Le Sénégal est entré hier jeudi dans une ère de grandes incertitudes avec l’éclatement des violences politiques généralisées à Dakar et Ziguinchor, dans le nord du pays, suite à la condamnation d’Ousmane Sonko, principal opposant au président Macky Sall, à deux ans de prison ferme. Un complot politique visant à l’écarter de la présidentielle de février 2024, selon ses partisans.
La surprise n’est pas venue de la condamnation d’Ousmane Sonko à la prison ferme mais de l’incrimination retenue par les juges. Alors qu’il était poursuivi depuis deux ans pour le viol présumé d’Adji Sarr, une employée d’un salon de massage de Dakar, le président du Parti des patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) a finalement été condamné à deux années de prison ferme « pour corruption de la jeunesse ». En droit pénal sénégalais, le principal opposant du président Macky Sall, son principal challenger pour la présidentielle de 2024, est donc reconnu coupable d’avoir eu une relation sexuelle consentie avec une fille qui était mineure au moment des faits. En effet, Adji Sarr avait 20 ans, une année de moins que les 21 ans, âge requis pour la majorité au Sénégal.
Vers un embrasement général
Aussitôt la condamnation de Sonko connue, des scènes de violences ont éclaté dans plusieurs quartiers de Dakar la capitale sénégalaise et à Ziguinchor, la grande de la région méridionale dont il est maire. Au moins neuf personnes ont été tuées entre hier jeudi et aujourd’hui lors des confrontations parfois très violentes entre les partisans de l’opposant sénégalais et les forces de l’ordre. En y ajoutant les dix-sept autres personnes décédées depuis le début des poursuites engagées en mars 2021 contre Sonko, les violences politiques inédites auront fait au moins 26 morts. Des édifices publics et des commerces ont été incendiés ou pillés à Dakar. Des enseignes françaises telles que Auchan, Total et Orange ont été attaquées alors que l’Elysée et le Quai d’Orsay affichaient une discrétion troublante depuis le commencement des troubles au Sénégal.
Dans la capitale sénégalaise, des domiciles de plusieurs dignitaires ont été attaqués et des véhicules administratifs carbonisés. Et ce n’est pas fini. En effet, l’arrestation effective du président du PASTEF, qui reste pour l’instant assigné à résidence à son domicile dakarois, pourrait radicaliser ses partisans et entraîner de nouvelles scènes de violences à Dakar, Ziguinchor et dans bien d’autres villes du pays. « Sonko peut être arrêté à tout moment. Quand il y a une condamnation pénale, dans un État de droit, la condamnation pénale doit être exécutée », a martelé le ministre sénégalais de la justice Ismaïla Madior Fall.
Pris au dépourvu par cette irruption de violence de la part des jeunes, le pouvoir du président Macky Sall a restreint l’accès aux réseaux sociaux, suscitant la condamnation d’Amnesty international et la levée des boucliers parmi les organisations de la société civile sénégalais. Le pouvoir a par ailleurs posé de nombreuses entraves à l’exercice du travail des journalistes sénégalais et étrangers qui tentent de couvrir sur le terrain.
De l’emprisonnement en janvier dernier du journaliste Pape Alé Niang, directeur du quotidien Matin de Dakar pour « diffusion de documents militaires » à la suspension en mars 2023 du signal de la télévision privée Walf TV pour « couverture irresponsable », en passant par des agressions sur le terrain des journalistes par les forces de l’ordre, les assauts inédits contre la liberté de presse témoignent d’une ferme volonté de Macky de passer en force.
Passer en force
Mais le cœur de la stratégie présidentielle 2024 de Macky Sall, qui n’a toujours pas dit qu’il était candidat, c’est bien la neutralisation judiciaire de ses opposants les plus emblématiques. Mieux que quiconque le président sortant sénégalais sait le bénéficie politique qu’une instrumentalisation de la justice peut apporter. Il avait fait emprisonner, en 2018, pour détournement des deniers publics son principal rival Khalifa Sall, alors de Dakar, pour l’écarter de la présidentielle prévue une année plus tard. Après sa réélection confortable, Macky Sall a accordé sa grâce l’ex-maire de la capitale sénégalaise. On ne change pas une recette qui marche : pour 2024, le président mobilise la même méthode contre Ousmane Sonko.
