Michel Barnier, une incertaine idée du rôle de la France

La politique internationale est la grande absente des débats en vue de la composition du prochain gouvernement, les partis siégeant au palais Bourbon contournant  très largement ce domaine. Pourtant, de l’Ukraine au Moyen-Orient en passant par l’Afrique, il y a urgence. La ligne du nouveau Premier ministre (qui parle très mal l’anglais) devrait s’inscrire dans la continuité du quinquennat. D’autant plus que face à Emmanuel Macron, les  marges de manœuvre de Michel Barnier seront  très réduites.

Le premier obstacle auquel sera confronté Michel Barnier s’il a l’intention de peser sur certaines décisions à l’international sera l’interprétation tout à fait singulière et personnelle de la constitution par Emmanuel Macron.

Le chemin est étroit 

Si la Défense fait effectivement partie, avec quelques nuances, du domaine réservé du Président, concernant les Affaires étrangères lors d’une cohabitation, il serait plus juste de parler de « domaine partagé ». Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, l’Elysée a préempté la diplomatie, le Quai d’Orsay jouant un rôle de figurant. D’ailleurs pendant les soixante jours où la France s’est retrouvée avec un gouvernement démissionnaire, Emmanuel Macron a continué de prendre des décisions importantes, comme par exemple, la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Il n’y a donc aucune raison pour que cela change.

Faisant fi de l’esprit de la 5ème République, Emmanuel Macron ne manquera pas de convoquer les usages. Sans aucun doute, il prendra exemple sur François Mitterrand qui lors de la première cohabitation avait déclaré : « La France parle d’une seule voix. La mienne » ! Pour l’instant, Michel Barnier se débat dans les tambouilles politiciennes et n’a, à aucun moment, évoqué les questions de  politique étrangère. Celui qui pratique le « en même temps » d’un gaulliste social doublé d’un européiste résolu devrait passer par le chas d’une aiguille. Cela dit, selon une confidence d’un de ses anciens collaborateurs, l’homme est habile et sait parfois être retors.

Au bout du tunnel… l’impuissance !

Cependant, même pour le plus grand futé, la tâche s’avère ardue, car il n’est pas seulement corseté par le Président, il l’est aussi par son parti : les Républicains. Sur les grands dossiers chauds du moment, Ukraine et Palestine, les LR comme le Rassemblement National, qui pour l’instant apporte son soutien à Michel Barnier, il n’y a aucune véritable divergence de vues avec Emmanuel Macron.

Ces sujets-là ne devraient donc pas être épineux entre les deux têtes de l’exécutif au grand dam de Dominique De Villepin qui dans une interview sur France Inter le 12 septembre regrettait amèrement l’effacement de la France sur la scène internationale. « Nous n’avons plus de voix, on a l’Ukraine qui est en train de se dégrader ; on a Gaza qui est sans doute le plus grand scandale historique, plus personne ne parle, c’est le silence, la chape de plomb, la France s’efface (…) Nous ne sommes plus présents sur les grands enjeux. » Compte tenu des gangues qui enserrent Michel Barnier, son gouvernement ne devrait pas renverser la table et enrayer le déclin français sur la scène internationale.

Changement de ton en Afrique 

Reste l’Afrique que le nouveau Premier ministre connaît puisqu’il a été un des acteurs de l’affaire de Bouaké en 2004 en tant que ministre des Affaires étrangères. Cette attaque dramatique et rocambolesque est un des secrets d’Etat de la 5ème République. Les pilotes de Sukhoi biélorusses qui avaient bombardé ce camp avaient pu s’enfuir mystérieusement après avoir été brièvement interpellés par l’armée française. Lorsqu’ils sont finalement arrêtés à Lomé, la France avait immédiatement demandé aux autorités togolaises de les relâcher. Jamais la lumière n’a pu être faite sur cette affaire.

La juge  d’instruction, Sabine Khéris, avait demandé que Michel Barnier, Dominique De Villepin alors ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense soient renvoyés devant la Haute Cour de Justice de la République. Il n’en fut rien.

Le procès qui a suivi l’enquête ouverte en 2005 s’est tenu seize ans plus tard. Les trois anciens ministres ont été entendus comme simples témoins. Mis sur le grill par le tribunal et les avocats des parties civiles, Michel Barnier jurera la main sur le cœur n’avoir rien vu, rien entendu, rien déclaré. Quitte à passer pour un ministre amnésique.

La tradition gaulliste

Lorsqu’en octobre 2004 il se rend comme ministre des Affaires Étrangères en Israël, le ministre de Jacques Chirac met en avant la position traditionnelle de la France telle qu’elle est inscrite depuis le général de Gaulle: « J’ai redit notre objectif commun : un État d’Israël vivant en paix et en sécurité aux côtés d’un État palestinien viable et démocratique, le droit international devant bénéficier à tous »

Sur le Sahara occidental, comme le rappelle justement Afrik.com, ce ministre chiraquien a toujours suivi la politique équilibrée de la France, conforme aux résolutions des Nations Unies se prononçant pour un référendum du peuple Sahraoui.En Algérie, sa nomination a suscité quelques espoirs, d’autant qu’en 2005, il avait été le premier homme politique français à condamner les massacres de Sétif de 1945.

Prendra-t-il le risque de tensions avec Emmanuel Macron et son parti tous deux favorables désormais à la reconnaissance de la souveraineté marocaine ? Compte tenu de toutes les difficultés, les chausses trappes qui l’attendent sur sa route, cela paraît peu probable. Mais l’ancien commisaire européen sait s’adapter comme il l’a prouvé en rejoignant en 1995 lecamp d’Edouard Balladur contre Jacques Chirac qui fut longtemps son mentor.

Un changement de style

Sa marge de manoeuvre dépendra également du choix ministre des Affaires étrangères, mais là encore il y a assez peu de chances qu’Emmanuel Macron ne l’impose pas. En attendant, les dossiers s’empilent sur les bureaux, la nouvelle stratégie africaine de la France en Afrique promise à de multiples reprises depuis la fin 2022 ne pointe toujours pas le bout de son nez. Le locataire de l’Elysée désormais peu disert sur ces sujets depuis la défaite sahélienne œuvre en catimini.

Cependant, par sa personnalité, son ton affable, le nouveau Premier ministre pourrait entretenir des relations moins conflictuelles avec ses homologues du continent. A défaut de pouvoir imposer un nouveau cours à la politique étrangère française, cecommis de l’État pourrait susciter un changement de méthode, plus à l’écoute.

Reste que la question de savoir si la France va changer de politique étrangère parce que Michel Barnier vient de succéder à Gabriel Attal après une longue attente et d’âpres négociations, ne se pose que dans les pays directement concernés par le devenir de l’influence française.