Mahamadou Issoufou funambule entre Niger et ONU

Mahamadou Issoufou, Moussa Faki (le Président de la Commission de l'Union africaine), Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies et Omar Touray, le président de la Commission de la CEDEAO, lors de la remise du rapport du Panel, le 21 octobre 2024

L’ancien Président du Niger Mahamadou Issoufou vient d’accorder une interview publiée le 11 novembre par Notre Afrik, où il tente de faire entendre sa voix et de revenir dans le jeu politique nigérien, rebattu radicalement par le coup d’Etat du 26 juillet.

Sa parole est devenue extrêmement rare et elle reçoit généralement un accueil indigné des internautes nigériens, qui lui reprochent, pour les partisans de Bazoum, sa trahison, et pour les autres, le système politique de prédation qu’il a installé au Niger à son arrivée au pouvoir en 2011, communément baptisé «guri» en haussa, et dont le rejet explique en partie le ralliement des Nigériens au renversement du régime civil.

Privé de l’essentiel de son crédit à l’international – en raison des soupçons qui portent sur son implication dans le coup contre son dauphin et ami – Mahamadou Issoufou laboure le continent au titre des deux missions à lui confiées par l’Union africaine et les Nations Unies, respectivement en tant que champion de la zone de libre-échange ZLECAF et comme président du Panel de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel, au nom duquel il a présenté son rapport au Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres le 21 octobre. Qu’il semble loin le temps où le Président du Panel recevait ses membres en grande pompe à l’hôtel Radisson Blu, en juin 2023 ! Cette fois, les Nations unies n’ont pas communiqué sur la réunion et les rares photos de Mahamadou Issoufou entouré de ses pairs proviennent de ses propres services de communication. 

Issoufou expert contre Issoufou Président

Dans l’interview à Notre Afrik, Issoufou l’expert de haut niveau tourne le dos, sans vergogne, à Issoufou Président et parrain du parti socialiste au pouvoir, dans un exercice schizophrénique où il excelle depuis toujours.

Contraint par sa mission à reprendre les formules et les recettes de la communauté internationale, dont l’échec au Sahel est patent, il les retourne désormais contre la France, les organisations régionales et les Nations Unies, sans doute pour séduire les gouvernements militaires de la région et leurs partisans.

Il est amusant de le voir tenter de faire oublier sa place de chouchou des Occidentaux, auxquels il a pourtant ouvert les portes de son pays et de ses camps militaires comme personne avant lui, pour tenter d’apparaître comme un partisan de la souveraineté nationale, aux antipodes des recettes qu’il prônait jadis dans les cénacles (mais peut-être déjà sans conviction personnelle) : démocratie -de façade- et soutien militaire extérieur dans la guerre contre le terrorisme.   

Convoquant à nouveau le nexus sécurité-développement qui a fait les beaux jours des experts du Sahel, l’ex Président Issoufou le développe en réquisitoire des pays riches. «Le Panel estime que les causes profondes de la situation sont l’échange inégal (les pays pauvres ont perdu 2 200 milliards en 2017 du fait de l’échange inégal) et une architecture financière internationale inéquitable (la dette devenant une source de pauvreté et non un instrument de développement à cause des taux d’intérêt élevés pour les pays pauvres).» 

Présentation du rapport d’étape sur la ZLECAF à Addis-Abeba

Pour lui, faute d’action contraire, le statu quo «permettra aux groupes terroristes de s’étendre, menaçant la sécurité régionale, continentale et internationale, avec la possibilité pour les terroristes de capturer des ressources stratégiques, ce qui entraînera des risques de rétraction des États dans les centres urbains, le déplacement massif des populations des zones rurales insécurisées vers les villes, une aggravation de la pauvreté et des inégalités, et même la disparition des États sous leur forme actuelle.»

« Des Etats sahéliens qui n’ont pas su répondre aux besoins de leurs populations »

Pour Mahamadou Issoufou, qui oublie, au moment du bilan, qu’il est l’un des principaux responsables de l’échec partagé, la situation actuelle résulte de la responsabilité conjuguée de tous les acteurs : «les États sahéliens, affaiblis par des programmes d’ajustement qui ont négligé la sécurité et peinent à répondre aux besoins de leurs populations ; les organisations régionales et l’Union africaine, (qui) n’ont pas su coordonner efficacement leurs efforts ; l’ONU (qui) a aggravé la situation avec son intervention en Libye, et les partenaires internationaux (qui) ont mené des stratégies morcelées, sans cohérence avec les besoins locaux.»

