Mali, bras de fer entre l’imam Dicko et les colonels au pouvoir

 La décision récente du pouvoir militaire de retirer le passeport diplomatique de l’imam Dicko a acté son divorce d’avec les colonels au pouvoir à Bamako. La prochaine étape de ce face-à-face entre le remuant imam et la bande des colonels pourrait être une confrontation directe dont nul ne peut prévoir l’issue.

Les partisans de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita (IBK, décédé en janvier 2022) regardent le bras de fer entre l’imam Mahmoud Dicko et le colonel Assimi Goïta et ses camarades comme un sorte de revanche de l’histoire. Et pour cause : en 2020, l’imam Dicko, à travers le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qu’il animait avec à ses côtés l’actuel Premier ministre Choguel Maïga, Issa Kaou Djim, membre du Conseil national de transition (CNT), a activement pris part au renversement de IBK. Le 18 août 2020 les colonels Goïta,  Sadio Camara, Modibo Konté, Ismaël Wagué et Malick Ndaw n’ont eu qu’à cueillir le pouvoir comme un fruit mûri par les longs mois de contestation populaire portée par l’imam Dicko. Dirigée par l’ex-colonel Bah Ndaw et le premier ministre Moctar Ouane, la première transition a pris soin d’être aux petits soins de l’imam Dicko, même s’il n’avait alors aucune fonction officielle. Après le renversement de IBK, le chef religieux avait indiqué que sa mission était accomplie et qu’il retournait à sa mosquée. 

La trahison de Choguel Maïga 

Derrière les tensions actuelles entre l’emblématique figure religieuse malienne et les militaires au pouvoir, apparait un long processus d’éloignement entamé depuis « le coup d’Etat dans le coup d’Etat » de mai 2021. Lorsque le colonel Goïta et ses camadres se sont arrogé tous les pouvoirs en mettant de côté le président et le PM civils de la transition. Des « seconds couteaux » de la contestation du pouvoir de IBK comme Choguel Maïga et Kaou Djim en ont profité pour avoir un rôle éminent dans la nouvelle transition.  

Par petites touches, l’Imam Dicko a ainsi été marginalisé par ceux qui furent ses alliés voire « ses disciplines » dans le M5-RFP. L’exercice du pouvoir sous la seconde transition après le renversement de IBK a fini par scellé le divorce entre, d’une part, l’Imam Dicko et, d’autre part, ses anciens alliés et les colonels au pouvoir à Bamako. Outre la confiscation des libertés qui lui pose problème, le guide religieux s’oppose à la volonté des militaires d’étirer en longueur la transition et d’envisager ensuite de rester au pouvoir, à la faveur d’élections qu’ils auront organisées. 

Seule voix discordante 

Depuis plusieurs mois une Chappe de plomb s’est abattue sur le Mali. Journalistes, opposants politiques, figures de la société civils subissent une répression implacable. La plupart n’ont de choix qu’entre se taire, aller en prison ou prendre le chemin de l’exil. Le célèbre animateur de radio youssouf Bathily dit Ras Bath  croupit  depuis mars dernier en prison pour avoir dit que la junte était responsable de la mort de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, en mars 2022 en détention.  La militante de la société civile Rokia Doumbia, réputée pour son combat contre la vie chère, est, elle aussi, en prison pour avoir soutenu que le pouvoir militaire a échoué à protéger les Maliens contre l’inflation. L’ancien Premier ministre Boubou Cissé et l’ancien ministre de la Défense Tiéman Hubert Coulibaly ont, quant à eux, été contraints à l’exil tout comme le journaliste Malick Konaté, inquiété pour avoir participé à un long format de la chaîne de télévision française BFM TV sur Wagner.  

Ni en liberté totale, ni en prison, l’ancien Premier ministre Moussa Mara, très critique envers les colonels, est sous le coup d’enquêtes judiciaires pour sa gestion des deniers publics.  Dans cette atmosphère pesante à Bamako, l’imam Dicko est la seule voie encore capable de critiquer vertement les militaires.  « Je ne collabore jamais avec des gens qui ont confisqué la révolution du peuple, et qui sont en train de bâillonner ce même peuple (…) Oui ou non, c’est une fuite en avant. [Le règne des militaires] est déjà terminé (…) Je préfère mourir que de vivre traître », a notamment déclaré l’influent imam de Badalabougou le 16 juin devant ses partisans réunis au stade de Palais de la Culture. 

 L’inscription inédite dans la nouvelle constitution malienne de la notion de laïcité a donné au guide religieux de nouveaux arguments pour s’en prendre aux colonels. En réaction, ils ont profité de son retour le 22 juin d‘un voyage en Mauritanie pour lui retirer son passeport diplomatique. L’imam Dicko avait même été entendu pendant près de deux heures par la police avant de rentrer chez lui. 

