Assis dans le fauteuil présidentiel par la force des armes depuis presque une année, le colonel Doumbouya ne cesse d’accumuler les abus de pouvoir. Les manifestations de l’opposition ont repris et, comme sous Alpha Condé, sont sauvagement réprimées. Combien de temps cette situation peut-elle encore durer ?
Si un jury était désigné pour décerner la palme de la plus mauvaise gestion de l’Etat par les juntes en place en Afrique de l’Ouest, il serait dans l’embarras. Mais si les militaires au pouvoir au Burkina-Faso et au Mali peuvent se cacher derrière la lutte contre le terrorisme, ceux de Guinée n’ont aucune excuse. Lors de son intronisation en octobre 2021, le colonel Doumbouya avait placé la transition sous le signe « de l’espérance et du rassemblement » en ajoutant : « Le peuple de Guinée a franchi un épisode décisif de son histoire qui n’autorise plus la gestion solitaire de la chose publique dans le secret d’un cabinet par des dirigeants qui n’auraient pas de comptes à rendre au peuple. » Dix mois plus tard, que reste-t-il de ces déclarations ?
« Les bêtes sauvages qui terrorisent ce pays depuis 1958, ont encore fait des leurs : elles ont encore dévoré nos enfants. »
Parmi tous ses hauts faits de guerre, le 9 août dernier, la junte a dissous le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), une coalition de partis politique et d’associations de la société civile, qui s’était créée contre le 3ème mandat d’Alpha Condé. Le 21 août, la Haute commissaire aux droits de l’Homme des Nations Unies, Michelle Bachelet a exhorté la junte à « revenir sur cette décision » concluant qu’une : « Une telle mesure constitue une atteinte grave au droit à la liberté d’association et de réunion pacifique. » Mais les partisans de cette coalition n’ont pas attendu l’ONU pour descendre dans les rues. Le 17 août, la manifestation a tourné au drame, deux jeunes de 17 et 19 ans ont succombé à leurs blessures par balles, tirées par la garde du colonel Doumbouya, selon l’opposition.
Cette énième tragédie à Conakry a fait sortir l’écrivain Tierno Monénembo de ses gongs. Le prix Renaudot 2008, s’exprime rarement sur la politique intérieure de son pays. Au cours des quinze dernières années, il n’a pris la parole publiquement qu’à trois reprises : lors du massacre de 150 civils dans le stade de Conakry en 2009 ; lors de l’annonce du 3ème mandat d’Alpha Condé en 2019 et aujourd’hui après la mort des deux adolescents. Dans le court entretien qu’il a accordé au journal guinéen Mosaïque, l’auteur n’y va pas par quatre chemins : « Les bêtes sauvages qui terrorisent ce pays depuis 1958, ont encore fait des leurs : elles ont encore dévoré nos enfants. Deux fils arrachés à leur famille ! Deux espoirs de moins pour ce peuple martyr qui sait qu’il n’a rien d’autre à attendre de son gouvernement que la diète noire et la mort ! ». Et Monémembo de conclure : « D’eux-mêmes, ces gens n’arrêteront pas de nous tuer. On ne demande pas à l’âne de cesser de braire. Ils n’arrêteront que le jour où nous les dissuaderons de le faire. »
Avec le décès en prison de l’ancien ministre et ancien président de la CENI Louceny Camara, mort des suites d’un AVC faute de soins appropriés, la junte alourdit encore un peu plus son bilan. Ces derniers événements ont fini de radicaliser les nombreux déçus de la transition guinéenne. La nomination d’un nouveau Premier ministre au profil de technocrate, Bernard Goumou, n’y changera rien. Le colonel Doumbouya a prouvé qu’il n’était pas en capacité de ramener le rassemblement dans ce pays.
La junte s’est sabordée…