Le contentieux entre le président béninois, Patrice Talon et les autorités de Niamey au Niger autour du pétrole nigérien qui s’exporte par le terminal de Semé au Bénin doit beaucoup aux nombreux détournements que provoque la manne pétrolière. Forbes Afrique plaçait le chef d’état béninois, au coeur de ces possibles ristournes, en 15e position des fortunes du continent en 2015 et en 2019. On estime que Patrice Talon est à la tête d’un patrimoine de près de 400 millions de dollars.
Notre portrait signé Olivier Vallée
La junte militaire aux commandes à Niamey au Niger est consciente que la souveraineté du pays impose la maîtrise des frontières. Cela choque les apôtres du grand marché et de la circulation, notamment ceux qui avec la bénédiction de Patrice Talon, le président béninois, ont pu s’enrichi en détournant une partie de l’or noir qui transite entre le Bénin et le Niger.
Le coton, l’or blanc du Bénin
La réussite de Patrice Talon qui doit beaucoup au coton, seule culture nationale d’exportation, commence en 1985, avec la création de la Société de distribution internationale (SDI), qui décroche un premier marché auprès de la Société nationale pour la promotion agricole (Sonapra), la première pierre de son empire. En 1991, Nicéphore Soglo, venu de la Banque mondiale, accède à la présidence, enfant des conférences nationales et du libéralisme. Cela tombe bien! Patrice Talon n’aime pas le marxisme, le dirigisme et l’étatisme qui entravent les bonnes affaires.
En 1994, Adamou Mamadou Ndiaye, ministre de l’Agriculture du président Nicéphore Soglo et Désiré Vieira, alors ministre d’État, donnent à l’acuel lePrésident du Bénin un agrément exclusif lui permettant l’implantation de trois usines d’égrenage de coton d’une capacité de 25 000 tonnes chacune. Des engrais à l’égrenage du coton, les affaires de Patrice Talon fleurissent. L’horizon ne s’obscurcit qu’au retour de Matthieu Kérékou à la présidence en 1996. L’emprise de Patrice Talon sur la filière est alors desserrée par l’autorisation de cinq opérateurs concurrents.
Patrice Talon converti à la biodiversité
Mais Patrice Talon est déjà riche et connecté avec la nouvelle étoile montante de la politique béninoise, Yahi Boni, le patron de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Il finance la campagne électorale que Boni Yahi, son mentor, remporte en 2006. Ce succès est suivi d’un second mandat en 2011. C’est l’âge d’or pour notre homme d’affaires qui devient le premier investisseur privé béninois et le premier employeur privé. Il se voit confier la vérification des importations au port de Cotonou. Les tentacules de ses sociétés se posent dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire, au Burkina et au Mali.
En avril 2012, Talon est visé par sept plaintes pour crimes économiques. Réfugié à Paris, il sabote les législatives de Boni Yahi en 2015 puis est élu Président l’année suivante, avec la bénédiction de la France. Il applique la réforme des finances publiques qui satisfait les institutions de Bretton Woods et la communauté internationale. Il devient, par exemple, l’un des expérimentateurs de la combinaison de la protection de la faune et de la biodiversité avec la lutte contre les groupes armés du Sahel.
Rejoignez la nouvelle chaine Whatsapp de Mondafrique
Les sirènes de l’afrodescendance
Mais le Président du Bénin ne se plait guère avec ses voisins de la région. Il rêve du grand large, choie un « Vodun » revenu d’Amérique et invite les Afrodescendants à le rejoindre.
« Désormais, M. le Président, vous serez Béninois ! » Le 23 mai 2024, au palais présidentiel de Brasilía, Patrice Talon s’amuse avec le président brésilien Lula, faisant allusion à la mesure symbolique qu’il vient d’annoncer en conférence de presse: tous les Afrodescendants brésiliens qui le souhaitent pourront désormais obtenir la nationalité béninoise.
