Pionniers JO (5/6), Hassiba Boulmerka, un phare dans la décennie noire algérienne

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À l’occasion des Jeux Olympiques de Paris 2024, Mondafrique vous présente les pionniers africains des JO. Nouvel épisode avec l’athlète algérienne Hassiba Boulmerka, médaillée d’or du 1500 mètres en 1992.

Un article de Patrick Juillard

Pour des millions d’Algériens, le 8 août 1992 à Barcelone reste une date indélébile. Ce jour-là, Hassiba Boulmerka remporte sur le 1500 mètres le premier titre olympique de l’histoire de la nation tout juste trentenaire. Alors que l’Algérie s’enfonce dans la décennie noire, avec son lot de violences et d’obscurantisme religieux, c’est une femme aux cheveux noirs en liberté, vêtue d’un short flottant et d’un maillot frappé du drapeau national, qui décroche la première médaille d’or du pays des fennecs. Du haut de son mètre 62, de la force de ses 55 kilos, la porteuse du dossard numéro 5 a tenu le tempo et attendu le moment idéal pour faire parler sa science tactique et son finish, certainement le meilleur du peloton. Avec un temps de 3mn55sec30, Hassiba Boulmerka a établi un nouveau record d’Afrique, réalisé la quatrième meilleure performance de tous les temps et rapporté à son pays sa première breloque dorée.

Le caractère historique du moment n’échappe pas à la native de Constantine. « Vive l’Algérie et vive les martyrs algériens ! », lâche-t-elle juste après sa course victorieuse. Quelques heures après, elle dédie d’ailleurs sa victoire à Mohamed Boudiaf, président du Haut Comité d’État, assassiné quelques semaines plus tôt par les islamistes. C’en est trop pour le Front islamique du salut (FIS), qui a gagné les élections l’année précédente. Pour ces intégristes, il est impensable de voir une femme courir, en short et sans hidjab, devant les caméras du monde entier. Hassiba Boulmerka est menacée de mort, notamment par l’imam de la mosquée Ben Badis de Kouba, berceau du FIS, pour « avoir couru à moitié nue devant le monde entier ».

Le FIS vs.Boulmerka, l’ironie du s(p)ort

Hassiba Boulmerka n’a pourtant au départ rien d’une « laïcarde ». « Je suis croyante et pratiquante… Mais aussi vrai qu’il est impossible de se rendre à la mosquée en short, il est impossible de courir en hidjab », dira-t-elle au sujet de sa tenue jugée inappropriée par les religieux. Tout au long de sa riche carrière, entre 1986 et 1997, Hassiba Boulmerka va lutter contre les obscurantistes et affirmer ce qui pour elle relève de la simple évidence : oui, une femme peut courir et concourir. « Je suis une femme arabe, musulmane. Je ne m’en suis jamais cachée. Cela ne m’a pas empêchée de devenir athlète de haut niveau, championne du monde, championne olympique. Et je vis encore. Par rapport à l’islam, c’est un problème qui ne regarde que moi et Dieu. Je suis libre, fière de représenter un peuple, une culture », résume-t-elle dans un entretien accordé à L’Humanité en 1993.

Née dans une famille modeste et traditionnelle de sept enfants, Hassiba Boulmerka découvre le sport à l’école, et va en faire son activité principale, encouragée par Labed Aboud, son professeur d’EPS au collège de Constantine. Sa montée en puissance de façon concomitante à celle des islamistes est une sacrée ironie du s(p)ort. Devenue championne du monde du 1500 mètres à Tokyo en 1991, la jeune femme arrive à Barcelone avec une étiquette de favorite, qu’elle assumera sans coup férir.

Une vie sous protection rapprochée

Après sa médaille d’or, son statut change. A son étiquette de favorite s’ajoute une cible dans son dos. Une décennie durant, Hassiba Boulmerka vivra sous la protection de gardes du corps. « Pour la sportive que j’étais, ce furent des moments pénibles. Les journalistes me décrivaient comme un petit bout de femme qui fait face. J’étais jeune et c’était quand même une lourde responsabilité. Ma vie était menacée. Je devais gérer tout cela en plus de la compétition et de l’entraînement, ce qui n’était déjà pas aisé », racontera-t-elle à L’Equipe.

Après s’être interrogée sur la suite à donner à sa carrière, Hassiba Boulmerka va décider de la poursuivre : « Je me suis parfois demandé si je n’allais pas devoir mener ma bataille seule mais j’ai quand même eu le soutien de beaucoup de femmes, d’associations, la sympathie des athlètes. J’ai reçu énormément de messages après les JO de Barcelone qui m’ont encouragée à continuer. » Spécialiste des grands championnats quand d’autres se concentrent sur les réunions plus lucratives, elle raccroche en 1997 mais n’a pas oublié son combat de toujours.

Les femmes aux JO, son combat de toujours

Celle qui dirige aujourd’hui une société de distribution de produits pharmaceutiques (Hassiba Boulmerka International) a créé un club dans sa ville natale, afin de coupler athlétisme et réussite scolaire. On la revoit en 2011, au sein de l’association « Afghanes, Afghans », se battre pour que tous les pays aient une délégation mixte aux JO de Londres.

« La présence des femmes aux JO, ça a toujours été une bataille, jusqu’à aujourd’hui encore », disait-elle récemment, comme pour souligner le combat d’une vie. « Si je suis féministe ? Oui, car tous ces machos qui nous entourent nous obligent à l’être ! »