Milad Rabbani est un ancien diplomate iranien intégré aux Affaires Étrangères en 2018, mais qui a fait défection il y a un peu plus de trois ans. Le jeune homme âgé de 37 ans a contacté Mondafrique sur un réseau social dans le but de raconter son parcours de transfuge vers la Turquie puis vers la Grèce
Mondafrique : Vous avez fait des études prestigieuses. Qu’est-ce-qui vous a conduit à la diplomatie?
Milad Rabbani: J’ai étudié les sciences politiques à l’université et j’ai été admis à l’Ecole des Relations Internationales de Téhéran en 2014. C’était difficile. Nous devions passer des examens, beaucoup d’entretiens. Je voulais devenir diplomate pour servir le pays, aider le peuple du pays. Etudiant, j’étais pro-Moussavi, comme presque tous mes camarades.
Pour être recruté au ministère des Affaires Etrangères, j’ai dû réussir plusieurs examens, portant y compris sur l’attitude et le niveau de langues. L’arabe et l’anglais étaient les plus importantes, puis venaient le français et l’allemand. J’ai été diplômé en 2017 et j’ai intégré le ministère en 2019. Je crois que mon niveau d’anglais et mes compétences informatiques ont beaucoup pesé dans mon admission. J’étais expert politique et économique. Ma mission précise était la supervision des commissions mixtes entre l’Iran et les autres pays.
Mondafrique : Comment avez-vous connu les services de renseignement iraniens?
M.R. : Le ministère des Affaires étrangères interagit beaucoup avec le ministère du Renseignement (Vezsrate Ettelaat). Ils fonctionnent ensemble. Quand vous travaillez pour le ministère des Affaires étrangères, vous êtes observé par le ministère du Renseignement. Ils valident toutes les nominations de diplomates et ils tirent parti, au-delà de leurs tâches normales, des formations reçues par le personnel diplomatique en affaires internationales et en renseignement. J’ai été contacté, au-dessus de ma hiérarchie. La personne qui m’a contactée était le représentant en titre du ministère du Renseignement au ministère des Affaires étrangères. Son nom de code est Chabbani mais son vrai nom est Zabihollah Naderi. C’est l’éléphant dans la pièce.
Ils avaient décidé de m’envoyer en Albanie. Je crois qu’ils voulaient me confier cette mission à cause de mes compétences informatiques. Quand je les ai rencontrés, ils ne m’ont pas dit quels étaient leurs projets pour moi. Ils m’ont juste dit que qu’ils avaient décidé de m’envoyer en Albanie. Je devais rencontrer un officier de liaison à Belgrade qui allait m’expliquer ma future mission.
Mondafrique : Comment avez-vous réagi à cette proposition?
M.R. : J’avais peur de devenir un espion. Je ne voulais pas. Je leur ai dit que je ne voulais pas être envoyé en Europe. Que je voulais rester un simple expert, un chercheur. Donc j’ai refusé. Mais quand vous dites non, ils considèrent que vous leur êtes hostile. Et les problèmes ont commencé.
Ils ont mis une grosse pression sur moi. J’ai été suspendu de mon emploi et ils ont monté une fausse affaire contre moi pour des cybercrimes supposés. J’ai dû écrire une lettre de démission. J’ai quitté mon boulot. Je me suis occupé de mes affaires en Iran mais aussitôt que j’ai découvert les poursuites contre moi, j’ai quitté mon pays.
Au total, j’ai eu plusieurs rendez-vous avec eux. Deux avant d’être suspendu puis quatre ou cinq autres, à travers différents canaux, dont deux fois avec des agents du ministère du Renseignement. Je leur ai assuré que je voulais coopérer. Ils me mettaient la pression mais, en même temps, ils m’encourageaient à devenir l’homme qu’ils voulaient. Donc je les ai rassurés.
J’ai récupéré mon passeport, je suis allé à l’aéroport et j’ai fui en Turquie, le 18 juillet 2021. Heureusement, personne ne m’a arrêté à l’aéroport.