« Je n’ai rien à me reprocher », avait-il lancé à ses partisans venu à son domicile le soutenir après son audition par les services de police.  

 

Pari incertain  

Le choix des colonels d’aller à la confrontation avec l’imam traduit certes leur volonté d’incarner un pouvoir fort qui ne tolère aucune contestation, même pas celle d’un poids lourd de la vie socio-politique comme l’imam Dicko. Toutefois, cette option est un pari à hauts risques. Le front de la contestation intérieure s’est en effet immensément élargi depuis l’organisation le 18 juin 2023 du référendum constitutionnel, contre l’avis des principales forces politiques du pays. N’ayant pas réussi à obtenir le report du référendum afin de parvenir à un nouveau texte plus consensuel, les forces politiques entendent désormais s’organiser pour faire barrage aux intentions prêtées aux militaires de mettre en selle la candidature du colonel Assimi Goïta. Le front intérieur pourrait ainsi fédérer les forces politiques mécontentes et l’imam Dicko qui conserve encore une très grande capacité de mobilisation de la rue à travers la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS). Très remontés contre les colonels qui ont refusé d’inscrire dans la Constitution certaines dispositions de l’Accord d’Alger, des groupés armés du nord pourraient se joindre à ce front intérieur et favoriser un rapport de forces pas forcément favorable aux militaires. « Je vous le jure (Wallahi), tout ça va finir », avait lancé l’imam à ses partisans remontés en bloc contre les colonels au pouvoir. 

Les militaires maliens doivent par ailleurs affronter un front extérieur marqué par leurs mauvaises relations avec les Nations unies et une attitude de défiance envers la CEDEAO. Les relations déjà très mauvaises entre les colonels maliens et l’ONU se sont notoirement dégradées avec la demande de retrait « sans délai » de la MINUSMA formulée le 16 juin devant le Conseil de sécurité.  

Conformément à la législation internationale, qui assujettit toute opération de maintien de la paix à l’accord du pays hôte, les Nations unies n’ont d’autre choix que de mettre en œuvre cette exigence de retrait. Des discussions devraient être menées prochainement pour définir le calendrier de retrait de près de 12000 casques bleus du territoire malien.  

Avec la CEDEAO, les relations ne sont guère plus brillantes. Tout porte même à croire que le calendrier convenu avec l’organisation sous-région d’une transition de 24 mois, à compter de mars 2022, ne sera pas tenu par le colonel Goïta et ses camarades. Signe du climat délétère entre la transition malienne et la CEDEAO, son médiateur pour le Mali, l’ancien chef de l’Etat nigérian Goodluck Jonathan,  n’a pas remis pied à Bamako depuis six mois. 

Il faudra, de toute évidence, bien plus que des théories enseignées dans les écoles de guerre et de commandement pour que le colonel Goïta et ses camarades s’en tirent à bon compte d’un affrontement avec les Nations unies et la CEDEAO,  mais surtout d’un front intérieur emmené par l’Imam Dicko et conforté depuis le scrutin référendaire du 18 juin par une bonne partie de la classe politique et les groupes armés signataires de l’Accord d’Alger.  

1 COMMENTAIRE

  1. Sans rentrer dans la politique intérieure du peuple malien, que je considère de grandes valeurs. Je crois que cet imam devrait ne pas s’immiscer dans la politique, sans quoi le Mali tomberait dans le cycle infernal des guerres du style FIS-Armée en Algérie des années 90. S’il y a un courant conservateur, il peut s’organiser politiquement, mais pas en recourant à l’islamisme, modéré soit-il. Qui vous encourage dans le sens contraire, en réalité vous pousse vers cette impasse civilisationnelle : la guerre insurmontable entre laïcité des institutions, ce qui est nécessaire, et la visière déterministe d’un État islamique. Si l’Europe a abouti à ce traité de Westphalie, c’est parce que les prémices étaient là, les monarchies étaient grossièrement structurées, absolutistes oui, mais les pouvoirs se superposaient aux clergés, ce qui est le contraire en islam. Ce qui rendra l’équation à plusieurs inconnues, sauf la certitude d’un fleuve de sang. On vous sacrifiant pour la « oumma », vous ne rendrez service qu’à vos ennemis. Un parti conservateur qui peut trouver la synthèse dans la tradition culturelle malienne, mais pas l’islamisme. Une éthique est une direction et pas un code, or la politique vit dans les contradictions des hommes. Fédérer les maliens conservateurs sur des bases humaines, de la solidarité et responsabilité des hommes, dans la vision des institutions… vous n’avez pas besoin d’un mouvement islamique parce qu’il rendra irrationnel la confrontation qui devrait rester au niveau de l’argumentaire politique. Faire l’économie des souffrances du peuple malien

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