Niger, la liste des apatrides continue de s’allonger

Sur la base d’une ordonnance prise en août 2024, les militaires qui ont pris le pouvoir au Niger le 26 juillet 2023 en renversant le président Mohamed Bazoum, continuent de déchoir des Nigériens de leur nationalité. Une épée de Damoclès sur la tête des opposants à la transition militaire.

Par Kindo Niandou

La dernière sanction du genre remonte au 06 janvier 2025, avec le décret signé par le président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, portant déchéance provisoire de la nationalité de deux personnes, à savoir M. Maman Sani Ali Adam alias Celon et M. Boussada Ben Ali. Tous deux sont soupçonnés de mener « des activités susceptibles de perturber la paix et la sécurité publique; de production et diffusion de données de nature à troubler l’ordre public; de propos à caractère raciste, régionaliste, ethnique, religieux et xénophobe ».

Depuis l’adoption, le 27 août 2024, de l’ordonnance n°2024-43 instituant un fichier des personnes, groupes de personnes ou entités impliqués dans des actes de terrorisme ou dans toutes autres infractions portant atteinte aux intérêts stratégiques et/ou fondamentaux de la Nation ou de nature à troubler gravement la tranquillité et la sécurité publique, le pouvoir en place à Niamey n’hésite pas à agir,  il n’y va pas de main morte pour sanctionner les auteurs de tels actes pris « dans toute leur gravité ».

Des fidèles de Bazoum dans le viseur

C’est dans cette optique que le président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le Général Abdourahamane Tiani, a apposé, coup sur coup, sa signature sur plusieurs décrets portant déchéance provisoire de nationalité frappant, par vagues, certains ressortissants nigériens. Ces derniers ont généralement en commun leur fidélité au régime du président déchu Mohamed Bazoum, le fait d’avoir fui le Niger aux lendemains du coup d’Etat du 26 juillet 2023 pour s’établir à l’extérieur, et leur activisme outré contre la junte au pouvoir, à travers notamment des actes que les autorités assimilent à des mêlées subversives contre le Niger.

Le ton de la tolérance zéro contre les auteurs des faits et actes indexés à travers l’ordonnance du 27 août 2024 a été donné, le 10 octobre 2024, avec l’annonce de la déchéance de la nationalité d’une première vague de neuf personnalités politiques et des anciens responsables militaires, tous dignitaires et membres du premier cercle de l’ancien Chef de l’État Mohamed Bazoum.

Les intéressés étaient ainsi censés répondre aux soupçons qui pèsent sur eux, non seulement de mener des activités incluant l’ensemble des griefs soulignés à travers l’ordonnance n° 2024-43 du 27 août 2024, mais aussi d’autres fautes graves « de complot contre l’autorité de l’Etat et de la trahison, ainsi que de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée ou de la nation ayant pour objet de nuire à la défense nationale, et de diffusion de données ou de propos de nature à troubler l’ordre public ».

Cette première liste affiche les noms bien connus au sein cabinet de l’ancien président Bazoum, dont Rhissa Ag Boula, ancien ministre-conseiller, Daouda Djibo Takoubakoye, ancien directeur de cabinet adjoint, Amadou Ngadé Hamid, conseiller en communication, et Harouna Gazobi Souleymane, aide de camp du président renversé.

S’y ajoutent deux autres anciens officiers supérieurs de l’armée, à savoir Abou Mahamadou Tarka et Karingama Wali Ibrahim. Parmi eux, le cas de Rhissa Ag Boula est le plus emblématique. En effet, ce dernier, qui a fui le Niger pour s’établir en France où il a aussitôt bénéficié d’un statut de réfugié politique, a enfilé son turban de maquisard pour déclarer ouvertement la guerre aux généraux du CNSP à travers son mouvement armé, avec pour seul objectif la libération et la réinstallation au pouvoir du président déchu Mohamed Bazoum.

Un texte fourre-tout

Ensuite, comme pour lancer un avertissement aux agitateurs invétérés, le 28 octobre 2024, le comité national en charge de la gestion du fichier consacré à l’identification des personnes, groupes de personnes ou entités impliqués dans des actes de terrorisme ou dans toutes autres infractions portant atteinte aux intérêts stratégiques et fondamentaux du Niger,  rendit publique une décision annonçant que dix autres personnes sont susceptibles d’être provisoirement déchues de leur nationalité nigérienne.

Parmi ces dix personnes, figurent notamment les anciens ministres de Bazoum, en l’occurrence Hassoumi Massaoudou, déjà poursuivi devant le tribunal militaire pour complot contre l’autorité de l’Etat et trahison, et Alkache Alhada, poursuivi pour crime de trahison et complot contre la sureté de l’Etat.

Et une semaine après, le 05 novembre, un nouveau décret portant déchéance de la nationalité de sept personnes parmi les dix visées par la décision du comité, écopent de la sanction de déchéance provisoire de leur nationalité, dont les deux anciens ministres Hassoumi Massaoudou et Alkache Alhada.  On note également le cas de Mahmoud Sallah et Moussa Sallah, alias « Kounai », Seydina Maman Kadela, tous deux membres de fronts armés qui militent en faveur du rétablissement du régime déchu.

L’Ordonnance n° 2024-43 du 27 août 2024, précise un communiqué de la Présidence du CNSP, est une « procédure administrative visant à renforcer les mécanismes de lutte contre les actes terroristes ou les infractions portant atteinte aux intérêts stratégiques et/ou fondamentaux de la Nation’’. La même source explique que l’inscription d’une personne, d’un groupe de personnes ou d’une entité au fichier intervient dès l’ouverture d’une enquête ou d’une poursuite judiciaire; après une condamnation judiciaire; sur demande des services de renseignements.

A propos des incidences de la déchéance de nationale, le communiqué souligne que « cette inscription entrainera, de plein droit pour les personnes ou entités concernées, le gel des avoirs financiers, l’interdiction de se déplacer à l’intérieur du pays ainsi que de voyager à l’étranger et les restrictions des transactions commerciales ».

 Sans surprise, ces mesures suscitent des inquiétudes au niveau des structures qui militent en faveur des droits humains, notamment Human Rights Watch qui invoque le respect de certains principes internationaux en matière des droits de l’homme. N’ayant pas de double nationalité, la plupart des personnes frappées par cette ordonnance, qui contient 20 motifs de déchéance, sont désormais sous la menace de devenir apatrides, alors même que le Niger est signataire de la Convention des Nations unies pour la lutte contre l’apatridie.

Des préoccupations que balayent d’un revers de la main les autorités de Niamey qui inscrivent cette rigueur de la loi sous la double casquette des impératifs de la lutte contre le terrorisme et du combat pour la sauvegarde de la patrie.

 

 

 

 

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