si Narendra Modi s’affiche aujourd’hui aux côtés de Xi Jinping, c’est en grande partie le résultat des bourdes de Washington. L’administration Trump, a imposé en août 2025 des droits de douane atteignant 50% sur certains produits indiens, croyant ainsi empêcher New Delhi d’acheter du pétrole russe. En Inde, cette mesure, a été perçue non seulement comme une attaque économique mais aussi comme un symbole, une humiliation. Elle a profondément froissé les relations bilatérales, d’autant que les États-Unis sont le premier partenaire commercial de l’Inde avec plus de 87 milliards de dollars d’échanges annuels.
Washington s’est aperçu trop tard de sa bévue : après avoir soutenu les droits de douane, en les qualifiant de « taxe sur le vol » le secrétaire d’État Marco Rubio a annoncé benoîtement vouloir négocier un avenir commercial « meilleur » avec l’Inde ! Cette volte-face n’a pas suffi à apaiser New Delhi, qui a vu dans ces manœuvres la volonté américaine de limiter son émergence et son développement industriel, notamment avec les restrictions technologiques dans les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle. Par leur manque de diplomatie et leur méconnaissance des nouveaux rapports de forces mondiaux, les États-Unis ont perdu un atout considérable dans leur lutte contre la Chine en se privant d’un allié clé. Où comment se tirer une balle dans le pied…
Au petit jeu de la balle dans le pied, les Européens ne sont pas mauvais non plus. En juin 2025, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a adopté une ligne dure envers la Chine, l’accusant « d’utiliser sa position dominante comme une arme pour affaiblir ses concurrents » tout en dénonçant un « nouveau choc chinois ». Elle a traduit ainsi une volonté européenne de s’aligner sur les Etats-Unis. Ainsi pour satisfaire l’allié américain, alors même que Washington ne lui accorde aucune attention, aucun crédit, aucune garantie de réciprocité ou de protection, Bruxelles s’enferme, elle-aussi, dans un isolement risqué.
A Tianjin, Xi dessine les contours d’un nouvel ordre mondial
Au sommet de Tianjin, qui rassemblait des dirigeants de plus de 20 pays et dix organisations internationales, l’OCS a annoncé quelques initiatives fortes : la création d’une banque de développement destinée à financer les infrastructures et le progrès économique et social dans les États membres ; inauguration de quatre centres spécialisés, dédiés à la sécurité, à la lutte contre la criminalité transnationale, à la cybersécurité et à la coopération antidrogue ; promesses de la Chine d’intensifier la coopération dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie verte, de l’économie numérique, de l’innovation scientifique et technologique, etc. Ce faisant, l’OCS a voulu affirmer son rôle de pôle géopolitique et économique. Toutefois, ces mesures font parties du catalogue convenu lors de ces grandes réunions, elles ne sont au fond que le sommet de l’iceberg.
En réalité, le temps fort s’est plutôt inscrit lors de l’allocution du chef de l’Etat chinois qui n’a cessé d’insister sur le respect de la Charte des Nations Unies. Il a rappelé à plusieurs reprises l’importance de cet ordre international à une époque où le droit international est constamment bafoué, voire totalement ignoré. Il a affirmé que la gouvernance mondiale doit revenir aux principes fondateurs de l’ONU, et a présenté son initiative pour la gouvernance mondiale visant à renforcer le rôle central des Nations Unies. En clair : le nouveau monde se construira sur le respect des règles de l’ancien monde… Encore un effort, nous n’y sommes p