Le rétrécissement de l’espace civique au Mali caractérisé par des disparitions forcées et détentions d’opposants, de journalistes ou d’acteurs de la société civile pour des motifs politiques suscite les inquiétudes de l’ONG de défense des droits de l’homme Human Rights Wath (HRW) qui appelle l’Union africaine, qui tient son sommet annuel ce week-end à Addis-Abeba, en Ethiopie, à agir auprès des autorités de Bamako pour mettre fin à cette situation.
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) devrait prendre des mesures urgentes pour mettre fin à la répression de la junte malienne contre l’opposition politique et la dissidence, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans une lettre adressée à des fonctionnaires de l’Union africaine. La Commission devrait se pencher de toute urgence sur les cas de plusieurs personnalités politiques qui sont ou ont été présumées disparues de force par les autorités maliennes ou qui sont détenues pour des raisons politiques.
« La Commission devrait demander au gouvernement malien de l’inviter à se rendre au Mali dès que possible », a déclaré Allan Ngari, directeur du plaidoyer pour l’Afrique à Human Rights Watch. « Une telle visite enverrait un message clair aux autorités, à savoir que la CADHP considère la disparition forcée de personnalités politiques de premier plan et le respect des droits d’autres opposants politiques et militants maliens comme des questions de la plus haute importance. »
Depuis qu’elle a pris le pouvoir à la suite d’un coup d’État en 2021, la junte militaire malienne mène un assaut incessant contre l’opposition politique, la dissidence pacifique, la société civile et les médias, réduisant ainsi l’espace civique et politique du pays. Les autorités ont dissous des organisations politiques et de la société civile, fait disparaître de force des personnalités politiques et des lanceurs d’alerte, arrêté arbitrairement des journalistes et des opposants politiques et ont contraint un grand nombre à l’exil.
Selon des sources crédibles avec lesquelles Human Rights Watch s’est entretenu, le 5 février 2025, Daouda Magassa a été enlevé par des hommes en civil à Bamako, la capitale du Mali. Daouda Magassa est un détracteur de la junte militaire et un membre de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), une organisation politique qui a appelé à la tenue d’élections présidentielles dans le cadre du rétablissement d’un régime démocratique civil au Mali.
La famille et les collègues de Daouda Magassa n’ont pas eu de contact avec lui et les autorités n’ont pas répondu officiellement à leurs demandes d’information. Le 11 février, Radio France Internationale a rapporté que Daouda Magassa était détenu à l’Agence nationale de la Sécurité d’État (ANSE), les services de renseignement maliens.
En mars 2024, le gouvernement a dissous la CMAS, l’accusant de « déstabilisation et de menace pour la sécurité publique ». La disparition forcée de Daouda Magassa survient alors que les partisans du groupe ont demandé le retour de Mahmoud Dicko, chef du CMAS et figure religieuse influente, qui a quitté le Mali pour l’Algérie en décembre 2024.
Le 28 décembre 2024, au moins deux hommes en civil, prétendant être des gendarmes, ont enlevé Ibrahim Nabi Togola, président du parti d’opposition Nouvelle vision pour le Mali (NVPM) et détracteur de la junte militaire, dans une rue de Bamako. Un témoin a déclaré qu’il avait été battu avant d’être emmené dans un camion sans plaque d’immatriculation. La nuit précédente, Ibrahim Nabi Togola et d’autres dirigeants politiques avaient annulé une conférence de presse prévue le lendemain pour annoncer une nouvelle coalition d’opposition, par crainte d’arrestations ou d’autres mesures répressives de la part du gouvernement.
La disparition d’Ibrahim Nabi Togola?
Jusqu’au 10 février, on ignorait où se trouvait Ibrahim Nabi Togola. Des proches et des collègues ont déclaré que les autorités n’avaient pas répondu à leurs demandes ou à celles de leurs avocats.
En juin 2024, Human Rights Watch a documenté l’arrestation par les gendarmes de 12 membres de la principale coalition d’opposition du pays, connue sous le nom de Plateforme d’opposition de la Déclaration du 31 mars. L’une des personnes arrêtées, Mohamed Ali Bathily, avocat et ancien ministre, a été libérée le 21 juin. Les 11 autres personnes font l’objet de poursuites et ont été remises en liberté provisoire.
Des avocats et des membres de partis politiques ont indiqué à Human Rights Watch qu’au moins 11 personnes sont actuellement détenues au Mali pour des raisons politiques. Parmi elles figurent trois membres du parti d’opposition Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance (SADI) qui ont été arrêtés en juin 2023 à Bamako pour avoir exposé des abus de la part des militaires. En octobre 2024, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a ordonné aux autorités maliennes de libérer les trois hommes, mais leurs avocats ont déclaré qu’ils étaient toujours en prison.
Le 13 novembre 2024, des hommes en civil ont arrêté Issa Kaou N’Djim, un commentateur politique, à Bamako, après qu’il ait fait des remarques critiques à propos des dirigeants militaires du Burkina Faso lors d’une émission diffusée sur la chaîne de télévision locale Joliba TV News. Issa Kaou N’Djim a été condamné à deux ans de prison et l’autorité nationale de régulation des communications du Mali a retiré sa licence à Joliba TV News.
Le 2 janvier 2025, les forces de sécurité ont arrêté Seydina Touré, membre de l’opposition, à Ségou, dans le centre du Mali. Il est accusé, entre autres, d’ « incitation aux troubles à l’ordre public » et d’ « atteinte au crédit de l’État ». Son procès est prévu pour le 7 mars.
« Ce que nous voyons, c’est soit un déni total de toute procédure légale, soit un détournement flagrant de la loi à des fins politiques », a déclaré un membre éminent de SADI. « En faisant disparaître ou en arrêtant arbitrairement des opposants politiques et des militants qui s’expriment ouvertement, le gouvernement cherche à écraser toute forme de dissidence. »
Le Mali est un État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les disparitions forcées sont définies comme l’arrestation ou la détention d’une personne par des agents de l’État ou leurs représentants, suivie d’un refus de reconnaître la privation de liberté ou de révéler la situation de la personne ou l’endroit où elle se trouve. Les familles des personnes disparues de force vivent dans l’incertitude, ne sachant pas si leurs proches sont en sécurité ni quelles sont leurs conditions de captivité. Les personnes disparues de force sont exposées à un grand nombre d’abus, dont certains mettent leur vie en danger.
Le Mali est également un État partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Charte africaine), qui garantit le droit à la liberté, à la sécurité et à la protection contre la détention arbitraire, le droit de ne pas être torturé ou soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le respect de la loi.
« La junte malienne est allée très loin pour étouffer l’opposition politique et toute forme de critique », a conclu Allan Ngari. « La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples devrait faire pression sur les autorités maliennes pour qu’elles respectent leurs obligations en matière de droits humains et qu’elles respectent, protègent, promeuvent et réalisent les droits à la liberté d’expression, d’opinion et d’association dans le pays. »