Arrivé troisième lors de la dernière présidentielle de 2019, Sonko a conforté son épaisseur politique avec la forte progression de ses partisans aux législatives de juillet 2022 (56 sièges sur 165) ainsi que sa victoire haut la main à la mairie de Ziguinchor, en Casamance (région méridionale), face à Abdoulaye Baldé, dinosaure de la vie politique sénégalaise, plusieurs fois ministre sous Abdoulaye Wade. Plus que l’avis du Conseil constitutionnel sur la légalité d’une candidature de Macky Sall à un troisième mandat, les partisans du président sortant redoutent le maintien du leader des PASTEF dans la course. Deux dossiers judiciaires ont donc opportunément été montés pour avoir sa peau. Derrière une simple affaire de diffamation opposant M. Sonko à Mame Mbaye Niang, est apparue une vraie stratégie d’obstruction de la candidature de Sonko. Contre l’avis du procureur du tribunal de Dakar, qui avait requis deux ans de prison dont un an ferme, le juge a condamné le 30 mars dernier l’opposant à deux mois de prison avec sursis et 200 millions de FCFA (300 000 euros) d’amende. La sentence, qui laisse Sonko toujours éligible, a provoqué vive colère et branle-bas de combat dans les rangs du pouvoir qui a instruit le procureur de faire appel du jugement pour appuyer un premier appel déjà formé par le ministre Mbaye Niang, un fidèle de Mack Sall. Dans la volonté d’en finir au plus vite, le parquet général de la Cour d’Appel de Dakar n’a même pas attendu la fin, le 29 avril 2023, de la période accordée aux parties, y compris Sonko, pour se prononcer sur la décision de première instance. Pour les avocats de Sonko, convoqué pour être rejugé ce lundi 17 avril, soit 12 jours avant la fin du délai légal accordé aux parties pour faire ou non appel, cette précipitation du parquet général, soumis hiérarchiquement au ministre de la justice, est la preuve de l’existence d’un agenda d’élimination politique de Sonko.
« Tout sauf Wade »
La posture actuelle du président Sall est d’autant plus incompréhensible qu’il avait lui-même combattu en 2012 la candidature d’Abdoulaye Wade à un troisième mandat. Déchu de poste de président de l’Assemblée nationale pour avoir « osé » envisager de se présenter à la présidentielle, Macky Sall avait bénéficié du « Tout sauf Abdoulaye Wade ».
Outre les risques de violence à grande échelle que pose une élimination politico-judiciaire de Sonko, d’autres facteurs fragilisent ses ambitions pour un troisième mandat.
A en juger par les résultats des législatives de juillet 2022 et des élections municipales de janvier 2023, la majorité présidentielle n’a pas la côte auprès des électeurs sénégalais. Cette désaffection s’est traduite par la perte par le président Macky Sall de la majorité à l’Assemblée nationale. Ainsi, entre les législatives de 2017 et celles de 2022, le nombre de sièges des députés de la majorité qui soutient Macky est passé de 125 à seulement 82. Le recul politique de Macky Sall s’est poursuivi avec les dernières élections locales qui ont vu l’opposition gagner, outre Dakar la capitale, les grandes villes de Thiès, Diourbel, Mbacké et Ziguinchor. Ce n’était pas pourtant faute d’avoir tout essayé pour s’assurer une vraie clientèle politique. Sous couvert d’une série de tournées d’évaluation, Macky a parcouru le pays profond promettant ici des infrastructures routières et aéroportuaires, là des écoles et des marchés, ailleurs des emplois pour les jeunes et les femmes. Fait inédit depuis l’indépendance, Macky Sall avait annoncé une rémunération mensuelle pour tous les chefs traditionnels du Sénégal.
Visiblement toutes ces largesses n’auront pas suffi à embarquer l’électorat sénégalais dans l’aventure du troisième mandat. Ces alertes n’apparaissent, toutefois, pas assez pour que le président Sall entende les mises en garde des juristes sur la fragilité de sa candidature à un troisième mandat et les conseils de « ses amis » extérieurs qui l’encouragent à se retirer dignement. Macky Sall veut donc tenter le pari incertain du troisième mandat. Il a oublié ce qui est arrivé au Guinéen Alpha Condé en septembre 2021 et au Nigérien Mamadou Tandja en février 2010.
Sénégal, le verdict contre Ousmane Sonko, jugé pour viol, tombe ce jeudi