Mondafrique : Que s’est-il passé une fois que vous étiez en Turquie?
M.R. :Au début, ils ne m’ont pas considéré comme un opposant. Ils m’ont recontacté, cette fois via le ministère des Affaires étrangères. Ils m’ont demandé de rentrer en Iran. J’ai dit: ‘d’accord, je vais rentrer bientôt’. Puis je me suis déconnecté, j’ai changé de numéro de téléphone et je n’ai plus jamais eu aucun contact avec eux. J’ai travaillé en Turquie comme gardien de nuit dans des hôtels. Mais la Turquie n’est plus sûre pour les réfugiés iraniens.
Le nouveau ministre turc des Affaires étrangères a été le patron des services de renseignement pendant dix ans et il veut de bonnes relations avec l’Iran. Je ne pouvais plus rester là-bas. La dernière année a été difficile. Je devais changer d’adresse tout le temps.
Le 21 juillet 2024, j’ai rejoint la Grèce à la nage. Je ne pouvais faire confiance à aucun passeur turc. Donc j’ai traversé par mes propres moyens, à partir de la ville turque de Kush Adasi. Et je me suis présenté à la police grecque. J’ai nagé cinq kilomètres pour atteindre l’île de Samos.
Mondafrique : Pourquoi voulez-vous rendre ces informations publiques?
M.R. : A cause des menaces qui pèsent sur moi et pour me protéger des services de renseignement iraniens. J’encours les mêmes risques que je parle ou pas, mais au moins, j’aurais fait quelque chose pour la liberté du peuple iranien. Même si je vis en exil désormais, il compte vraiment pour moi.
Mondafrique : Que pouvez-vous dire sur les services de renseignement iraniens?
M.R. : Je peux vous parler de leurs obsessions. Il y a des débats dans l’opposition iranienne. Je pense qu’elle se méprend parfois sur les services de renseignement iraniens et qu’elle n’en connait presque rien.
La première phobie des services de renseignement iraniens est le Mouvement Vert, né de la protestation monstre des partisans de Mir-Hossein Moussavi après l’élection présidentielle de Mahmoud Ahmadinejad, en 2009. Ils en ont très peur. Ils ont craint ces cinq millions de personnes dans les rues de Téhéran et ils ont eu raison. Il y a des gens qui reprochent à Mir-Hossein Moussavi de n’avoir pas utilisé le peuple pour renverser Khamenei. Mais je pense qu’il a bien fait. Si le Mouvement Vert avait utilisé la violence à ce moment-là, cela l’aurait délégitimé et le régime en aurait profité pour unir ses forces et exercer encore plus de violence contre le peuple. Le Mouvement Vert a été le prologue de ceux qui ont suivi, en particulier le mouvement des femmes de 2022. Celui-ci continue et ceux qui croient qu’il est terminé sont des naïfs.
La deuxième bête noire des services est Amad News et son fondateur défunt, le journaliste Roholla Zam, condamné à mort et exécuté le 12 juillet 2020, après avoir été réfugié en France pendant huit ans. Il faisait partie de ceux qu’on appelle les Angal Zadeh, ou parasites en farsi , ceux qui sucent le sang du peuple, les enfants des dignitaires iraniens qui ont détruit le pays mais lui, c’était un vrai héros. Vous pouvez voir la peur dans leurs yeux à la mention de son nom.
La troisième phobie des services de renseignement sont les Kurdes iraniens, privés, comme d’autres minorités, de leurs droits fondamentaux et interdits d’exercer de hautes fonctions administratives. Ils sont bien armés. C’est une minorité qui défie le gouvernement. Les services veulent les anéantir car ils ne peuvent pas négocier avec eux. Beaucoup d’entre eux sont exécutés en prison.
Les services se concentrent aussi sur toute organisation ou leader susceptible de fournir de l’information au peuple iranien, particulièrement aux jeunes. Le contrôle des flux d’information est crucial et vital pour eux. Et finalement, ils suivent aussi de près les mouvements de gauche, qui sont bien organisés et peuvent devenir une menace.
