L’annonce par la Cour pénale internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt à l’encontre d’Iyad Ag Ghali, chef du principal groupe armé au Mali, qui fait l’objet d’une enquête judiciaire lancée par la junte au pouvoir à Bamako, traduit un véritable revirement du statut d’une personnalité très influente et protégée notamment par une partie des services algériens et qui a joué depuis toujours un rôle clé dans les coulisses de la politique malienne.
Le 21 juin 2024, une chambre préliminaire de la CPI a levé les scellés d’un mandat d’arrêt contre Iyad Ag Ghaly, également connu sous le nom d’« Abou Fadl », qui était le chef d’Ansar Dine, un groupe islamiste armé responsable de nombreux abus. Le mandat, initialement émis sous scellés en juillet 2017, indique qu’Iyad Ag Ghaly est recherché pour crimes de guerre, y compris violences sexuelles, et crimes contre l’humanité commis dans le nord du Mali entre janvier 2012 et janvier 2013.
« De nombreux Maliens méritent de voir les responsables d’abus horribles dans leur pays amenés à rendre des comptes dans le cadre de procès équitables et crédibles », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Mais pour qu’Iyad Ag Ghaly soit traduit en justice, des efforts concertés sont nécessaires afin de le livrer à la CPI. »
Iyad Ag Ghaly est actuellement à la tête du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), une coalition fédérant des groupes affiliés à Al-Qaïda qui a été créée en mars 2017. Il est apparu dans une vidéo mise en ligne en décembre 2023, faisant l’annonce d’une nouvelle phase de « djihad » contre les juntes militaires dans la région du Sahel et contre le groupe Wagner soutenu par la Russie, qui a aidé certaines d’entre elles. En novembre 2023, le pouvoir judiciaire malien a annoncé l’ouverture d’une enquête sur plusieurs séparatistes ethniques et chefs de groupes armés liés à Al-Qaïda, dont Iyad Ag Ghaly, pour terrorisme et blanchiment d’argent. Ce dernier est toujours en liberté.
Human Rights Watch a documenté de manière détaillée les abus généralisés commis par Ansar Dine contre des civils dans le nord du Mali alors que le groupe appliquait son interprétation stricte de la charia, ou loi islamique. Ces abus incluaient des exécutions sommaires, des passages à tabac, des flagellations et des arrestations arbitraires de personnes ayant un comportement décrété comme haram (« interdit », en arabe), notamment la consommation de cigarettes, l’écoute de musique et le non-respect des prières quotidiennes. Une police islamique appelée Hisbah infligeait les châtiments pour ces « infractions, » souvent à l’issue de « procès » sommaires.
Les combattants d’Ansar Dine ont également détruit de nombreux sanctuaires d’une grande importance culturelle et religieuse et ont revendiqué une attaque à Aguelhoc, dans la région de Kidal au Mali, en janvier 2012, où ils ont exécuté sommairement au moins 150 soldats maliens capturés.
Human Rights Watch a également documenté à plusieurs reprises des violations graves commises par les forces de sécurité maliennes depuis 2012 à travers le pays. Il s’agit notamment d’exécutions sommaires, de disparitions forcées et de torture de personnes placées en détention.
En vertu du droit international, il incombe au gouvernement malien de garantir la justice pour les crimes les plus graves. Toutefois, malgré la saisine de la CPI et la coopération avec la Cour, les autorités nationales maliennes ont fait peu de progrès dans les enquêtes, et encore moins dans les poursuites, visant les responsables des nombreuses violations graves commises dans le cadre du conflit armé au Mali depuis 2012, en particulier celles perpétrées par les forces gouvernementales maliennes.
Le gouvernement actuel a également cherché à éliminer toute surveillance internationale de la situation des droits humains dans le pays. En décembre 2023, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) s’est retirée du pays à la demande des autorités maliennes, suscitant des inquiétudes quant à la protection des civils et la surveillance des abus. En janvier 2024, le gouvernement a annoncé que le Mali quitterait la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce qui priverait les victimes de violations flagrantes des droits humains de la possibilité de demander justice devant la Cour de justice de la Communauté de la CEDEAO.
La CPI a ouvert une enquête sur la situation au Mali depuis 2013, à la suite d’une saisine de la Cour par le gouvernement du Mali, État partie au Statut de Rome. Deux autres affaires impliquant des commandants d’Ansar Dine ont été portées devant la CPI. Le 27 septembre 2016, la Cour a condamné Ahmad Al Faqi Al Mahdi, chef de la police islamique, à neuf ans de prison, après qu’il a plaidé coupable d’avoir participé à la destruction d’édifices religieux et historiques à Tombouctou, dans le nord du Mali, en juin et juillet 2012. En mars 2018, Al Hassan Ag Abdoul Aziz, également membre haut placé de la police islamique, a été remis à la CPI. Son procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité a débuté en juillet 2020 et la Cour devrait rendre son jugement aujourd’hui.
Mali, le chemin vers le pouvoir d’Iyad Ag Ghali