Paul Kagame, le président rwandais vertueux, forcément vertueux 

Au Rwanda en 1994, durant 100 jours, près de 800.000 personnes majoritairement Tutsi sont massacrées à la machette par leurs voisins, leurs autorités locales et leurs forces de défense et de sécurité. Ce génocide reconnu par l’ONU ne peut souffrir aucune contestation, banalisation ou relégation. Il doit être condamné et enseigné.

Tout en intégrant ce drame, est-il possible de porter une critique sur la gestion politique interne et internationale du Rwanda par le régime au pouvoir depuis la fin du génocide, sans être taxé de négationnisme ?

Hervé Mahicka, auteur du livre « l’Afrique, une promesse » (Michalon)

Peut-on dénoncer les graves atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux perpétrées au Rwanda et rapporter les crimes de masse commis au Congo sans feindre d’ignorer l’éléphant au milieu du couloir, c’est-à-dire Paul Kagame l’orchestrateur ?  Appartenir au groupe ayant subi un génocide confère-t-il une immunité au droit international ?

Le régime de Kigali est tenu par l’ONU et l’UE pour responsable des guerres à répétions au Congo qui ont fait plusieurs millions de morts depuis 1993. Il est l’instigateur des principaux groupes armés qui sévissent dans le pays, pillant les ressources minières et massacrant la population. Au parlement européen ce 7 mai 2025, le congolais Denis Mukwege a déclaré qu’ « à l’est de la RDC, les combattants sont responsables d’un viol toutes les 4 minutes, avec actes de barbarie ». Paul Kagame était le même jour l’invité surprise de l’Elysée, brouillant la communication de ce gynécologue congolais qui répare ces femmes meurtries et qui est auréolé du prix des Droits de l’Homme de la République française 2007 et de l’ONU 2008, du prix Sakharov de l’UE 2014 et du prix Nobel de la paix 2018, pour ne citer que les plus connus.

Dans l’ensemble, toutes les voix critiques de Paul Kagame ou défenderesses des intérêts congolais se plaignent des entraves à leur expression de la part de la presse comme des autorités françaises notamment. Parmi elles, celle de Jean-Marie-Vianney Ndagijimana. Ambassadeur du Rwanda à Paris durant le génocide qu’il avait dénoncé publiquement pendant qu’il était en cours, il deviendra le premier ministre des Affaires étrangères après le génocide. En rupture avec le régime, replié en France, il n’a jamais été poursuivi pour quelconques propos malencontreux que ce soient. Il est pourtant blacklisté dans les médias sous le prétexte qu’il serait suspect de connivence avec les génocidaires. Parce qu’il est Hutu donc collectivement coupable ?

Depuis trois décennies, Paul Kagame surfe sur la rente mémorielle et exploite le sentiment de culpabilité de la communauté internationale. Par simple coup de fil de son ambassadeur en France, des préfets font interdire des réunions de la diaspora rwandaise non kagamiste sous le soupçon de rencontre de « génocidaires ». Début avril 2025 un concert de solidarité pour les victimes du Congo a été annulé après une demande du Rwanda portée par la maire de Paris Anne Hidalgo. Alors que les principaux médias font focus sur le Congo depuis janvier 2025, les témoignages pour exposer le pyromane, Kagame, sont censurés.  

A l’intérieur du Rwanda, l’oppression se ressent dès les premiers échanges avec un local. Il ne sait pas ce qui se passe dans le pays, il n’a rien à dire sur « l’opération spéciale » au Congo. Les condamnations pour « banalisation du génocide » sont le premier palier pour écarter toute critique sur la gouvernance du FPR portant sur l’Etat de droit, la liberté d’expression, le droit aux activités politiques et associatives. Les assassinats politiques de journalistes, de politiciens ou d’activistes sont légion. Le dernier cas emblématique est la mort en détention du chanteur de gospel Kizito Mihigo, un Tutsi rescapé du génocide qui dans une chanson avait osé rendre hommage « à ceux morts dans des massacres qui ne sont pas appelés génocides ». Il faisait allusion aux opérations de vengeance du régime de Kagame qui se sont déployées jusqu’en 1998, dans les quartiers et les prisons rwandaises, ainsi que dans les camps de réfugiés et villages du Congo lors de sa première occupation par les armées de Paul Kagame. Le rapport Mapping de l’ONU publié en 2010 a documenté ces crimes sur 581 pages établissant la responsabilité directe du Rwanda. Pourtant personne n’est allé au bout de la justice internationale pour demander réparation, et la presse fait l’autruche.

À Paul Kagame on passe tout et il ne se refuse rien. Il se permet de reconnaitre en public les assassinats d’opposants comme Patrick Karegeya son ancien chef du renseignement ou Seth Sendashonga son ancien ministre de l’Intérieur, commandités à l’étranger. Il ne nie pas les tentatives pour d’autres, notamment Faustin Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état-major, son grand rival. Il remet en cause les frontières de son voisin à son profit, l’occupe, et les USA lui proposent de partager les richesses du pays occupé. Il affirme que pour sa sécurité le droit international n’a aucune valeur ; et comme personne n’a bronché, il peut alors « envoyer au diable » ceux qui lui infligent des sanctions. La presse et les politiques n’y trouvent toujours rien à redire. Sont traitées de corrompues les associations de victimes du génocide comme IGICUMBI composé de rescapés Tutsi du génocide, qui dénoncent l’exploitation politique et personnelle que Kagame fait des évènements de 1994. Des politiciens Tutsi du Congo comme le député et ministre Alexis Gisaro contestent le rôle de défenseur universel des Tutsi que s’est arrogé Paul Kagame et qui a plutôt pour conséquence d’exacerber l’ostracisation des Tutsi du Congo. Quant aux Congolais qui crient leur désarroi de constater que leurs millions de morts depuis 20 ans valent moins que les 800.000 Tutsi de 1994, ce sont clairement des négationnistes déchaînés!    

Au nom de la compassion et de la reconnaissance du traumatisme causé par le génocide rwandais de 1994, nous avons reconnu à Paul Kagame le droit de s’affranchir de toutes les règles qui fondent le droit international et la communauté humaine. En dehors de toute limite ?