Mali, Iyad Ag Ghali serait bien le commanditaire de l’assassinat des journalistes de RFI

Malgré douze années écoulées depuis l’enlèvement et l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 2 novembre 2013 à Kidal, dans le nord du Mali, l’enquête continue de progresser, à petits pas. Une certitude, le commando qui commet le crime contre les deux journalistes est aux ordre de Seidane Ag Hita, l’actuel bras droit d’Iyad Ag Ghali, le chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim) et l’homme fort du djihadisme malien qui tient tète aujourd’hui à la junte militaire au pouvoir à Bamako.

Nathalie Prevost

au centre Iyad Ag Ghali, chef militaire et spirituel des plus de 200 prisonniers djihadistes libérés en échange des 4 otages de la photo précédente (Sophie, deux Italiens et l'opposant malien Soumaïla Cissé).
Au centre de l’image, Iyad Ag Ghali, chef militaire et spirituel de 200 prisonniers djihadistes libérés en échange des 4 otages: Sophie Petronin, deux Italiens et l’opposant malien Soumaïla Cissé.

Les quatre membres du commando qui a enlevé les deux membres de l’équipe de RFI à la sortie d’une interview, à 13h05 locales, puis les a assassinés à une dizaine de kilomètres à l’est de la bourgade sont bien identifiés: leurs chefs, tous des collaborateurs de premier plan d’Iyad Ag Ghali, ainsi que certains complices de l’enlèvement et, sans doute, de la fuite des exécutants du crime dans le désert.

Si une grande partie des protagonistes (trois des quatre membres du commando, à commencer par son chef et chauffeur Baye Ag Bakabo, le chef de katiba Abdelkrim Taleb, qui a revendiqué l’enlèvement, et d’autres acteurs secondaires) sont morts après 2013, tués par l’armée française, dans des combats entre factions touareg ou dans des accidents de voiture, il reste toutefois plusieurs auteurs en vie plus actifs que jamais dans la région : le dernier membre du commando, Hamadi Ag Mohamed, Iyad Ag Ghali, le commanditaire présumé de l’opération, et son désormais numéro deux  Seidane Ag Hita, ainsi que des complices venus tirer d’affaire le  commando en panne de véhicule avant l’arrivée sur place – une grosse heure plus tard – du détachement français de liaison d’appui.

Des témoignages recueillis à distance ainsi que les résultats très tardifs (2021) mais fructueux de l’enquête sur la téléphonie offrent de nouvelles perspectives sur les vivants et les morts, qui éclairent les liens étroits entre les protagonistes de l’opération, qui dépendent tous, directement ou non, d’Iyad Ag Ghali, maître espion, chef de guerre et grand maître du business des otages à la tête de la galaxie Al Qaida au Sahel.

Des auteurs et complices issus de Kidal

Une réunion des chefs coutumiers du nord Mali à l’invitation de Mahamat Saleh Annadif, le patron de la MINUSMA. Cheikh Ag Haoussa (6e à partir de la gauche) est à la droite d’Annadif (7e) et Bilal Ag Acherif (8e) à sa gauche

On sait presque tout, désormais, sur l’enlèvement lui-même. Les recoupements téléphoniques prouvent que l’équipe de RFI a été suivie et espionnée dès son arrivée à Kidal, le 29 octobre. L’enlèvement était donc bien programmé avant l’arrivée sur place du tandem, déjà venu en juillet précédent pour couvrir l’élection présidentielle. Cette fois, Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient là pour documenter la réconciliation dans la région, dans le sillage de l’intervention Serval qui avait, en janvier 2013, dispersé et défait les groupes djihadistes et placé Kidal sous l’autorité conjuguée de l’armée française et de ses alliés locaux du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).

Le lendemain de son arrivée, Ghislaine avait interviewé un personnage sombre, désormais disparu (tué le 8 octobre 2016 dans un attentat à la voiture piégée en sortant du camp de la MINUSMA), dont l’ombre écrase le dossier : Cheikh ag Haoussa, un vétéran des rébellions touareg et homme fort de la région, ancien collaborateur militaire et grand ami d’Iyad Ag Ghali depuis la rébellion des années 1990. Elle avait, comme un pressentiment, confié à sa rédaction le lendemain, l’avoir trouvé «glaçant.» 