Mondafrique : Qu’en est-il de leur vision d’Israël?
M.R.: Israel est très important. Ils ne veulent pas détruire Israël. Israël est le prétexte qui permet de réunir certains groupes islamiques radicaux, de mobiliser le peuple iranien et d’autres partisans dans les pays arabes. Dans la perspective de la sécurité iranienne, Netanyaou est une bénédiction. Si Israël était plus intelligent, il n’aurait pas engagé une guerre qui a fait 43000 morts à présent, surtout des femmes et des enfants. La meilleure politique pour Israël serait de faire la paix avec les Arabes et d’engager des relations diplomatiques avec les pays islamiques, particulièrement l’Arabie saoudite, la Turquie et les voisins de l’Iran. C’est intéressant de se souvenir aussi que les deux seuls pays opposés à la solution à deux Etats sont Israël et l’Iran.
Mondafrique : Comment est organisé le service de renseignement à l’intérieur de l’administration des Affaires étrangères?
M.R. : Il y a un département de la sécurité dans tous les ministères et organisations d’Iran. Le directeur général du département de la sécurité n’est pas un agent du ministère concerné mais un membre des services de renseignement. Leurs missions habituelles sont de valider toutes les nominations. Mais ils ont aussi d’autres tâches. Par exemple, les ambassadeurs d’Iran dans certains pays, le Venezuela, certains pays arabes, sont des membres du service de renseignement. Le responsable de la commission mixte Iran-Venezuela, un pays très important pour l’Iran, est le ministère de la Défense. Et l’ancien ambassadeur d’Iran dans ce pays a été M. Chabbani, un membre du ministère du Renseignement. Ils sont répertoriés, au ministère des Affaires étrangères, sous les numéros de code 220 et 110.
Tous ceux qui sont transférés au ministère des Affaires étrangères à partir d’une autre administration, par exemple Divan Mohasebat (la Cour des Comptes), le ministère de l’Education ou celui de l’Industrie, des Mines et du Commerce (Vezarate sanat), appartiennent au ministère du Renseignement. C’est très difficile d’être transféré aux Affaires étrangères si vous n’appartenez pas au ministère du Renseignement.
Mondafrique : Quelles sont leurs méthodes ?
M.R. : Ils utilisent les bonnes vieilles méthodes traditionnelles à la soviétique, le contrôle en face à face. Ils envoient des agents sonder les idées et les croyances des agents de l’administration. Aux affaires étrangères, ils se concentrent sur deux groupes : les nouveaux arrivants de l’école des relations internationales et de l’Université de l’Imam Sadegh et les personnes apparentées à des membres du ministère. Par exemple, le fils d’un ambassadeur aux Nations unies travaillant pour le renseignement sera très facilement transféré au ministère des Affaires étrangères.
Le département Bakhsh Noskheh (dit de la Prescription) fait des études psychologiques pour monter des manipulations, de fausses affaires pour salir l’honneur des gens et des mouvements d’opposition. C’est le nom qu’ils se donnent entre eux : département de la prescription. Ce sont eux, par exemple, qui brûlent des Coran pour qu’on accuse l’opposition d’être diabolique et ennemie de l’Islam. Ca leur permet de mobiliser les gens ordinaires contre l’opposition. Lors des réunions de sécurité nationale, ils discutent de ces rapports. Ils ont aussi pour mission d’infiltrer l’opposition en exil, la diaspora et les réfugiés, particulièrement les groupes LGBTQ, les étudiants et les commerçants.
Mondafrique : Que peut faire le peuple iranien ?
M.R. : Je crois que tous ceux qui veulent un changement positif pour l’Iran doivent mettre le paquet sur la nouvelle génération, qui doit avoir accès à un internet libre de la surveillance du régime, ce que permet l’accès satellite. Il faut que la nouvelle génération voit les autres pays. C’est la meilleure façon de leur montrer les mensonges du régime islamique. Je n’ai aucun doute que ce régime s’effondrera. C’est déjà un cadavre.