En 2023, Patrice Talon s’était rendu en Martinique pour inaugurer l’exposition des objets artistiques et culturels restitués par la France voisinant avec les productions contemporaines de talentueux plasticiens béninois. A l’actuelle biennale de Venise, le pavillon béninois, avec celui de l’Éthiopie, représente dignement l’Afrique dans cette rencontre internationale de l’art contemporain le plus novateur.
L’ancien commerçant enrichi grâce au coton et au port de Cotonou peut, à présent, éclipser le banquier Lionel Zinsou, fils d’un des premiers Présidents du Bénin, et sa fondation pour l’art.
A cette hégémonie nationale, Patrice Talon ajoute une stature afro-américaine qui se dessine autour des relations avec le Brésil, d’où viennent les Agoudas du Bénin, descendants des trafiquants d’esclaves portugais et les Retornados, d’anciens esclaves du Brésil chassés après l’abolition. Ces communautés qui partagent rites, langue et religion, sont liées surtout par des intérêts commerciaux.
Talon, affranchi aux cultes Vaudou
Au fil de son ascension, Patrice Talon s’affranchit de ceux qui l’ont aidé à prendre le pouvoir comme Gaston de Souza, ancien député du parti politique Renaissance du Bénin (RB), originaire de la commune de Ouidah, l’un des ports qui abrite un musée que le président veut laisser à l’ensemble des Afrodescendants.
C’est justement à Ouidah qu’en janvier 2024, Patrice Talon est l’invité d’honneur des cérémonies Vodun » (« Vaudoues ») (1). La ville a accueilli alors, chose nouvelle, un carnaval brésilien avec des femmes dénudées. Les prêtres Vodun qui ont prédit à Patrice Talon le succès lui ont conseillé … de s’occuper davantage de sa femme.
En cultivant le cercle de Ouidah, où se mêlent noblesse locale, culte Vodun et Agoudas, le président Talon s’est éloigné des Yorubas de Porto Novo, de leur puissance économique et de leurs media influents. Ce rapprochement auprès des sorciers ont conforté dans la population quelques rumeurs infondées sur la tentative d’empoisonnement, en 2012, de l’ancien Président Boni Yahi.
Qui se ressemble, s’assemble…
L’âme damnée du Président du Bénin, Olivier Boko, partage beaucoup de points communs avec Patrice Talon. C’est un homme d’affaires très intrusif, auquel on doit sans doute le changement de direction de l’oléoduc nigérien, qui devait initialement rejoindre le port de Kribi en se greffant sur le pipe-line reliant le Tchad au terminal camerounais.
Deux ans après l’élection de Mohamed Bazoum, en mars 2023, les Présidents béninois et nigérien se congratulaient au Palais de la Marina de Cotonou. Lors de la conférence de presse conjointe qu’il animait à cette occasion avec son homologue du Bénin, Mohamed Bazoum avait déclaré qu’ «on ne change pas l’équipe qui gagne». Quelques jours plus tard, les ministres les plus proches du président Talon étaient remerciés alors qu’ils se préparaient à choisir Olivier Boko comme son successeur. Patrice Talon réglait aussi ses comptes sur l’accord que Bazoum avait conclu avec Olivier Boko et les ministres béninois de l’Energie et des Transports sur les retombées de la ma,,e pétrolière
Tout semble opposer Patrice Talon, l’homme de l’Atlantique noir à la recherche d’une identité diasporique, au Niger, pays en grande partie ancré dans le Soudan central. Le président Talon préfère la communauté élitiste noire transnationale au panafricanisme anti-occidental que l’on retrouve aujourd’hui à Niamey et à Ouagadougou. La condescendance du Président béninois à l’égard de ses voisins sahéliens, partagée par les autres pays côtiers à l’égard de leurs voisins enclavés, n’exclut pas de convoiter une partie de leurs ressources naturelles, de l’or au pétrole.
Derrière les mauvais coups portés au Niger depuis la déchéance de Bazoum, se cachent dans aucun doute quelques clauses secrètes de rétribution du passage du pétrole nigérien au Bénin
(1) Le vaudou ou vodou, ou vodoun, ou encore voodoo, plus rarement appelé vaudouisme, est une religion originaire des peuples Adja-Ewe-Fon (Afrique de l’Ouest).