Le 2 novembre, le duo interviewe à son domicile un notable touareg de Kidal, Ambery Ag Ghissa, cadre du MNLA, tout à fait étranger au crime. Celui qui donne le «top», sur place, aux ravisseurs s’appelle Hamadi Ag Ma. C’est un ancien garde du corps de Bilal Ag Acherif, le leader indépendantiste du nord, chef du MNLA, dont les hommes quadrillent le bastion rebelle depuis la défaite militaire des djihadistes en janvier. Hamadi Ag Ma a combattu en 2012 aux côtés de ses frères d’armes, à Gao, contre les djihadistes du MUJAO, et il mourra en 2017 dans des combats contre le groupe loyaliste touareg du GATIA.

Lors de la libération de Sophie Pétronin en octobre 2020, Seidane Ag Hita est le premier des ravisseurs en partant de la gauche, avec lunettes noires, chèche ocre et chemise blanche.

Mais en ce 2 novembre 2013, il sert un autre patron : Seidane Ag Hita, l’actuel bras droit d’Iyad Ag Ghali, son cousin. «Leurs deux grands-pères étaient frères», a indiqué une source kidaloise dont le témoignage a été rapporté au juge. Les deux hommes ont grandi dans la même maison, celle de Seidane Ag Hita. En 2013, dans la vie courante, Hamadi Ag Ma est inséparable du petit frère de Seidane, Cheikh Ag Hita, et d’un autre cousin commun, Madou Ag Baye, actuel garde du corps de Seidane. Ensemble, ils trafiquent de la drogue.

Le double jeu du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad

Baye Ag Bakabo, le chef du commando, est aussi proche, mais depuis beaucoup moins longtemps, de Seidane Ag Hita. A l’orée des années 2000, alors en prison pour une affaire de drogue après une courte carrière de chauffeur d’un commandant rebelle, Bakabo a rencontré l’un des neveux d’Ag Hita, Agmad Ghali Ag Ouadossan, poursuivi dans le cadre de l’enlèvement d’otages occidentaux près de Gao. Baye sympathise avec son camarade d’infortune et il est libéré grâce à l’intervention de Seidane Ag Hita et Abdelkrim Taleb, celui qui revendiquera plus tard l’enlèvement des deux journalistes. A sa sortie de prison, désormais rallié aux idées djihadistes, il intègre la katiba du Touareg.

Lorsqu’il revient à Kidal, après l’intervention de l’armée française en janvier 2013, comme beaucoup d’autres combattants djihadistes affiliés à Iyad Ag Ghali (soit sous l’étiquette d’Ansar Dine, le groupe créé en 2012 par Iyad Ag Ghali pour faire pièce au MNLA rebelle, soit sous celle d’Al Qaida, au sein de la katiba de son cousin Abdelkrim Taleb/le Touareg), Bakabo se revendique du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), le tout jeune mouvement créé début mai pour «blanchir» les djihadistes touareg. «Quand ils sont revenus en ville, ils ont officiellement déposé les armes et des gens du MNLA se sont portés garants pour eux», a raconté un ancien combattant local du MNLA à Mondafrique. Bakabo ne fait pas exception : il s’enregistre en tant que HCUA avec son pick-up, qui appartient, en réalité, à Al Qaida, et qui sera utilisé pour l’enlèvement.

Cheikh Ag Haoussa
Cheikh Ag Haoussa

Les jours précédant le rapt, Bakabo est vu en compagnie de Cheikh Ag Haoussa – lui-même officiellement chef d’état-major du HCUA (après avoir été l’un des commandants d’Ansar Dine quelques mois plus tôt) – dans le véhicule du second. Ils passent un moment tous les deux devant le camp de la MINUSMA, le matin de l’enlèvement. Cheikh Ag Haoussa entre dans le camp, où il figure parmi les interlocuteurs privilégiés de la force de maintien de la paix, pendant que le chef du groupe qui s’apprête à enlever l’équipe de RFI reste dans la voiture.

