Niger, le général Tiani désavoue les généraux Modi et Toumba

Lors d’un déplacement à Tillabéri, le chef du CNSP, le général Abdourahamane Tiani, a publiquement accusé ses ministres de la Défense et de l’Intérieur d’être des « ennemis de la démocratie ». Ce désaveu spectaculaire met en lumière les profondes fractures internes au sein de la junte militaire nigérienne, et révèle une lutte d’influence entre partisans d’un retour à la démocratie et défenseurs du modèle autoritaire russe.
 
Mohamed AG Ahmedou, journaliste et spécialiste des dynamiques  sahélo-sahariennes
 
La junte nigérienne est au bord de la rupture. Dans une déclaration publique à Tillabéri, région d’origine de la plupart des officiers du CNSP, le général Abdourahamane Tiani a attaqué frontalement deux figures de son propre régime : le général Salifou Modi, ministre de la Défense, et le général Mohamed Toumba, ministre de l’Intérieur.
 
« Des ennemis de la démocratie », a-t-il lancé, devant un auditoire stupéfait.
Une phrase lourde de sens, analysée par Boussada Ben Ali dans une tribune incisive :
 
« Ce désaveu traduit l’intention manifeste du général Tiani de jeter ses deux ministres à la vindicte populaire, chez eux, à Tillabéri même. » Depuis quelques jours, la rumeur d’une réunion houleuse du CNSP secoue Niamey. Une partie des officiers aurait plaidé pour une transition politique ordonnée, tandis qu’un autre bloc s’y serait catégoriquement opposé.
 

Quand Tiani défie l’ombre russe

 
Dans un discours inattendu, le général Tiani a martelé que « la démocratie, c’est notre survie, notre dignité et notre souveraineté », précisant que « ce n’est pas une puissance extérieure qui nous dictera notre conduite ».
Cette fois, il ne visait pas la France, mais bien la Russie, soupçonnée d’exercer une influence croissante via le général Salifou Modi.
 
Ancien ambassadeur du Niger à Moscou, Modi est réputé proche des cercles sécuritaires russes. Selon Boussada Ben Ali, « sa vision du pouvoir s’inspire du modèle russe : un régime militaire fort, sans place pour les libertés fondamentales ni les droits de l’homme ».
 
Cette orientation divise profondément le CNSP. Certains officiers redoutent que le Niger ne suive le chemin du Mali ou du Burkina Faso, tombés dans une dépendance sécuritaire envers Moscou et les sociétés paramilitaires russes.
 

Les “généraux clandos” d’un putsch bancal

 
Dans sa tribune, Ben Ali décrit une junte traversée par les rivalités de pouvoir et les héritages politiques.
Selon lui, les généraux Modi et Toumba ont été « intégrés après coup » dans le CNSP, recrutés par l’ancien président Issoufou Mahamadou, cerveau présumé du coup d’État contre Mohamed Bazoum.
 
Le journaliste emploie une métaphore parlante : « Sur le campus de Niamey, les étudiants sans logement vivent en clando chez des camarades titulaires d’une chambre. C’est exactement la situation des généraux Modi et Toumba au sein du CNSP. » Autrement dit, ils seraient des “occupants provisoires” du pouvoir, tolérés mais non légitimes aux yeux du noyau dur de la junte, dominé par Tiani et ses fidèles.

Un seul perdant : le peuple nigérien

 
L’affrontement Tiani–Modi reflète deux visions tout aussi illusoires l’une que l’autre. « D’un côté, Tiani incarne la trahison : il prône la démocratie quand elle sert sa survie personnelle. De l’autre, Modi défend la dictature brute, sans liberté ni contre-pouvoir », écrit Ben Ali.
 
Ces luttes internes se déroulent alors que le président légitime, Mohamed Bazoum, reste détenu depuis plus de deux ans. Son sort symbolise l’impasse politique dans laquelle s’enfonce le pays.
 
Pour Boussada Ben Ali, « sa libération est la seule issue possible pour éviter que le Niger ne sombre dans une guerre civile ».
Une position que partagent plusieurs diplomates africains, inquiets d’une implosion lente mais inévitable du CNSP, miné par les rivalités ethno-régionales et les ambitions personnelles.

Un pouvoir sans horizon

 
Derrière la façade de la “souveraineté retrouvée”, le régime du général Tiani apparaît épuisé, fracturé et isolé.
Les sanctions économiques, l’insécurité croissante dans l’ouest du pays et le désenchantement populaire sapent sa base sociale.
En désignant publiquement des boucs émissaires, Tiani cherche à consolider son autorité. Mais cette manœuvre révèle surtout l’effritement d’un pouvoir qui se consume de l’intérieur.
 
 

Encadré – Qui est Boussada Ben Ali ?

Journaliste et analyste politique nigérien, Boussada Ben Ali est connu pour ses prises de position critiques à l’égard des régimes militaires sahéliens. Auteur de plusieurs tribunes sur la gouvernance et la démocratie au Niger, il suit de près les recompositions internes du CNSP depuis le coup d’État du 26 juillet 2023.
Sa tribune intitulée « Des ennemis de la démocratie : le désaveu de Tiani contre Modi et Toumba » (5 octobre 2025) a servi de base analytique à cet article