Le Panel propose une vision pour 2063 (! ) et invite tous les partenaires à s’aligner sur la stratégie imaginée : la Communauté sahélienne de sécurité collective (CSSC), nouvel acronyme s’ajoutant à la quinzaine de stratégies Sahel empilées et ensablées depuis 2012 mais qui, promet Issoufou, ne tombera pas dans les écueils des précédentes «fruits d’une mauvaise lecture de la région». 

Le concepteur du «concassage des partis politiques» et d’une prédation sans précédent des ressources de l’Etat vante désormais la gouvernance : «Partant du principe que les valeurs démocratiques sont universelles et les institutions locales, le Panel recommande que celles-ci soient adaptées à l’histoire et à la culture des peuples des pays de la région, l’objectif étant la construction d’États stables et efficaces.»

Au bon vieux temps des honneurs, Issoufou recevant le Panel à l’hôtel Radisson Blu, juin 2023, un mois avant le coup d’Etat

Dessine-t-il sa propre stratégie de survie et de retour aux affaires, maintenant que son principal rival Hama Amadou est mort ?

«L’État doit gagner la loyauté directe des citoyens, la dévolution du pouvoir doit être assurée par des élections transparentes, ce qui rend superflu le débat sur la limitation des mandats. La formation des coalitions gouvernementales, voire de gouvernements d’union nationale, doit être encouragée.»

Faites ce que je n’ai pas fait  

Assurer la transition démographique, investir significativement dans l’éducation, surtout des jeunes filles, et dans les soins de santé : ces priorités sociales, ignorées pendant douze ans par Mahamadou Issoufou Président et chef du guri système, sont vantées par Mahamadou Issoufou expert de haut niveau, sans ciller.  

«Les États sahéliens doivent se libérer de leur dépendance aux financements extérieurs en mobilisant davantage de ressources internes, notamment fiscales», poursuit celui dont le règne s’est traduit par une explosion de l’aide étrangère. Le civisme fiscal n’était pas non plus la plus grande vertu du fondateur du parti rose, qui a accumulé un patrimoine immobilier considérable dans des conditions opaques, au Niger et à l’étranger.

Mahamadou Issoufou n’aborde la situation du Niger qu’en fin d’interview, pour s’apitoyer sur son sort. Il faut dire qu’avec son fils Abba et une partie de ses lieutenants en prison, les autres en exil et l’ancien tout puissant parti rose déchiré en deux camps ennemis, m’ancien Président est dans une situation délicate. «Le bouc émissaire, par définition, c’est la personne sur laquelle on fait retomber les fautes des autres ; je n’accepte pas qu’on me fasse jouer ce rôle. Nous avons tous intérêt à avoir une bonne lecture de la situation ; nous avons tous intérêt à nous poser les bonnes questions et à trouver les bonnes réponses.»

Décembre 2019, photo Elysée

Les ponts semblent bien coupés avec la France, dont il fut pourtant l’un des protégés pendant tout son règne.  Il exprime ainsi son amertume mais caresse aussi le nouveau régime dans le bon sens. «Combien y a-t-il eu de coups d’État en Afrique ces deux dernières années ? Pourquoi ces coups d’État sont-ils intervenus, dans leur totalité, dans des pays francophones? Cela tient-il du hasard ? Pourquoi ne constate-t-on pas le même phénomène dans les pays anglophones ?», s’interroge-t-il.

Poussé dans ses retranchements mais sourd à ses propres contradictions, il dit condamner «par principe» tous les coups d’État, «y compris celui du 26 juillet» mais regrette que «les Ponce Pilate, de l’intérieur comme de l’extérieur, qui n’assument jamais leur responsabilité, ne (l’) entendent pas.»

Il conclut, citant Robespierre, sur son opposition à l’intervention militaire projetée un temps contre son pays par la France et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. Qu’il soit sincère ou pas, cette position le fait basculer du bon côté de l’histoire nigérienne. « La plus extravagante idée qui peut naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à mains armées chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés. » Et, de rappeler, en gage de sa bonne foi, son opposition en 2011 contre l’intervention en Libye. «Je ne pouvais pas, dans le cas du Niger, faire moins que ce que j’ai fait dans le cas libyen.»