Cheikh Ag Haussa fait mine de collaborer avec le MNLA mais il le combat souterrainement de toutes ses forces. C’est aussi dans l’ADN d’Iyad Ag Ghali qui voit, depuis toujours, dans l’organisation créée par ses jeunes frères kidalois une menace pour sa propre autorité dans la région. Bien qu’affaibli par l’entrée en guerre de la France, Iyad Ag Ghali et ses nombreux camarades et soldats sur place sapent méthodiquement leurs rivaux indépendantistes dont ils jalousent l’influence locale en tant qu’alliés de l’armée française et de la MINUSMA. L’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à cet égard, est non seulement une promesse de belle rançon mais aussi un coup porté à la réputation du MNLA, supposé «tenir» Kidal pour le compte de la France. Le dossier d’instruction révélera que Cheikh Ag Haoussa, au comble de la duplicité, a été mis à contribution par l’armée française pour identifier le véhicule des ravisseurs (dont le numéro de châssis figure, par ailleurs, dans les registres du MNLA depuis son entrée en ville.)

Scénario mortel

Des combattants recrutés par Iyad Ag Ghali

A 13h05, dès l’enlèvement des deux journalistes, l’alerte est lancée. Mais à 12 km de Kidal en direction de l’est, le pick-up subit une panne moteur irréparable. Le temps presse pour les quatre ravisseurs, qui savent pertinemment que l’armée française est déjà alertée et sans doute à leurs trousses. Craignant l’arrivée imminente d’hélicoptères français et dans l’incapacité d’emmener leurs otages dans leur fuite, Bakabo et ses hommes les tuent à bout portant (comme avant eux, dans des circonstances voisines, Antoine de Léocour, le 8 janvier 2011 et Philippe Verdon, dont la mort a été annoncée en mars 2013).

D’après le même témoignage cité plus haut et versé au dossier, les ravisseurs font appel, par talkie-walkie, à des complices d’un campement voisin pour venir les chercher.  L’avocate de la partie civile, Marie Dosé, a déclaré, lors d’une conférence de presse le 29 octobre, qu’elle avait officiellement demandé au juge d’enquêter sur Mohamed Ag Hellah,  dont le campement se trouvait à 12 km du lieu de l’assassinat. Ag Hellah, lui aussi cadre d’Ansar Dine, aurait envoyé deux motos aux ravisseurs partis à pied dans le désert. Cet homme évoluait dans l’entourage proche d’un autre djihadiste très connu au début des années 2010, Nabil, un ancien officier de la sécurité militaire algérienne qui avait joint son destin à celui d’Iyad Ag Ghali et qui dirigeait Al Qaida à Aguelhoc jusqu’à sa mort en 2012.

Le dernier membre vivant du commando, Hamada Ag Mohamed (ou Hamadine Mohamedine dans les milieux djihadistes) est devenu chef de section de la katiba Ansar Dine, sous le commandement de Seidan Ag Hita, dans la région d’Abeibera et Boghassa, le fief d’Iyad Ag Ghali. Ce fils d’éleveur a grandi auprès de la tribu du chef d’état-major du HCUA, une tribu imghad de l’Adrar. Il a participé encore tout récemment, le 14 juillet dernier, à une embuscade contre les forces armées maliennes à 40 km de Kidal.

Tous les fils remontent à Iyad Ag Ghali

Les trois commandants opérationnels et politiques de l’enlèvement, de son vieux complice de rébellion cheikh Ag Haoussa à son jeune lieutenant Seidane Ag Hita, en passant par son cousin chef de katiba Abdelkrim Taleb, sont tous des très proches du Vieux, le surnom d’Iyad Ag Ghali dans ces milieux. Ils sont tous, évidemment, Touareg et natifs du nord.

Sur le pare-soleil du pick-up en panne conduit par Baye Ag Bakabo figuraient les coordonnées GPS d’un lieu à la frontière entre l’Algérie et le Mali, écrites à la main. Sans doute là où les deux otages de RFI auraient dû, selon le plan initial, être livrés au commanditaire du rapt. Le téléphone d’Ag Bakabo a gardé la trace, entre le 29 et le 31 octobre 2013, de deux échanges assez longs avec un numéro algérien. Abdelkrim Taleb ? Seidane Ag Hita? Un autre proche d’Iyad Ag Ghali basé en Algérie, comme la famille du chef touareg ? Le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut a sollicité les autorités algériennes pour tenter d’approfondir ces pistes. Il n’a jamais reçu la moindre réponse.