Une semaine après l’arrestation du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, la presse anglo-saxonne continue d’observer les répliques de ce séisme politique que le président turc Recep Tayyip Erdogan a provoqué en mettant à l’écart celui qui est perçu comme son redoutable adversaire lors des prochaines élections présidentielles de 2028.
Les manifestations anti Erdogan dans les plus grandes villes de Turquie sont considérées comme les plus importantes depuis des années.
Pour le Washington Post, un effet de sidération
Le Washington Post s’appuie sur les analyses de Gönül Tol, directrice du programme de l’Institut turc du Moyen orient, – un think tank basé dans la capitale des Etats-Unis- pour décrire la situation politique qui prévaut désormais en Turquie : selon cette chercheuse, qui « s’attend à ce que les protestations continuent » , le président Erdogan est ébranlé par ces jours de colère populaire « et ne s’attendait pas à ce que tant de gens défilent dans les rues. D’ailleurs je pense que personne ne s’attendait de voir autant de monde dans les manifestations »…
Le grand journal de Washington résume ainsi la situation : « Pour les opposants [au chef de l’État turc] les jours prochains vont servir de point d’inflexion : la victoire d’Imamoglu aux élections municipales de 2019 avait été une gifle pour Erdogan et son Parti pour la justice et le développement (AKP). Depuis, [le maire d’Istanbul] est depuis largement été perçu comme le seul représentant de l’opposition à être capable de mettre un terme aux 22 ans de pouvoir d’Erdogan ».
À l’approche des prochaines présidentielles, « le gouvernement turc cherche à se débarrasser d’Imamoglu pour préparer le terrain à une échéance électorale anticipée et une nouveau mandat pour Erdogan. »
Les alliés du président, conclut le journal, ont « de manière croissante renforcé leur contrôle sur les institutions d’état et sont critiqués pour approfondir les restrictions de liberté de parole et d’expression ».
Pour le New York Times, le modèle démocratique en cause
Le New York Times, de son côté, sous la plume de l’analyste Amanda Taub, replace l’arrestation et la mise à l’écart du maire d’Istanbul dans le contexte plus large de la dérive « illibérale » en cours sur la planète : « Depuis le début du siècle des pays comme la Turquie, la Hongrie, le Venezuela, l’Inde, ont donné au monde l’exemple de nations où s’érode la démocratie », écrit-elle.
Revenant sur les événements en cours en Turquie, la journaliste confirme les affirmations du Washington Post, affirmant que « le message envoyé par le président Recep Tayyip Erdogan est que ce dernier ne veut plus donner à l’opposition la moindre chance de gagner les élections ».
Selon Lisel Hintz, chercheuse spécialisée sur la politique turque à l’université John Hopkins, cité dans l’article du « NYT », le président Erdogan « a compris que, même s’il manipule le système, il pourrait bien perdre la prochaine élection : cette décision [d’incarcérer son adversaire] doit donc être comprise comme une mesure anticipatrice, dans le but avéré de sortir du terrain le seul joueur capable de défier Erdogan. » Et la chercheuse d’affirmer que l’on vient d’assister en Turquie à un véritable changement de paradigme : « Il s’agit d’un passage très clair de l’autoritarisme compétitif [ un système où les aspirants autocrates entendent encore conserver le pouvoir, au moyen d’élections] vers un autoritarisme total ». Ce qui, dans ce cas, mènerait la Turquie vers une situation où tout scrutin populaire ne serait plus que de façade. Même si, prend cependant soin de souligner le « Times », la « Turquie n’est pas encore allée aussi loin que la Russie sur cette voie-là ».
Pour le Wall Street Journal, la rue en Turquie se bat contre le fascisme
Le Wall Street Journal accorde une large place à la couverture des manifestations contre le pouvoir turc, citant notamment Ozgur Ozel, le leader de la formation politique du maire d’Istanbul, le Parti républicain du peuple (CHP) : « Ces défilés ne sont pas des manifestations, ce sont des actes de défiance contre le fascisme », a tonné M. Ozel en fin de semaine. S’adressant directement à Erdogan, le chef du parti d’opposition lui a demandé : « Y a-t-il ici quelqu’un qui semble désireux de vous laisser faire ? Non !, derrière nous et le maire Ekrem [Imamoglu], il y a des jeunes, des ouvriers, des retraités, il y a tout Istanbul et toute la Turquie ! ».
Poiur le Financial Times, la livre turque est épargnée par la secousse politique
Le Financial Times de Londres consacre un long article sur les répercussions des événements en Turquie dont les conséquences sont imprévisibles et potentiellement inquiétantes pour l’économie. Dans un article consacré aux efforts déployés par Ankara pour rassurer les investisseurs, le « FT » rapporte les propos du ministre des finances Mehmet Şimşek et du directeur de la Banque centrale Fatih Karahan. Lors d’une conférence de presse, ces derniers ont énergiquement promis que le gouvernement « ne déviera pas de son programme de sauvetage économique d’une hauteur de [plus d’un milliard d’euros]. Selon le Financial Times, « la Banque centrale vient de vendre l’équivalent de 25 milliards de devises pour soutenir la livre turque » à la suite de la vente en masse d’actifs turcs la semaine dernière. Pour l’instant, concluait le quotidien, mardi 25 mars, « les marchés turcs restent stables »